L'introuvable restructuration de la dette grecque

La vivacité des discussions sur la dette grecque s'explique par le fait que tous les acteurs financiers sont "coincés" et que personne n'a intérêt à bouger. Cette impasse démontre aussi qu'aucun enseignement n'a été tiré de la crise de 2008, notamment sur les CDS.
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Sur la dette grecque, à l?évidence l?Europe, cette fois encore, cafouille. Après l?octroi du prêt de 110 milliards d?euros de juin 2010 et l?officialisation du Fonds de stabilisation européen, on pensait bien que l?on avait trouvé la solution. Or, rien n?est moins sûr aujourd?hui. Le plan d?austérité pourtant durement ressenti par la population hellénique se révèle inefficace. La croissance grecque devrait être seulement de 3% en 2011 contre 4,2% en 2010. La dette publique est passée, quant à elle, de 132% du PIB à près de 160%. La Grèce, aujourd?hui, doit payer 15% pour emprunter à 10 ans. Il faut donc remettre en chantier le plan de sauvetage et on parle d?une rallonge importante de l?aide financière (de 60 à 100 milliards d?euros) quand ce n?est de restructuration de la dette sans que l?on soit d?accord ni sur son principe ni sur ses modalités.

En fait, la cacophonie s?est aggravée. Le Premier ministre grec, Georges Papandréou, de façon un peu pathétique, s?obstine à déclarer qu?il "n?y a pas de discussion sur la restructuration de la dette" et? que "c?est le pays qu?il faut restructurer". Or, à trois ans, ce sont plus de 200 milliards d?euros de besoins financiers non couverts qui sont à trouver, alors que l?on sait d?ailleurs qu?environ 300 milliards de capitaux grecs se sont courageusement réfugiés en Suisse.
Côté pourvoyeurs de fonds, le ministre allemand des Finances, Wolfang Schäuble se rallie à ce que l?on appelle joliment un « reprofilage » de la dette grecque. Il propose d?allonger les maturités de 7 ans (ce qui ne serait pas pour déplaire aux banques) tout en maintenant le principe du remboursement final des crédits à 100%. Tout au plus concède-t-il que le secteur privé devra prendre à sa charge une part du fardeau peut-être en acceptant d?abaisser certains taux d?intérêt, sans préciser pour l?instant davantage. Retour, a-t-on dit, aux obligations Brady des années 1990.

En réalité, c?est bien un rééchelonnement mais ici, contrairement à ce qui avait été fait pour les pays en développement, sans décote. Malgré la modestie d?un plan B destiné seulement à acheter du temps, il suscite l?ire de la Banque centrale européenne (BCE). La France, tout en acceptant le principe de la remise au pot de l?aide financière ? quitte pour elle à emprunter un peu plus encore car elle n?a toujours pas le premier sou de ce qu?elle s?apprête à mettre à disposition ?, préconise de reconduire les crédits, en roulement ("roll over"), au fur et à mesure qu?ils se présentent à échéance. Aux yeux des banquiers centraux, les projets de restructuration, eux-mêmes, pourraient déboucher sur un véritable "scénario de l?horreur" (Christian Noyer). La Grèce se viderait de plus en plus de ses capitaux et pourrait contaminer les autres pays européens fragiles et, de ce fait, créer une véritable panique orchestrée par les agences de notation toujours à l?affût. Bientôt, l?euro lui-même n?échapperait pas à la menace.

A vrai dire, la vivacité des discussions reflète le fait que les acteurs, les uns comme les autres, sont littéralement "coincés". Ils ressentent désormais tout le poids de l?amont, celui d?une crise financière de 2007-2009 dont on est très loin d?avoir apuré les comptes. Cela de deux façons. D?abord parce que, pour le secteur financier, les bonnes habitudes se conservent. "Business as usual", pourrait-on dire de ces banques qui manifestement ont mal apprécié le risque de crédit en s?engageant à l?excès vis-à-vis des pays fragiles de l?Europe périphérique. On compte, selon la BRI (Banque des règlements internationaux), plus de 50 milliards d?euros de créances pour les banques françaises sur la seule Grèce. Cette fois encore, comme lors de la grande crise financière, les établissements regimbent à accepter la sanction normale de ces imprudences, qui devrait être la décote de leurs créances. Il n?est pas sûr pourtant que les pertes qui les sanctionneraient, pour douloureuses qu?elles soient, ne seraient pas assez aisément absorbables.

Ainsi peut-on estimer qu?une décote de 50% de la dette grecque coûterait aujourd?hui environ 5 milliards d?euros aux banques françaises, soit une perte finalement envisageable eu égard aux profits réalisés ou annoncés. Plutôt, néanmoins, que de tailler dans le vif, on préfère continuer à gérer comme auparavant, quitte à ne pas sanctionner la production de l?aléa moral qui a conduit à surdévelopper la prise de risque et à s?enfoncer un peu plus dans le faux confort de l?économie d?endettement

Du côté de la BCE qui, de façon plutôt contrainte et forcée, a accepté de reprendre à l?actif de son bilan 190 milliards d?euros de titres de la dette grecque (444 milliards pour l?ensemble des pays européens en difficulté), soit directement soit à titre de collatéraux, on voit en effet d?un très mauvais ?il tout projet de restructuration avec décote. Sa vigoureuse réaction s?explique par la crainte de voir toute initiative de réduction de la valeur nominale des créances considérée comme "événement de crédit", c?est-à-dire comme une situation qui modifie sur une base non volontaire les conditions contractuelles des emprunts. Il se trouve en effet qu?on a vendu en grande quantité des CDS, soit des produits de couverture susceptibles d?être activés en cas de manquement au contrat.

L?Isda (International Swaps and Derivatives Association) a bien affirmé qu?il n?y aurait pas événement de crédit en cas de rééchelonnement volontaire mais, même dans ce cas, le doute subsiste quant à l?interprétation que pourraient en donner les agences de notation. Par contre, dans l?hypothèse de la restructuration avec décote, on considère à juste titre qu?il serait difficile d?écarter la mise en ?uvre de la clause événement de crédit. D?où l?intérêt commun à ne pas bouger et même à éviter de trop parler de décote ou de "haircut " pour ne pas effrayer les marchés, y compris aux États-Unis où les banques sont très engagées, via les dérivés, sur le risque européen. Chacun sait que l?activation de ces dérivés représenterait un nouveau séisme pour les marchés. Et c?est cela que prétend éviter la BCE. Une fois encore, on se doit de constater des effets désastreux des CDS, dont la détonante perversité avait déjà été démontrée lors de la crise de 2008.

Or, il devient urgentissime de sortir du piège de la dette des économies européennes précaires. Les pays débiteurs sont pris à la gorge du choc d?ajustement qui leur est imposé. Mais faut-il croire à ces cures déflationnistes violentes imposées de l?extérieur qui rappellent étrangement les erreurs des "réparations allemandes" des années 1920??

Tout autant, quel crédit accorder à ces politiques financières des pays créanciers qui ne savent pas ? ou ne veulent toujours pas ? rompre avec ce qui, hier, nous a conduits au krach. On continue à financer à tout-va pour, ensuite lorsque les choses se dégradent, tenter de se payer sur la bête, et à se trouver pris dans les filets des CDS incontrôlables et des agences de notation plus puissantes que jamais.

Comment ne pas s?insurger au moment où Timothy Geithner, secrétaire au Trésor, croit pouvoir nous recommander sans rire des banques "plus grandes encore" pour résoudre nos problèmes, de ces trahisons multiples des promesses de réforme en profondeur de la régulation des marchés financiers ? Ce n?est qu?en encadrant strictement à la base le mécanisme de la titrisation et en obligeant les banques à assumer une partie significative du risque qu?elles génèrent qu?on parviendra à prévenir les emballements du marché. Les banques doivent impérativement garder par-devers elle une partie significative du risque qu?elles génèrent. Mettre à leur disposition des couches superposées de produits complexes, comme les CDS, pour transférer la presque totalité de l?aléa éventuel, c?est oublier qu?on biaise vers le haut leur appréciation du risque et que ces produits, présentés comme de couverture, sont tôt ou tard transformés en brûlots. L?extrême difficulté rencontrée aujourd?hui pour mettre en ?uvre la véritable solution qui consiste à annuler une partie de la dette des pays européens les plus faibles, et garantir tout le reste, découle de ce péché originel. On n?a pas fini d?en payer le prix.

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