Encore un instant, signore le bourreau...

L'effet Beppe Grillo qui a secoué toute l'Europe a occulté le report par la France à 2014 de la contrainte de réduction du déficit à 3% du PIB. François Hollande a habilement gagné un an mais fait face à un difficile débat sur le dosage de la rigueur.
Copyright Reuters

Le test italien de la résilience des démocraties dans cette étape de la sortie de crise n'a pas déçu. La surprise n'est pas venue de l'effondrement de Mario Monti, qui a fait une très mauvaise campagne, mais de la résurrection électorale de Berlusconi et surtout de la poussée d'un vote protestataire anti-euro et anti-austérité qui a donné le quart des suffrages et un pouvoir de blocage à un parti aux accents populiste, le mouvement « Cinq Étoiles » de l'ancien comique Beppe Grillo.

Et de fait, il n'y a pas vraiment de quoi rire, car l'Italie, sans majorité claire au Sénat, semble devenue ingouvernable et promise à une longue période de paralysie avec un futur gouvernement Bersani minoritaire, obligé de négocier au coup par coup. Sur les marchés, le risque d'un effondrement de la troisième économie de la zone euro refait surface avec, à ce stade, un effet néanmoins plutôt positif : la baisse de l'euro réclamée par François Hollande et l'espoir d'une prochaine baisse des taux de la Banque centrale européenne dirigée par Mario Draghi.
Bien sûr, la solution pourrait consister, comme en Grèce au printemps 2012, à demander aux Italiens de revoter. Mais à moins de changer la loi électorale, ce qui est en débat, qui dit que le résultat ne sera pas pire encore ? Et quel camouflet ce serait qu'un pays fondateur de l'Europe, avec Alcide de Gasperi, soit condamné à ne pas respecter la vox populi !

Pour l'Italie, ce 25 février 2013 sonne comme un séisme politique majeur qui aura des répercussions dans toute l'Europe qui est à un nouveau tournant historique. Plutôt que de se réfugier derrière le confortable mot « protestataire » ou « populiste » pour analyser cet événement, il semble plus lucide de parler d'exaspération et de révolte démocratique destinée, justement, à secouer l'Europe. Non pas pour la tirer vers le bas, mais pour la sortir de l'ornière. Comment en effet ne pas voir que ce scrutin est l'enfant monstrueux du déni de démocratie qui s'est abattu depuis le début de la crise? Pour une majorité d'électeurs, c'est parce qu'elle a été étranglée par des taux d'intérêt meurtriers que l'Italie s'est vu imposer la politique de Mario Monti, qui a fait pleurer jusqu'à sa ministre du Travail. Qu'aurait pensé le peuple français si, face à une envolée des taux d'intérêt (qui ne s'est pas produite), la pression conjuguée de l'Allemagne de Merkel et de la Banque centrale européenne avait conduit à renverser le gouvernement élu et mis à sa place un gouvernement de « techniciens » dirigé par Jean-Claude Trichet? Poser la question, c'est donner la réponse.

Et l'expérience italienne devrait dissuader tous ceux qui rêvent d'un tel grand soir comme seul moyen d'imposer les réformes dont la France repousse sans cesse l'échéance.

Il faut donc prendre le vote des Italiens pour ce qu'il est : un avertissement sérieux, à la fois à la classe politique italienne, droite et gauche confondues, jugée incapable et corrompue, et aux dirigeants européens, pour qu'un meilleur équilibre soit trouvé entre rigueur et croissance. Vu le surendettement de l'Italie, l'une ne va pas sans l'autre, mais les prévisions récentes de la Commission européenne sur la croissance et l'emploi montrent bien que le dosage actuel ne marche pas.

Ce dont l'Europe a besoin, c'est de temps. Du temps que l'Europe a donné à l'Irlande et à la Grèce en acceptant de décaler le remboursement de leur dette, sous la menace d'une révolte des contribuables. Et qu'elle donnera sans aucun doute à tous les pays menacés d'un effondrement démocratique, parce que, en matière de faillite d'État, le risque systémique est avant tout politique. Le seul maître devant lequel l'argent peut se coucher, c'est quand même le peuple souverain et c'est finalement une vérité assez rassurante.

La France donne le signal de ce changement de tempo en imposant de façon assez hypocrite le report d'un an de son objectif de réduction du déficit sous la barre des 3% du PIB. Hypocrite parce que tout le monde savait qu'il était intenable et qu'il ne serait pas tenu. L'opération n'est pas appréciée par le président de la Bundesbank, qui a demandé publiquement à la France de ne pas donner le mauvais exemple en s'exonérant des efforts qui sont acceptés par de plus petits pays. Mais elle rencontre l'indulgence à Bruxelles et dans la plupart des capitales européennes, où l'on reconnaît qu'un effort important a été engagé par la France pour redresser les finances publiques et sa compétitivité.

En 2013, on laissera donc jouer les « stabilisateurs automatiques » keynésiens, c'est-à-dire qu'on ne compensera pas les éventuelles pertes de recettes qui pourraient bien dépasser les 6 milliards estimés par Jérôme Cahuzac, le très rigoureux gardien du Budget. La responsabilité de François Hollande est d'utiliser ce répit à bon escient pour faire reposer à partir de 2014 la réduction des déficits sur celles des dépenses publiques, sans recourir encore à la facilité des hausses d'impôts. Paradoxalement, le signal d'alarme donné par les députés PS pour que soit respectée la stabilité fiscale lui apporte un soutien. Sans apporter de solution à la recherche d'un consensus sur les dépenses, alors que la révolte gronde dans les collectivités locales contre les coupes exigées par Bercy.

Editorial publié dans La Tribune hebdomadaire du vendredi 1er mars 2013

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 21
à écrit le 05/03/2013 à 2:32
Signaler
Monsieur Philippe Mabille, Vous êtes vraiment gêné aux entournures. Le vote de l'Italie est l'aube de la démocratie révolutionnaire qui veut renverser la merdocratie de quelques-uns qui ne laisse qu'un champ de ruines autour d'elle. Faire revoter l'I...

à écrit le 04/03/2013 à 6:10
Signaler
effectivement,quand les médias font du "populaire" sans analyse,les politiques sont démago(et s'enrichissent),il n 'y a pas de démocratie possible...il reste à ces états à etre "hypocrites",à renier leurs signatures,"au nom du peuple"??....relisons v...

à écrit le 03/03/2013 à 18:41
Signaler
Samedi 2 mars 2013 : Beppe Grillo veut renégocier la dette italienne. Beppe Grillo, leader du mouvement Cinq Etoiles (M5S), qui a réuni 25,5% des suffrages lors des législatives en Italie, veut renégocier la dette de son pays, a-t-il indiqué à "Foc...

le 04/03/2013 à 1:17
Signaler
Les obligations ne sont justement pas des actions. Comme leur nom l'indique, elles obligent le débiteur, pas le créancier. Si jamais un Etat fait volontairement défaut (d'ailleurs, un Etat ne peut pas faire défaut involontairement), il paiera quand m...

le 04/03/2013 à 15:22
Signaler
Contre exemple 1 : Argentine. Si des créanciers vont se pointer 1000 ans plus tard pour remboursement, le pays peut répondre 1000 ans plus tard un "merde" aussi sonore. Le seul moyen de forcer un pays à payer c'est de l'envahir. Contre exemple 2 : Co...

à écrit le 03/03/2013 à 15:22
Signaler
C'est quand même un comble de juger que le vote des italiens menacerait la démocratie alors que leur vote est l'expression même de la démocratie, le véritable résultat qu'on doit attendre de ce régime politique. Ou alors, dites-le carrément : vous n'...

le 04/03/2013 à 16:22
Signaler
ce que vous dites à du sens mais Hitler et Mussolini ont été élu par leur peuple, le gouvernement Tojo a été soutenu en masse par le peuple , c est une révolution populaire qui a ammené Lenine et Staline au pouvoir Et tous ces gens comme bien d autre...

à écrit le 02/03/2013 à 20:01
Signaler
Si l'Italie est étranglée, ce n'est pas par les maléfices d'odieuses puissances financières antidémocratiques, mais par le poids de sa dette, dont elle porte seule la responsabilité. Il est trop facile d'accuser les créanciers après qu'ils vous aient...

le 03/03/2013 à 17:38
Signaler
Où l'on en revient à ce que les dettes d'un pays ne devraient pas être détenues par des agents extérieurs, et surtout pas par les banques privées. Un pays qui n'a pas la maîtrise de sa monnaie est à la merci de ses créanciers. De plus, ça coûte cher,...

le 04/03/2013 à 8:41
Signaler
@ JB38 : mais ce nesont pas les banques ou les assurances qui détiennent la dette principalement, ce ne sont que des intermédiaires. Ceux qui détiennent la dette, ce sont les épargnants du monde entier ... Et cela n'a rien à voir avec la maitrise de ...

le 04/03/2013 à 16:25
Signaler
Oui John votre exemple du Zimbawe est tout a fait juste ceci dit c est exactement ce que font les USA et l Angleterre ils font de la monnaie a tout va pour se financer et les trés éclairées agences de notations leur donne du AAA pour AA+ ....

à écrit le 02/03/2013 à 15:48
Signaler
Ayant toujours voté contre ces traités mortifères ( tel que celui de Maastrich ) ou ceux qui sont censés gouverner les peuples prétendent seuls savoir ce qui est bon pour eux , l'état inquiétant des pays concernés et la dégradation économiq...

le 03/03/2013 à 11:47
Signaler
Je ne peux que souscrire à votre analyse.

le 03/03/2013 à 17:45
Signaler
@Bastien Jefferson a raison sur un point. L'Europe des banquiers, l'Europe de la Bundesbank ne sert pas les intérêts des peuples. Elle sert effectivement ceux qui sont gagnant à ce système. D'où la montée régulière d'un anti-européanisme, anti-?uro e...

à écrit le 02/03/2013 à 13:03
Signaler
Italie atteindra cette année le déficit de 3%, comme demande la 'UE, pas la France. Et donc la peine va commencer pour la France.

le 03/03/2013 à 17:52
Signaler
L'Italie, c'est aussi 2 000 milliards de dettes, principalement détenues par les Italiens, mais ce sont des ?uros forts et plus des lires dévaluables.

le 03/03/2013 à 17:52
Signaler
L'Italie, c'est aussi 2 000 milliards de dettes, principalement détenues par les Italiens, mais ce sont des ?uros forts et plus des lires dévaluables.

à écrit le 02/03/2013 à 8:30
Signaler
Bravo pour cet article, Philippe Du style et de la forme, mais qui n'empêchent en rien de poser sur la table questions de fond et vrais sujets

à écrit le 02/03/2013 à 2:38
Signaler
L'avenir en France comme en Italie ne présage rien de bon. Comment cela va-t-il finir ? Sans doute la Rue est-elle appelée à jouer un grand rôle chez nous comme dans d'autres pays de l'Union. Il se pourrait bien que la fin de l'Euro et donc de l'Eur...

à écrit le 01/03/2013 à 21:13
Signaler
Bravo M. Mabille. C'est tellement agréable de trouver ENFIN un journaliste capable de ne pas s'auto-censurer lorsqu'il évoque les élections italiennes et la montée en puissance du M5S. Ce parti est un mouvement démocratique, trans-partisan qui se bat...

le 03/03/2013 à 13:06
Signaler
Rien à ajouter.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.