L’infinie gestation de la taxe sur les transactions financières

Par Florence Autret, correspondante à Bruxelles pour La Tribune.
La taxe sur les transactions financières européennes n'en finit pas d'être annoncée et... repoussée.

Si ce n'était pas une bombe à retardement qui risque d'exploser en pleine campagne présidentielle, ce serait juste... follement distrayant. Jeudi, à Luxembourg, Michel Sapin a imploré la patience du public très majoritairement favorable à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières européennes qui n'en finit pas d'être annoncée et... repoussée. « Je me battrai », a-t-il dit. « Nous nous sommes donnés encore quelques semaines pour constater un accord sur les modalités techniques de la mise en œuvre de cette taxe » mais « c'est extrêmement compliqué », a-t-il concédé. La dernière échéance pour un accord technique, autant dire un accord tout court, qui avait été fixée au 30 juin ne sera pas tenue. Mais on y est presque. Alors, rendez-vous en septembre !

On aimerait le croire mais la naissance du bébé TTF a  été si souvent annoncée qu'on finit pas se demander s'il existera jamais autrement qu'à l'état d'embryon dans la matrice insondable de la diplomatie communautaire. Rappelez vous, il y a quatre ans tout juste, au Mexique. Au G20 de Los Cabos, le président de la République fraîchement élu s'énerve. La TTF, dit François Hollande, « nous ne pouvons plus en parler.... Il faut la faire ». Et vite ! Il faudra qu'elle entre en vigueur « en 2013 ». C'est d'autant plus possible qu'on ne part pas de zéro, pardi ! En 2011, la Commission européenne avait déjà soumis une proposition aux Vingt-Huit. Mais elle avait été bloquée par les vetos notamment britannique et néerlandais. Qu'à cela ne tienne, il est temps d'avancer « avec quelques pays », explique le président, puisque le traité européen a prévu un modèle de « coopération renforcée » à quelques uns (neuf pays au minimum.)

Une promesse qui se fait désirer

Mais il faut attendre encore sept mois pour que les négociations reprennent. En janvier 2013, la Commission européenne présente un nouveau texte. Autour de la table, aux cotés de la France : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Grèce, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie et l'Estonie. Onze joueurs, soit deux de plus que le minimum exigé. Les chances d'une « mise en œuvre » dans le courant de l'année sont certes plutôt minces, mais l'essentiel est d'avancer. La promesse de François Hollande n'est pas rompue, elle se fait juste un peu attendre.

Puis... rien ou presque. A Berlin, Angela Merkel gouverne avec le parti libéral FDP franchement hostile à la TTF. L'espoir renaît quand, réélue à l'automne 2013, elle forme une grande coalition avec aux sociaux-démocrates du SPD, à l'unisson avec leurs camarades français sur la taxation de la finance. Las ! A présent c'est à Bruxelles que le téléphone sonne dans le vide pour cause d'élections européennes et de fin de mandat de la Commission Barroso. Patience.

Un nouvel espoir

Les planètes recommencent à s'aligner fin 2014. Le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, nouveau président de la Commission, n'est certes pas enthousiaste (son pays ne veut pas d'une TTF) mais plein de compréhension pour son ami François. De surcroît, il gouverne, comme Angela Merkel, une grande coalition avec l'Allemand SPD Martin Schulz, le président du Parlement européen. Enfin, c'est à un socialiste français, Pierre Moscovici qu'échoie le portefeuille de la fiscalité dans la nouvelle Commission. L'espoir renaît.

En décembre 2014, plein de confiance, Michel Sapin annonce devant l'Assemblée nationale une « nouvelle initiative », toujours à 11, pour que « cette belle idée devienne une réalité »... au 1er janvier 2016. C'est l'« objectif », à défaut d'être 100% sûr. Hélas, la roue électorale a continué à tourner ailleurs en Europe. A Bruxelles, la NVA, le parti nationaliste flamand, est entré au gouvernement et tient depuis octobre le ministère des finances. Or Johan Van Overtveldt n'est pas un chaud partisan de la TTF. A Rome, un jeune homme de 39 ans  gouverne une Péninsule chancelante, avec des banques fragiles et 130% de dettes publiques. Tout de gauche qu'il est, Matteo Renzi se méfie des marchés et ne veut à aucun prix voir taxées les transactions sur les CDS de la dette italienne. Le 8 décembre 2015, l'Estonie jette l'éponge... et les Dix restants annoncent un « accord sur les grandes principes ». Une nouvelle échéance est fixée au 30 juin 2016 pour boucler la négociation. Mais voilà que Madrid chancelle. Les élections espagnoles du 20 décembre 2015 ne permettent pas de former de gouvernement. Après des mois de crise, un nouveau scrutin aura lieu le... 26 juin.

 « J'ai atteint mes limites mentales »

L'hiver est long pour le ministre des finances autrichien. Hans-Joerg Schelling, désigné volontaire pour coordonner les travaux, se retrouve comptable d'une échéance intenable et manifeste des signes de fatigue. « J'ai atteint mes limites mentales », déclare-t-il il y a quelques semaines. « S'il y a plus de neuf Etats membres ils peuvent le faire, mais probablement la semaine prochaine nous serons descendu à sept et cela voudrait dire que nous devons arrêter ». Panique à bord. On bat le rappel. Personne n'ose quitter le navire. L'échéance du 30 juin se rapproche dangereusement.

A quelques jours de la réunion du 16 juin, Jeroen Dijsselbloem, le ministre néerlandais des finances et président du Conseil Ecofin, diffuse une note technique où s'étalent à longueur de paragraphe les différends entre les « ministres TTF ». Pure cruauté ou finesse tactique ? Les puissants fonds de pension néerlandais, tout comme le Royaume-Uni, sont ouvertement opposés à la taxe, y compris si elle est mise en œuvre par d'autres. L'annonce de la création d'une taxe européenne sur les transactions financières à quelques jours du référendum britannique aurait apporté de l'eau au moulin des partisans du Brexit.

Une gestation infinie

C'est ainsi que le 17 juin, les « Dix », ces ministres qui devaient former l'avant-garde de la taxation des transactions financières, se sont séparés plus que jamais d' « accord sur les principes », mais sans texte technique. Autant dire sans accord. Car on ne lève pas d'impôt avec des déclarations de principe. Il n'est pas de droit plus « dur » que le droit fiscal. « Nous continuons à mettre en œuvre ce travail technique. Deux groupes de travail ont été mis en place, et en septembre prochain notre objectif est de pouvoir décider, à partir de l'accord qui est sur la table, la taxe sur les transactions financières », a déclaré Michel Sapin en quittant Luxembourg.

L'histoire n'est donc pas finie et bien malin qui pourrait dire comment elle se terminera. Mais les risques politiques de cette infinie gestation sont à la mesures des difficultés de la négociation. Imaginons qu'à l'automne, le groupe des Dix perde deux ou trois membres ou qu'il se dissolve simplement, ce sera non seulement un échec européen, mais aussi personnel pour François Hollande et son ministre des finances. Difficile à justifier à six mois de l'élection présidentielle. Une chose est donc certaine : on peut croire Michel Sapin quand il dit qu'il continuera à se battre.

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Commentaires 6
à écrit le 19/06/2016 à 17:42
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Ça pourrait peut être freiner les banques qui utilisent massivement les transactions à très haute fréquence.

à écrit le 19/06/2016 à 14:30
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Le but de cette taxe est de limiter la volatilité des marchés financiers, l'effet casino. Qui gagne actuellement au casino des marchés financiers? Certainement pas les véritables investisseurs sur le long terme. Alors pourquoi les taxer? Quant aux ca...

à écrit le 19/06/2016 à 12:32
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"on peut croire Michel Sapin quand il dit qu'il continuera à se battre" Croire un homme politique, cette blague ! On peut également croire Hollande candidat quand il dit que l'ennemi de Hollande président est la finance ! (et des exemples similaire...

le 19/06/2016 à 21:49
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Non, en effet l'écouter est un perte de temps.

à écrit le 19/06/2016 à 10:48
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La France est en pointe (enfin ses dirigeants provisoires du moins) dans ce dossier, car elle est bien la seule à en avoir vraiment besoin.

à écrit le 19/06/2016 à 10:07
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Pour taxer de quelques centièmes de % des transactions financières dont la nocivité a été archi-démontrée il faut compter un délai de 10 ans !!! Vive le suicide collectif de la soi-disant zone de prospérité et de démocratie que le monde entier envie ...

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