"Il a changé le monde". Comme un refrain funèbre qui ponctue les réactions à la disparition de Steve Jobs. A en rayer le disque dur de cette pensée convenue, récursive, que le fondateur d'Apple n'a cessé de pourfendre toute sa vie. Bel hommage néanmoins, dans son unanimité et son universalité, mais aussi cruel effet de miroir pour tous les puissants de la planète qui affichent leur impuissance, justement, non pas à le changer, ce monde, mais au moins à le sauver d'une catastrophe économique et financière. La comparaison n'est pas si insolite. Car, finalement, de quoi était faite la recette miracle de Jobs ? Le refus de se laisser endormir par le succès de ses acquis, une maîtrise implacable, quasi autocratique, dans la mise en oeuvre de ses projets, un souci permanent de faciliter l'appréhension de ses produits, et enfin un sens exceptionnel de la mise en scène. Avouez que l'on pourrait confier une telle feuille de route à ceux qui manquent diablement d'audace pour faire rêver les peuples.
C'est bien de cela qu'il est question. Si celui qui a sorti de l'anonymat la petite ville de Cupertino, a rejoint le petit club des icônes planétaires, c'est aussi et surtout parce qu'il a su créer du rêve. Et l'a transformé en or. Rien à voir avec les fondateurs de Google, Facebook, et autres Amazon. Ce principe de plaisir, que Jobs a su conjuguer in fine avec une incroyable maestria aux exigences les plus cardinales du business, est constitutif de l'ADN d'Apple. Pas sûr qu'un tel mariage soit encore viable aujourd'hui. Quel grand patron peut se permettre encore d'imposer unilatéralement ses vues, quel résistant à l'urgence des résultats passerait le cap d'un exercice décevant, quelle nouvelle étoile des pays émergents - elles ne manqueront pas dans les années à venir - prendra le risque de charger d'affectif son plan d'attaque pour conquérir la planète ? Jobs n'a peut-être pas autant changé le monde qu'on veut bien le dire, mais le monde, lui, a changé.
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