Sécurité routière : le prix des atermoiements

La sécurité routière est l'un des rares domaines de l'action publique où les effets des décisions sont immédiatement perceptibles. En n'assumant plus tout à fait son choix en faveur de la sécurité, voulant satisfaire l'opinion, l'exécutif a brouillé son message. D'où un nombre d'accidents accru et le cafouillage actuel.
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La politique de sécurité routière a ceci de particulier qu'on en voit les effets clairement et immédiatement. Une situation assez rare en matière de politique publique pour être soulignée. Un message gouvernemental crédible, bien diffusé et apte à frapper les esprits, dans un sens ou l'autre, se traduit dans les mois - voire les semaines - qui suivent par une évolution notable des statistiques. Pour parler clair, la perspective de la répression, de sanctions accrues des comportements délictueux - en premier lieu, s'agissant des excès de vitesse - fait baisser le nombre de morts sur les routes. Cela s'est vu en 2002, quand la seule annonce de la fin de la politique d'indulgence - plus question d'annuler une contravention par la seule intervention d'un élu - et de l'installation de radars automatiques fit chuter le nombre d'accidents mortels. À l'inverse, toute idée d'assouplissement des règles a pour conséquence immédiate une augmentation des accidents mortels. Cet axiome, on a pu le vérifier récemment.

Durant l'automne 2010, les parlementaires UMP, qui subissaient la pression antiradars de leurs électeurs, se sont mobilisés afin d'assouplir le permis à points. À les entendre, Nicolas Sarkozy les approuvait, même si le chef de l'État prit publiquement la parole pour affirmer son refus de tout laxisme dans ce domaine.

Dans l'opinion, en tout cas, l'idée s'imposa alors que les choses bougeaient, qu'un assouplissement des règles était en cours. Et, début janvier, les arbitrages furent rendus. Nulle question d'annonces gouvernementales : la prudence de l'exécutif est grande dans ce domaine, à tel point qu'il laisse toujours la place aux propositions émanant des parlementaires. Votées après arbitrage élyséen, bien sûr. C'est ainsi que le Sénat confirma un vote de l'Assemblée nationale : les conducteurs pourraient racheter des points (quatre), via la présence à un stage, tous les ans, au lieu de tous les deux ans auparavant, tandis que les petites infractions (excès de vitesse de moins de 20 km/h, par exemple) occasionneraient toujours une perte d'un point sur douze, mais celui-ci serait récupéré après six mois sans infraction similaire. Lors de l'instauration du permis à points, en 1992, il fallait trois ans sans contravention pour retrouver son capital de départ. Un premier assouplissement permit de récupérer un point perdu pour infraction légère après un an. Ce délai a donc été ramené à six mois.

Avec une belle unanimité, les intervenants au débat sénatorial ont affirmé alors vouloir donner, toujours, la priorité à la sécurité routière... tout en assouplissant les règles du permis. Seule une parlementaire, Éliane Assassi (groupe communiste, républicain, citoyen), reprit l'argumentaire de la ligue contre la violence routière pour évoquer un "relâchement, très mauvais signal adressé à nos concitoyens". Une affirmation contestable ?

Tout conducteur prenant connaissance de la nouvelle législation ne pouvait que sentir la contrainte se relâcher, le respect des limitations de vitesse devenant pour lui moins impératif. Or, les expertises montrent que la vitesse est un facteur aggravant, en cas d'accident. Le résultat ? Il s'est fait sentir immédiatement.

En janvier, le nombre de morts sur les routes s'est accru de 21 %, par rapport à janvier 2010. Et la tendance s'est poursuivie, de sorte que, sur les quatre premiers mois de l'année, la mortalité a augmenté de 13%.

C'est alors que l'Élysée s'est inquiété, début mai, réunissant à la hâte un comité interministériel, afin de répondre à cette hausse exceptionnelle de la mortalité routière. Il fallait bien éteindre l'incendie, allumé par... la majorité, avec l'aval du chef de l'État. D'où l'annonce précipitée de l'interdiction des détecteurs de radars et de la suppression des panneaux indiquant leur présence. De quoi provoquer la frondes des députés, dont le gouvernement sortirait par la mise en place de radars pédagogiques, bien visibles, non loin des véritables radars. Autrement dit, les automobilistes auraient toujours connaissance de la présence de ces derniers. Gribouille ? Surtout, comme le souligne le spécialiste des questions de sécurité routière, Claude Got, "le gouvernement reste dans le déni, ne reconnaissant pas que la mesure destructrice a été l'affaiblissement du permis à points".

Ainsi va la politique : même si une décision apparaît manifestement contre-productive, rarissimes sont les pouvoirs acceptant de reconnaître leur erreur, dans des délais relativement brefs. À vouloir ménager la chèvre et le chou, réaffirmer la priorité donnée à la baisse du nombre de morts sur les routes tout en donnant satisfaction aux élus antiradars, le chef de l'État a vu ses contradictions et leurs conséquences apparaître au grand jour. "Gouverner, c'est choisir", dit-on...

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