
« Putain deux ans !» : nous sommes en 1993 et Edouard Balladur vient d'être appelé à Matignon après la nouvelle victoire de la droite pour la deuxième cohabitation de l'histoire de la Ve République. « Putain, deux ans », cette formule, on aurait rêvé que Jacques Chirac le leader du RPR, les LR de l'époque, la prononce vraiment : deux ans avant de devenir, enfin, président. En fait, c'est sa marionnette des Guignols de l'Info, de l'époque où Canal + était vraiment libre, qui a popularisé cette formule qui dit tout du jeu du pouvoir. On ne saura jamais si Chirac l'a vraiment prononcée... On sait en revanche ce qu'il a fallu de trahisons, de coups bas et de rebondissements pour que Chirac l'emporte en 1995 sur Balladur qui, bien sûr, n'a pas tenu la « promesse » de ne prendre Matignon que pour mieux propulser son mentor à l'Elysée...
Nous sommes au printemps 2023, 30 ans plus tard, et la même formule, à peu de chose près, pourrait s'appliquer à la situation française : « Putain, 4 ans ! », c'est ce que bon nombre de personnalités politiques doivent se dire alors que le président Macron célébrait cette semaine le premier anniversaire de son deuxième quinquennat, soit six ans déjà à l'Elysée, et encore un CDD de quatre ans devant lui.
En ce 1er mai, ce lundi, où les syndicats seront unis pour la première fois depuis la crise financière de 2009 (et 1947 sinon) pour défiler ensemble lors d'une Fête du Travail, va se jouer la fin d'une séquence difficile, qui a profondément divisé les Français. On entre désormais dans une nouvelle ère que le chef de l'Etat a lui-même nommée les « 100 jours », oubliant sans doute que cette période de notre histoire s'était mal terminée.
En réalité, Emmanuel Macron s'est offert, en plus d'une casserolade générale, du répit, renvoyant la balle et la pression sur sa Première ministre et sa « feuille de route » intenable. Qui peut croire qu'Elisabeth Borne parviendra, d'ici au 14 juillet, ou d'ici la rentrée si le temps politique s'étend jusqu'aux Sénatoriales, à mettre en œuvre les promesses du président.
Tout prof absent sera remplacé, nous assure-t-il... L'hôpital sera guéri de ses maux, en particulier les urgences en urgence absolue, comme on l'a déjà vu l'été dernier et rien n'a vraiment changé. On aimerait y croire. Ah si, il y a une mesure annoncée qui semble simple et facile à mettre en œuvre, celle concernant la fabrication des papiers d'identité et des passeports. Comment comprendre que les délais soient aussi longs dans un pays aussi sur-administré que la France. S'il fallait une preuve que rien ne marche plus comme avant. Mais on attend de voir cette promesse de diviser par deux les délais devenir réalité. Surtout, ce qui est devenu incompréhensible, c'est qu'il faut désormais faire 30 à 50 km pour aller chercher ses papiers dans une mairie. Mais pourquoi l'Etat et les collectivités locales ne sont-ils pas capables de le faire dans la commune du domicile ? Même Amazon fait mieux ! Alors, qu'ils prennent conseil auprès de McKinsey si besoin, mais on attend un peu de sens pratique pour une fois.
Voir le chef de l'Etat s'attaquer aux défis du quotidien pour donner à voir du résultat est en tout cas une bonne nouvelle. Cela veut dire qu'il a pris conscience qu'au-delà du conflit sur l'âge de départ à la retraite, qui a coagulé les mécontentements, c'est à une colère plus profonde qu'il fait face. Les Français en colère veulent lui dire que « En Marche », en fait, « ça ne marche pas » ! Ce que Macron doit résoudre, pour les quatre ans qui lui restent, c'est en fait la fin de la crise des Gilets Jaunes. Et il doit le faire dans un environnement plus contraint. L'inflation est en train de miner la croissance avec un impact sur le pouvoir d'achat. La France échappera peut-être à une récession, mais pas à un très fort ralentissement économique.
Dans ce contexte, alors que le gouverneur de la Banque de France fronce les sourcils sur les déficits, qui sont les plus élevés de la zone euro, Emmanuel Macron n'a en principe pas les moyens de faire de la relance budgétaire. Le quoi qu'il en coûte, c'est fini, assure Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances, affolé par l'envolée des taux et des charges de la dette. Son ministre du Budget et des Comptes publics, Gabriel Attal, dont le bureau est situé un étage plus bas à Bercy, dit la même chose le lundi, puis annonce des baisses d'impôt le jeudi afin de redonner de l'air aux classes moyennes. Faudrait savoir ! C'est la rigueur ou pas ???
C'est que l'heure est à panser les plaies. Certes, les entreprises augmentent les salaires, en différé et en moyenne, si l'inflation retombe bien vers les 2% d'ici fin 2024, comme prévu, le pouvoir d'achat sera préservé. Mais il faut maintenant retrouver les électeurs perdus qui fuient vers le vote extrême, vers Marine Le Pen, qui si l'on en croit les sondages, sera élue en 2027. « Je suis le seul à pouvoir la battre », aurait assuré Laurent Wauquiez, le très silencieux candidat naturel de la droite. Quatre ans à attendre encore pour le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Qui dit exactement la même chose que ce qu'assurait avant 2022 celui des Hauts-de-France, Xavier Bertrand.
L'échéance est encore lointaine et à droite comme à gauche, l'heure est plus à travailler sur un projet qu'à penser que le fruit tombera tout cuit dans leur gamelle. Le travail, justement, voilà le grand sujet. Comment aller au-delà du 1,7 million d'emplois créé sous Emmanuel Macron ? Comment augmenter les revenus des classes moyennes alors que la hausse du Smic au 1er mai écrase les échelles salariales ? Elisabeth Borne ouvre tous les chantiers à la fois et aimerait renouer le dialogue avec les syndicats pour être en charge de cet agenda social qui est l'essentiel de sa feuille de route. L'après 1er mai a déjà commencé, au moins dans les esprits. C'est une façon aussi pour elle d'allonger la durée de sa présence à Matignon.
Les enjeux sont majeurs : augmenter le taux d'emploi des seniors pour éviter que la réforme des retraites ne conduise les entreprises à les faire passer par la case chômage entre 62 et 64 ans ; former aux emplois de demain et lutter contre les pénuries de main d'œuvre dont se plaignent les entreprises ; adapter le travail à l'arrivée des nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle ; tirer les leçons de la crise sanitaire et prendre en compte les nouvelles exigences de souplesse des salariés. Quel partage de la valeur pour éviter que se creuse les inégalités ? Comment accélérer la décarbonation de l'économie ? Ces chantiers sont désormais plus du ressort des entreprises que de l'Etat et vont occuper les esprits bien au-delà des quatre dernières années du quinquennat d'Emmanuel Macron.
Sujets les + commentés