De la place Tahrir à la Puerta del Sol... avant la Bastille ?

Par Sophie Péters, éditorialiste à La Tribune
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Plusieurs milliers de jeunes Espagnols rejoints par une population découragée par la crise économique appellent à la régénération du monde politique et de la démocratie en Espagne. Le plus étonnant ? Le calme des manifestants et leur mode de fonctionnement : une assemblée générale horizontale et ouverte, sans leaders apparents, se réunit deux fois par jour. Des tournées de nettoyage ont été rapidement organisées. Un idéalisme pragmatique porté par une multitude de micro-organisations et des milliers de citoyens indépendants autour de revendications multiples. Tous disent ne pas être antisystème mais vouloir changer le système pour ne plus être une marchandise aux mains des politiques et des banquiers. Les indignados, en hommage au livre de Stéphane Hessel publié récemment en Espagne, clament leur volonté de ramener l'espoir dans une société qui en a besoin. Nouveau aussi : la manifestation pour mécontentement général. Habituellement, on descend dans la rue là-bas comme ici pour une cause particulière. C'est dire l'ampleur d'un malaise qui vient de loin, aiguisé par la crise lancinante, et que la méfiance croissante envers la classe politique finit par faire exploser. Une sorte de « printemps arabe » européen serait-il en train d'éclore ?

 

La jeune génération encouragée à la responsabilisation et à l'autonomie par une éducation plus souple et plus ouverte ne supporte plus un pouvoir jugé omnipotent. D'où ce nom révélateur donné à la plate-forme en ligne fondée par un architecte au chômage de 26 ans "Democracia Real Ya" (DRY, "démocratie réelle tout de suite"). C'est ce "tout de suite" maintenant qui fait sens. Ces mouvements de contestation adossés à l'usage des nouvelles technologies reflètent les nouvelles structures sociales à l'oeuvre au XXIe siècle. Et illustrent les analyses qui se succèdent depuis des mois chez les essayistes et intellectuels français et étrangers. Selon eux, les politiques et les médias traditionnels restent ancrés dans des schémas dépassés auxquels ils s'attachent pour mieux se repérer dans une histoire qui les prend de court. Or, le changement est en marche. Il s'annonce par la recherche d'une démocratie participative. S'exprimant le mois dernier dans "Courrier international" sur l'avenir des révoltes arabes, le philosophe espagnol Javier Gomá Lanzón a cette jolie formule : "Si la démocratie n'est pas une franchise comme Zara, c'est un destin." Et prône l'ingénuité. "Il s'agit de créer une origine et non de revenir à elle, de penser par nous-mêmes ce qui est devant nous. Pas comme si nous étions le premier homme ou comme si nous aspirions au degré zéro de la philosophie mais avec tout ce que nous avons appris." Un nouvel esprit du temps souffle de par le monde. Au XXe siècle des penseurs comme Schopenhauer, Nietzsche, Marx ou Freud et tout le mouvement des sciences sociales ont déconstruit les discours traditionnels et critiqué les idéologies. Ces philosophes de "la lucidité", comme certains les appellent, mais aussi du soupçon ont fini par forger une culture postmoderne dans laquelle ont baigné les parents de la jeunesse d'aujourd'hui, contribuant à établir de nouvelles formes d'éducation et du même coup un processus de libération. Cette liberté donnée mais non conquise, la jeunesse comprend qu'elle s'exerce désormais par un seul biais : la responsabilité, et non l'argent ou la consommation. Appliquant, à la façon de Monsieur Jourdain, l'enseignement d'Épictète selon lequel, être libre, c'est choisir de manière rationnelle et assumer ses choix. Reste à construire ensemble une nouvelle "République des moeurs", celle dans laquelle Aristote défendait l'idée de courtoisie et de concorde, et où l'amitié, couronnement de l'éthique, ouvre la voie... à la politique.

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