Pour une « Métropole régionale » du Grand Paris

Comment passer de « l'obscure harmonie des impuissances » que risque de créer le projet actuel, source de déséquilibres multiples, à la Grande Métropole Régionale la plus attractive d'Europe. Par le Cercle des ingénieurs économistes
Un système politique faisant coexister trois poids lourds -Région, Grand Paris, Paris- est par nature instable.

La  Métropole du Grand Paris instaurée par la loi du 3 juin 2010 était une idée à priori excellente, dans la mesure où il résultait des travaux de la "nouvelle économie géographique" que les grandes métropoles étaient désormais les moteurs de l'économie de marché mondialisée. Il était donc important de faire de l'Ile-de-France une vraie région métropole, dotée enfin de larges pouvoirs en matière d'aménagement de l'espace, d'habitat, d'environnement, de développement économique, qui serait capable de rivaliser avec le Grand Londres, seule mégapole comparable en Europe.

Hélas ! pour des raisons essentiellement politiques le projet mis en œuvre au 1er janvier 2016, tel qu'il résulte des lois MAPTAM (janv. 2014) et NOTRe (août 2015) est une construction baroque, réduite aux quatre départements centraux, qui va compliquer encore le mille-feuille francilien désormais pourvu de 5 niveaux (Région, MGP, Départements, Territoires, Communes) contre 2 à Londres : Grand Londres et 33 boroughs.

Par ailleurs, quatre fâcheuses conséquences sont à attendre pour l'évolution future de la Région Capitale.

1) L'Ile-de-France à deux vitesses

En créant le district il y a 50 ans, Paul Delouvrier sous l'impulsion du Général de Gaulle avait comme objectif principal d'unifier et de rééquilibrer la Région Parisienne alors partagée entre un département de la Seine hyper puissant concentrant l'essentiel des activités et des emplois et une périphérie accueillant les populations défavorisées (notamment dans les grands ensembles devenus les "quartiers sensibles") et réceptacle de diverses nuisances : déchets, eaux usées  etc.

Cette politique menée sur le long terme fut une réussite dans la mesure où furent créés de grands pôles d'emploi déconcentrés comme Roissy ou Saclay qui ont permis de faire croître l'emploi plus vite en périphérie qu'au centre : +20% contre +7% de 1993 à 2000. Ce qui allait dans le sens du rapprochement souhaité habitat/emploi.

 Le nouveau Schéma Directeur Régional qui privilégie la densification centrale, suivi de l'annonce du Grand Paris, a accentué la tendance constatée d'une réorientation des décisions d'investissement à nouveau vers Paris l'agglomération centrale. Ce retournement s'est opéré de 2007 à 2014 : +17 500 dans le Grand Paris, -25 500 dans le reste de la région.

Il est clair que la création de la MGP et la concentration de l'essentiel des lignes de transport de la société du Grand Paris en première couronne contribueront à accélérer cette tendance et à faire revenir progressivement la région capitale à la situation déséquilibrée des années 1960. L'agglomération centrale, qui concentre déjà 75% de la création de richesse régionale,  pourrait ainsi atteindre les 80%, ne laissant à la périphérie que les activités d'entrepôts ou de commerce. En conséquence, l'augmentation de la part d'emploi au centre est inévitable ; celle-ci atteint déjà 70% et oblige 1 million de navetteurs à de longs trajets depuis les quatre départements de la grande couronne. Bien entendu cet éloignement de l'emploi des lieux de résidences est orthogonal aux préconisations de la COP 21 en matière de réduction des trajets motorisés.

Il étendrait aussi à terme au Grand Paris le processus à l'œuvre depuis longtemps dans la Capitale "d'embourgeoisement" de quartiers autrefois populaires avec corrélativement une paupérisation des marges, selon le modèle de villes dont la caricature est Rio  dotée d'un Hyper Centre opulent entouré de favelas.

2) La confusion des compétences

La mission de préfiguration a listé 7 modalités d'intervention de la MGP : stratège, maître d'ouvrage, partenaire, avec mission normative, coordinatrice, animatrice, ambassadrice ! La difficulté réside dans le fait que ces vastes ambitions font double emploi et entrent même en concurrence avec les compétences des multiples acteurs qui agissent en Ile-de-France. Par exemple concernant l'aménagement de l'espace : la Région, en collaboration avec l'Etat, a établi un Schéma Directeur qui concerne au premier chef l'espace du Grand Paris.

Mais la MGP va aussi mettre à l'étude un "SCoT", un schéma de cohérence territorial chargé d'organiser la cohérence territoriale qui devra être conforme au SDRIF (schéma directeur de la région IDF). Sur ces bases, les territoires vont élaborer un PLU (plan local d'urbanisme) intercommunal  compatible de surcroît avec différentes spécifications d'urbanisme établies au niveau national. Cet enchevêtrement de plans et de normes parfois contradictoires, emboîtées façon poupées russes, va compliquer singulièrement l'acte de construire et faciliter les recours contre les opérations d'aménagement et les permis de construire qui restent paradoxalement de la compétence des maires et non des intercommunalités.

3) Une « machine » administrative compliquée et coûteuse

Le schéma initial d'une unique intercommunalité, intégrant les 4 départements -à l'image de la métropole réussie de Lyon- a fait place à une construction quelque peu baroque d'un EPIC établissement public à fiscalité propre (la Métropole) couvrant 12 territoires -dont Paris- qui sont aussi des EPIC mais sans ressources propres, pourvu d'un dispositif compliqué de garantie de ressources et de transferts fiscaux, rendu de surcroît difficile dans un contexte de baisse drastique de la DGF. La mise en place va donc être longue et coûteuse.

Longue, car la métropole dispose de 2 ans pour définir les projets d'intérêt métropolitain dont elle va s'occuper, ce qui risque de paralyser les initiatives des territoires et des communes pendant cette période. Les territoires étant eux-mêmes très occupés à tenter de fédérer des dizaines de communes qui dans certains grands territoires (Val de Marne) n'ont jamais travaillé ensemble. Une vaste période d'incertitude peu propice aux investissements va donc s'ouvrir jusqu'au renouvellement de 2020.

Coûteuse, car aux 209 conseillers de la métropole il faudra ajouter le millier de conseillers territoriaux ce qui va nécessiter l'embauche à terme de milliers de nouveaux fonctionnaires travaillant dans de nouveaux locaux. Il est donc inévitable que les impôts locaux des entreprises (cotisation foncière CFE) et des ménages (part départementale de la taxe d'habitation) augmentent dans l'avenir.

4) Instabilité politique et scénarios d'avenir

Un système politique faisant coexister trois poids lourds - Région, Grand Paris, Paris - est par nature instable ; deux scénarios sont donc possibles dans l'avenir :

-         la MGP, par sa puissance économique et la force du symbole "Grand Paris" marginalise progressivement la Région qui ne s'occupe plus guère que des périphéries à l'image du département du Rhône;

-         la MGP s'étend aux huit départements de la Région et fusionnant avec le Conseil Régional devient une collectivité locale de plein droit, disposant de larges pouvoirs dans tous les domaines ; son poids économique et politique deviendra considérable.

Dans les deux cas on assistera à une marginalisation lente des départements puis de la Ville de Paris. Il est clair que le deuxième scénario est seul en mesure de faire à terme de "la Métropole Régionale du Grand Paris"   la première Métropole d'Europe devant Londres comme elle le fut jusqu'à la fin du siècle dernier.

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Commentaire 1
à écrit le 03/02/2016 à 11:27
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Comment se fait-il que cette réflexion,paraisse maintenant?? Pourquoi ,les politiques,n'ont pas consulté ce Cercle,qui se livre à un constat de qualité dans sa démarche et réflexions?? La communication,la consultation,la connaissance des qualifiés ...

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