CHRONIQUE LE MONDE À L’ENDROIT - Quand Abraham se fait discret

CHRONIQUE LE MONDE À L’ENDROIT - Au 30e jour de guerre entre le Hamas et Israël, François Clemenceau décrypte la position des pays arabes qui s'étaient rapprochés (ou étaient sur le point de le faire) de l'État hébreu.
(Crédits : DR)

La diplomatie des Émirats arabes unis, qui accueillent jusqu'à ce soir la 16e édition de la World Policy Conference organisée par l'Institut français de relations internationales (Ifri), est des plus nuancées. Tout de noir vêtue, sous un voile discret, la ministre d'État aux Affaires étrangères ne pouvait faire autrement, vendredi matin, que d'inaugurer ce rendez-vous prestigieux de la géopolitique mondiale en évoquant Gaza. Non pour revenir sur les pogroms atroces du 7 octobre perpétrés par le Hamas et qui ont « horrifié » son ambassadrice aux Nations unies. Mais plutôt pour évoquer l'urgence de mettre fin aux violences dont souffrent « les civils », sous-entendu dans les deux camps. Alors que le bilan des victimes palestiniennes ne cesse d'augmenter, Noura Al-Kaabi exige de « faire baisser la température dans la région alors qu'elle est sur le point de bouillir », avec « le risque que des groupes extrémistes en tirent avantage pour promouvoir leurs idéologies ».

Quadrature du cercle

Aucun pays, aucune faction n'est nommée dans ce discours lu d'un ton égal mais ferme. « Les Émirats ne peuvent se désolidariser de Gaza », glisse-t-on dans l'entourage du conseiller diplomatique du président Mohammed Ben Zayed. « Je comprends leur discrétion, c'est très sensible », reconnaît un ancien ministre égyptien qui souhaite rester anonyme. Pourtant, le 24 octobre, la ministre émiratie de la Coopération internationale n'avait pas hésité, à la tribune de l'ONU, à qualifier les attaques du Hamas de « barbares et haineuses ». Le 2 novembre, c'était au tour du président de la commission de la défense, de l'intérieur et des affaires étrangères du Conseil fédéral émirati, Ali Rashid Al-Nuaimi, de réutiliser les termes devant l'American Israel Public Affairs Committee (Aipac), le principal lobby juif américain. Pour souligner également que la normalisation opérée par son pays en 2020 avec Israël sous le nom d'accords d'Abraham était là « pour durer ».

Comment lutter contre le Hamas, dénoncer le sort réservé aux Gazaouis, réclamer à Israël d'en finir avec ses opérations militaires tout en plaidant pour le maintien de ces accords ? C'est dans cette quadrature du cercle que se retrouvent les Émirats et avec eux Bahreïn, le Maroc et le Soudan, tous acteurs depuis presque quatre ans de ce rapprochement historique avec l'État hébreu. Sans oublier l'Égypte et la Jordanie, les deux États arabes pionniers d'une paix franche avec Israël en 1979 puis en 1994.

Aversion pour les Frères musulmans

Le point commun entre les dirigeants de tous ces pays est leur aversion pour les Frères musulmans et l'islam politique, qui a souvent basculé dans le terrorisme. Que ce soit en Égypte avec l'assassinat du président Sadate, à qui il était reproché d'avoir osé la paix avec l'ennemi d'hier six ans après la guerre du Kippour, ou en Jordanie, dont la population est à moitié palestinienne et où les islamistes sont sous étroit contrôle des services du roi Abdallah. Au Maroc, où le roi - Commandeur des croyants - a dû cohabiter un temps avec les islamistes, l'obtention de la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental par les États-Unis en échange de la normalisation avec Israël est jugée amèrement, au vu des souffrances des Palestiniens. À Bahreïn, monarchie sunnite dont les sujets sont en majorité chiites, le Parlement annonce avoir décidé de rappeler son ambassadeur en Israël et de suspendre ses relations économiques avec l'État hébreu. Mais rappel et suspension n'ont rien de définitif. Quant au Soudan, le gouvernement militaire, emporté dans la guerre civile contre ses alliés, n'a guère de temps à consacrer aux victimes juives des massacres du 7 octobre et aux si nombreux Palestiniens enfouis sous les décombres des bombardements de Tsahal.

Et que dire de l'Arabie saoudite, où le prince héritier, Mohammed Ben Salmane - surnommé MBS -, était bien parti en septembre pour signer à son tour ces fameux accords d'Abraham. Les pogroms du Hamas et la riposte israélienne ont interrompu cette démarche. Mais sans la tuer. « Ce sera difficile pour MBS. Tant que son père reste sur le trône, il sait qu'il doit faire une pause », estime un fin connaisseur français de la région. « L'Arabie saoudite ne peut plus reculer, à moins que la guerre contre le Hamas ne déclenche un nouveau conflit israélo-arabe », estime de son côté un expert européen du dossier. « La paix avec Israël nous a épargné quarante-cinq ans de guerre, est-ce qu'on va risquer de ruiner cet héritage ? se demande la sénatrice égyptienne Mona Makram Ebeid. Les Frères musulmans, nous les détestons et nous les avons chassés du pouvoir. Ce dont j'ai peur, c'est que la répression israélienne à Gaza ne les réveille. »

Ce dimanche, la cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna, passera quelques heures à Abou Dhabi. Un mot d'ordre : tout faire pour que le Hamas, les Frères musulmans, et l'Iran qui les parraine, ne soient pas confondus avec une cause palestinienne que les signataires du pacte d'Abraham, et ceux qui les soutiennent, avaient fini, à tort, par secondariser. ■

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Commentaire 1
à écrit le 05/11/2023 à 8:13
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Une guerre ? Non des actes terroristes suivis de massacres de civils.

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