Des actionnaires plus égaux que d'autres

Par Eric Albert, correspondant à Londres
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C'était la plus grande introduction en Bourse de l'histoire du London Stock Exchange. Glencore, un géant méconnu, dont la fortune vient du courtage de matières premières, est entré directement la semaine dernière dans l'indice phare du FTSE-100, avec une valorisation de 42 milliards d'euros. Mais malgré la très importante couverture médiatique qui a accompagné l'événement, une anecdote est passée inaperçue : la réunion pendant laquelle les banques-conseils ont alloué les actions aux investisseurs a duré... treize heures ! Sachant que celle-ci avait commencé à 19 heures, la négociation s'est finalement achevée au petit matin.

Que s'est-il donc passé pour expliquer un tel marathon ? Techniquement, c'est relativement simple : les investisseurs avaient demandé trop d'actions (cinq fois plus que Glencore n'en émettait). Aucun d'entre eux ne pouvait obtenir 100 % de ce qu'il avait demandé. Les banques ont donc dû décider qui allait recevoir combien d'actions. A priori, un simple prorata pourrait résoudre les choses en quelques minutes.

Le processus n'est pourtant pas aussi simple. La réponse peut paraître sidérante à ceux qui pensent que les introductions en Bourse sont des affaires vaguement scientifiques, ou au moins équitables, mais les attributions des actions sont finalement d'intenses tractations de marchands de tapis. Ce n'est pas nous qui l'affirmons, mais un financier, spécialiste des introductions en Bourse et habitué de ce genre de réunions - qui n'était cependant pas présent à celle de Glencore. "Chaque banque-conseil cherche à mettre en avant son investisseur préféré, pour que celui-ci obtienne un traitement favorable", explique-t-il. Cela se traduit par des discussions du genre : "Je veux bien donner 5.000 actions à celui-là, mais à condition qu'Untel en obtienne au moins autant." Ou alors : "Ah non, pas question de donner quoi que ce soit à ce fonds de pension. J'ai de très mauvaises relations avec lui." À cela s'ajoutent les possibles desiderata de l'entreprise, qui peut aussi privilégier certains actionnaires.

Ces négociations peuvent se révéler très compliquées dans les très grosses opérations, comme Glencore. Plus de 900 investisseurs avaient souscrit : 100 sont repartis les mains vides tandis que les 50 premiers ont obtenu les deux tiers de l'allocation. Quelques rares privilégiés ont cependant obtenu tout ce qu'ils demandaient, sans explication convaincante. Tout cela pourrait prêter à sourire si cela ne soulevait pas le problème des relations trop étroites entre les banques-conseils et les investisseurs. Les premières ne font pas des faveurs aux seconds par gentillesse : elles espèrent y trouver d'une manière ou d'une autre une compensation, peut-être lors d'une prochaine opération par exemple. Une étude de 2004 (*), qui portait sur toutes les introductions en Bourse à Londres entre 1997 et 2000, souligne l'importance de copinage : "La probabilité qu'une banque sélectionne un investisseur pour (...) une introduction en Bourse est nettement plus forte si cet investisseur a participé à l'introduction en Bourse précédente de cette même banque." Dans certains cas, la probabilité est vingt fois plus forte.

Le phénomène décrit un petit cercle de connivences, où banques conseils et investisseurs se connaissent (un peu trop) bien et se tiennent par la barbichette. Cela remet aussi en cause le principe d'égalité entre les actionnaires, pourtant l'une des bases de la Bourse. Un sujet que les régulateurs feraient bien de regarder de plus près...

(*) "Block-booking and IPO share allocation : the importance of being ignorant", de Céline Gondat- Larralde, université Montesquieu-Bordeaux IV, et Kevin R. James, London School of Economics.

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