Les CDS, une protection si inutile

Après Lehman Brothers, tout est fait pour éviter l'exercice des CDS sur les risques souverains ou systémiques. Alors pourquoi ne pas les interdire purement et simplement ?
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L'agence Standard & Poor's a une nouvelle fois mis en avant les conditions de marché de la dette souveraine pour justifier la mise sous perspective négative de la note des pays de la zone euro, en particulier celle de la France. De fait, le prix des émissions, l'écart de taux par rapport au bund allemand ou bien la prime des CDS ("credit default swaps ") rapprochent la dette française d'une note AA plutôt que du prestigieux AAA. Une fois de plus, le CDS est considéré comme une information de marché fiable. Ou plutôt, selon un professionnel, il reflète la réalité de la perception du risque que peut avoir le marché sur un titre à un instant donné. Soit. Le problème, c'est que cette assurance contre un éventuel défaut d'un titre n'a pas grand sens lorsqu'il s'agit de se couvrir d'un risque systémique, comme celui d'un État ou bien d'une institution financière dont la faillite générerait un risque d'une telle ampleur.

Autrement dit, pourquoi acheter un CDS sur la France ou sur HSBC alors qu'une faillite de la France ou de HSBC provoquerait un tel séisme financier qu'aucun émetteur de CDS ne pourrait vraisemblablement honorer ses engagements ? Parce qu'ils sont devenus des instruments essentiels pour les banques dans la gestion de leur capital et de leurs risques de contrepartie. En achetant des CDS, une banque peut limiter son engagement effectif et donc économiser des fonds propres car un actif couvert par un CDS consomme peu ou pas de capital. Mais surtout, grâce à sa profondeur de marché, ses multiples maturités, les CDS sont devenus les outils indispensables des gestions dynamiques des risques de contrepartie. Mieux, les régulateurs encouragent vivement les banques européennes à s'engager dans cette voie, où les CDS - si contestés par ces mêmes régulateurs - occupent une place de choix. Pensez donc, les banques américaines utilisent depuis longtemps ces stratégies de gestion des risques et la faillite de Lehman Brothers a servi de test grandeur nature pour en démontrer l'efficacité. En pleine crise des subprimes, huit banques ont même reçu 67 milliards de dollars de leur assureur AIG. Sauf que ce sont les contribuables américains qui ont finalement payé (AIG étant en faillite) et que l'ampleur de ces remboursements révèle surtout une bien mauvaise gestion des "risk managers " qui ont autorisé une telle exposition sur une seule contrepartie. C'est vrai, sans les CDS, tout cela n'aurait pas été possible !

Mais les temps ont changé. Plus jamais de faillite Lehman Brothers, proclament à l'unisson politiques et régulateurs, qui viennent de créer une nouvelle catégorie de banques, les Sifis, à placer sous haute surveillance. Et puis, il y a eu la Grèce. Un défaut avéré - 21 % de décote négociée lors de l'accord du 21 juillet, puis 50 % le 21 octobre - n'a mystérieusement déclenché aucun CDS. La décote étant sur une base "volontaire ", l'Isda, l'association professionnelle (contrôlée par les banques) a estimé qu'il n'y avait pas d'événement de crédit (contrairement aux agences de notation). "Les banques ont prévenu qu'au-delà de 50 % de décote elles ne pouvaient plus défendre l'idée d'un volontariat ", résume un banquier proche des négociations. En clair, plus de 50 % de décote déclencherait automatiquement les CDS. Bref, tout est fait - et tout sera fait - pour que les CDS ne soient jamais exercés. C'est tout l'enjeu des négociations sans fin entre la Commission européenne, les chefs d'État et les banques, car chacun sait que l'exercice d'un CDS sur un risque systémique aura des conséquences en chaîne non maîtrisables. C'est d'ailleurs ce qu'a vite compris George Soros, qui a qualifié ces instruments de "warrants inutiles ". Les investisseurs d'ailleurs s'en méfient de plus en plus. "L'âge d'or du CDS est révolu ", estime un professionnel du risque, même si l'exposition nette aux CDS sur les risques souverains s'est accrue de 85 milliards de dollars depuis la fin 2008.

Ils seraient même dangereux, comme l'avance le gérant star de hedge funds, David Einhorn (qui a fait fortune sur la chute de Lehman), car ils incitent les acheteurs de CDS à forcer au défaut pour faire jouer la protection. Ou bien même absurdes, comme le note la banque RBS, qui s'est récemment étonnée d'un écart croissant entre les CDS allemands et français, alors qu'un défaut de l'un entraîne forcément le défaut de l'autre, tant ces pays sont interdépendants et au coeur de la zone euro (sans parler des conséquences sur le système bancaire). Quand tout implose, personne ne paye d'assurance. C'est comme acheter une prime d'assurance contre une guerre nucléaire : on est assuré, oui... mais mort !

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