La gouvernance : facteur de risque ou de progrès ?

Par Jean-Florent Rérolle, expert en évaluation financière et en gouvernance, membre fondateur de l'IFA (Institut français des administrateurs) et président de l'International Valuation Professional Board. L'auteur a lancé son blog il y a quatre ans pour créer un espace de débats et de réflexions sur les questions de gouvernance, thème encore trop peu débattu en France. Le blog est ainsi devenu l'un des très rares forums en langue française sur les liens qui peuvent exister entre valeur et gouvernance et offre surtout une source d'information et de veille académique ou réglementaire très pointue sur toutes ces questions. L'auteur a également lancé deux comptes Twitter et un autre blog, réservé à ses étudiants de Sciences po ou d'HEC (www.rerolle.eu).
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Il est encore trop tôt pour savoir quelles sont les initiatives que l'Union européenne va prendre dans les mois à venir dans le domaine de la gouvernance d'entreprise, mais on peut s'attendre à quelques mesures structurantes. Le sujet n'est-il pas identifié dans le livre vert sur "The EU Corporate Governance Framework" comme un "élément essentiel" de la confiance des Européens à l'égard du marché unique ?

La consultation lancée sur ce document vient juste de s'achever. Elle abordait trois thèmes placés par la Commission "au coeur" de la gouvernance : le conseil d'administration, l'implication des actionnaires et l'application de l'approche "Comply or Explain". Si ce document a le mérite d'avoir ouvert un large débat, il comporte deux lacunes importantes.

La première porte sur une préconisation aveugle de pratiques dont l'efficacité n'a pas toujours été démontrée par la recherche académique.

Grâce à l'action de grands investisseurs anglo-saxons, la gouvernance d'entreprise a pris corps autour de "bonnes pratiques" convergentes internationalement. Quelle que soit sa taille, sa nationalité ou son secteur, la société cotée est invitée à respecter certains principes dans la constitution de son conseil d'administration : séparation du président et du directeur général ou désignation d'un "Lead Director", diversité et indépendance des administrateurs, limitation des mandats, etc....

Mais la recherche académique, pourtant prolixe sur ces questions, est loin d'être affirmative sur les bénéfices supposés de ces principes d'organisation. On en trouvera une excellente revue dans un livre qui vient d'être publié par David Larcker et Brian Tayan, "Corporate Governance Matters". Si les études convergent sur quelques questions comme les bienfaits de l'indépendance des comités, de la présence d'experts financiers ou les dangers du cumul des mandats, elles ne sont pas conclusives sur les bénéfices de certaines recommandations comme l'indépendance du président ou des administrateurs ou la féminisation des conseils. Il ne s'agit pas de remettre en cause systématiquement ces "bonnes" pratiques sous prétexte que leurs vertus ne sont pas démontrées, mais il ne faut les mettre en place qu'après avoir mené une véritable réflexion au sein du conseil sur leur utilité pour la société.

Seconde lacune, la focalisation exagérée sur l'administrateur-contrôleur au détriment de l'administrateur-conseil de la direction générale.

La gouvernance d'entreprise part du principe que le dirigeant d'entreprise non actionnaire doit être strictement contrôlé par ses mandants afin d'éviter qu'il ne les lèse. Nos conseils ont donc adopté une approche essentiellement disciplinaire. Cette philosophie a été renforcée par les crises successives qui ont toutes montré l'insuffisance des réglementations et ont incité les régulateurs à augmenter sans cesse le pouvoir de contrôle des conseils. Depuis une dizaine d'années, le débat s'est ainsi très focalisé sur la gestion des risques. La création obligatoire d'un comité d'audit est une illustration de cette tendance lourde.

Le rôle de "conseil" du conseil d'administration est ainsi progressivement occulté bien qu'il découle clairement des pouvoirs qui lui sont attribués par la loi. Or, le conseil n'est pas seulement chargé d'appuyer sur le frein. Il doit aussi contribuer au développement de l'entreprise. Une étude sur "The Costs of Intense Board Monitoring", réalisée par O. Faleyea, R. et U. Hoitashb, montre que, si les mesures prises pour mieux contrôler les dirigeants sont généralement efficaces, elles ont un coût pour les entreprises complexes : une réflexion stratégique indigente au sein du conseil et une myopie managériale qui se traduisent par des performances moins bonnes en matière d'acquisitions et d'innovation et, au total, une érosion de la position concurrentielle de l'entreprise et une destruction de la valeur actionnariale. À l'heure où nos économies sont à la recherche d'une croissance plus forte, les régulateurs pourraient peut-être se demander non pas comment nos conseils peuvent éviter la prochaine crise, mais plutôt comment ils peuvent contribuer à la relance de nos entreprises.

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