Face aux coupes budgétaires, l'industrie de la défense européenne va devoir s'internationaliser

L'Europe doit-elle se protéger pour préserver son industrie, ses savoir-faire et ses emplois ? La question est au coeur des débats alors que les entreprises des pays émergents partent, elles aussi, à la conquête des marchés extérieurs. "Protectionnisme ou compétitivité" : c'est le thème choisi pour les 7es Rencontres de l'entreprise européenne qui se dérouleront le 18 octobre prochain, un partenariat entre La Tribune, Roland Berger Strategy Consultants et HEC. Quatrième volet de notre panorama de cinq secteurs clés : Défense/Aéronautique. L'industrie de défense européenne est une industrie de souveraineté nationale. Mais face à la réduction des budgets, elle va être contrainte de s'ouvrir plus largement à l'exportation.
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L'industrie de la défense a toujours été une exception dans la mondialisation. Pour être compétitive, elle a toujours su et eu besoin de se mettre à l'abri du bouclier protecteur des États. Car, sans protectionnisme, l'Europe de l'armement, France et Grande-Bretagne notamment, n'aurait pu entretenir une filière industrielle de très hautes technologies et compétitive sur les marchés export. Ce qui est vrai pour l'industrie européenne l'est d'ailleurs aussi pour tous les grands pays ayant développé une industrie de défense, y compris les États-Unis pourtant un pays libéral (cf. le Buy American Act).

Cet effort budgétaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale n'a d'ailleurs pas été vain pour conserver une autonomie de décisions comme l'illustre le choix de la France et de la Grande-Bretagne d'intervenir en Libye. Sur le plan opérationnel, les deux pays ont encore la capacité de monter une opération de cette envergure avec des chances de succès. Ce qui a été le cas. Sur le plan industriel et social, cet effort a été également payant. La France se classe au quatrième rang des exportateurs derrière les États-Unis, la Russie et la Grande-Bretagne sur la période 2004-2008 avec une part de marché de 7,2 %. Ce qui fait vivre toute une filière industrielle, très souvent duale. Défense et aéronautique commerciale font bon ménage et permettent aux groupes d'amortir les cycles plus courts dans le civil.

Mais aujourd'hui, l'industrie européenne de l'armement est rattrapée par la baisse des budgets de la Défense. Elle est rattrapée tout simplement par la mondialisation et le cortège des dettes publiques. Ainsi, l'industrie de la défense va sans doute devoir apprendre à vivre avec une commande publique réduite... Ce qui peut à terme restreindre l'éventail des décisions des responsables politiques de la France et de la Grande-Bretagne en raison des abandons de certains pans de souveraineté nationale. "Sachant néanmoins que les contextes d'interventions armées en solo sont de plus en plus réduits", rappelle François Guénard, directeur chez Roland Berger. La problématique protectionnisme-compétitivité de l'industrie de défense française, et au-delà européenne, sera donc le sujet majeur de ces prochains mois. Car une fois l'élection présidentielle passée, les coupes budgétaires seront très sévères, selon les industriels du secteur qui s'attendent à voir le budget de la Défense redevenir une variable d'ajustement.

Bien sûr, les industriels peuvent trouver leur salut dans l'exportation, notamment dans les pays émergents... mais ces derniers demandent de plus en plus de transferts de technologies, une véritable menace pour les entreprises européennes condamnées à investir pour avoir toujours un coup d'avance sur ses clients. Pour autant, l'exportation est une solution qui tombe au coin du bon sens. C'est ce qu'a d'ailleurs déclaré début septembre le délégué général pour l'armement Laurent Collet-Billon : "Il faudra que l'industrie française soit plus compétitive, moins frileuse et qu'elle se montre plus audacieuse hors des frontières." Dans ce cadre, les habitudes de certains industriels, aussi bien des petits que des grands, que souhaite changer le ministère de la Défense, vont être difficiles à faire évoluer.

Nourris par la commande publique, ces dirigeants se montrent exigeants en termes de marges (trop ?) à l'exportation alors que, jouissant d'un matelas de commandes verrouillées, ils pourraient faire preuve d'encore plus de dynamisme et de créativité pour gagner des marchés à l'étranger, notamment dans le domaine des services. Toute la difficulté pour la Direction générale de l'armement (DGA) est de trouver l'équilibre entre compétitivité et protectionnisme, notamment en revisitant les règles et critères d'exportation employés par le ministère de la Défense.

 

Car, aujourd'hui, il n'est pas pensable, à l'exception de quelques matériels non disponibles dans le catalogue des industriels français (comme l'Awacs américain) ou achetés en urgence pour les forces présentes sur les théâtres d'opérations (premier lot de missiles Javelin), d'acheter pour l'armée de l'air française des avions américains, de sélectionner des frégates allemandes pour la Royale ou d'acquérir des chars italiens pour l'armée de terre. Le choix récent du ministère de la Défense de privilégier la proposition de MBDA de développer un nouveau programme de missile terrestre plutôt que d'acheter sur étagère un produit américain (Javelin) ou israélien (Spike) est à coup sûr un choix protectionniste. "L'achat sur étagère reste en effet marginal en France (3 % des dépenses totales)", précise François Guénard. Il est parfaitement assumé par la DGA. Tout comme aux États-Unis, Boeing a été désigné début 2011 vainqueur par le Pentagone de la compétition sur les avions ravitailleurs face à Airbus... pourtant vainqueur de l'appel d'offres précédent.

En dehors de l'exportation, la France et la Grande-Bretagne s'engagent également sur un chemin difficile qui mène à la dépendance mutuelle. La contraction des budgets de défense nationaux donne un certain crédit à ce projet inédit et intéressant pour la construction d'une Europe de la défense aussi bien dans le domaine industriel qu'opérationnel. "Les deux pays s'engagent sur le long terme dans la filière missilière, mais il faut sécuriser juridiquement cette dépendance mutuelle car la France et la Grande-Bretagne prennent le risque de se placer dans ce cadre-là", expliquait récemment le PDG de MBDA Antoine Bouvier. Cela passera par un traité entre les deux pays, qui pourraient être signés à l'horizon 2013 ou 2014. Un pas de plus vers des abandons de souveraineté nationale.

 

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