Fini les pots au bureau : l'ambassadeur de la sobriété prend le pouvoir

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Bruno Le Maire va passer plus de temps à surveiller la météo que les chiffres de l'Insee au cours d'un hiver de tous les dangers pour l'économie française. Comment éviter le black-out électrique quand 32 réacteurs nucléaires sur 58 sont à l'arrêt et que Poutine joue avec le robinet du gaz : passer un deal énergétique avec l'Allemagne en lui vendant notre gaz pour lui acheter son électricité.
Philippe Mabille

Souffler le chaud et le froid, ou plutôt le froid, voire le glacial, puis le chaud, voilà la stratégie à laquelle est condamné le gouvernement dont la communication sur les mois qui viennent cahote sur un chemin escarpé : entre dramatiser et rassurer, le voici à la merci de la présentation de la météo : « Winter is coming » disent les uns, à l'annonce par le chef de l'Etat de la fin de l'abondance. « Still Summer » a affirmé le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, mardi au Medef sous un soleil caniculaire, au lendemain d'une intervention de « la Première ministre » qui n'a pas hésité à brandir la possibilité de délestages voire de rationnements cet hiver tout en enjoignant les entreprises de lui soumettre d'ici octobre leur plan de sobriété (et de nommer un référent dédié à la chasse au gaspi). « Les entreprises n'ont pas attendu ces injonctions pour se préparer à la sobriété » lui répond dans La Tribune Patrick Martin, le numéro 2 du Medef.

Surtout, les Français découvrent, deux ans après un confinement révélateur des fragilités de notre économie en matière de santé, que la sixième économie mondiale pourrait se retrouver du jour au lendemain au bord du black-out énergétique. Un hiver très froid, en France et en Allemagne, en même temps, des livraisons de GNL américain retardées dans nos ports, voilà le scénario noir que craint Bercy. Pour prédire la croissance 2023, Bruno Le Maire va passer plus de temps à regarder les bulletins de Météo France que les chiffres de l'Insee...

Arrogance française ou simple déni de réalité ? Le même pays qui se sentait grâce au nucléaire à l'abri de toute crise de l'énergie se réveille en septembre 2022 avec 32 réacteurs sur 58 à l'arrêt pour maintenance avec dans certains cas de graves problèmes de corrosion. Un désastre industriel et économique. Lors de la Rencontre des entrepreneurs de France, Jean-Bernard Lévy, patron d'EDF renouvelé par Emmanuel Macron et dont le départ est imminent, n'a pas hésité à dénoncer les injonctions contradictoires des politiques, dont l'actuel président de la République. Le même qui voulait fermer 12 centrales en 2018 pour faire plaisir à Nicolas Hulot a changé de pied en 2022 en annonçant un programme de construction de 8 voire de 14 EPR... Quelle politique de Gribouille ! Sachant qu'il faut dix ans (voire 20 ans à Flamanville, toujours pas lancé) pour en construire un, qu'EDF est ruiné et va donc être « nationalisé » cet automne, on est bien dans le temps long décrit par le ministre de l'économie.

C'est toute la difficulté de la période actuelle : trouver le bon équilibre entre le court terme et le moyen long terme. Former des soudeurs pour relancer la filière électronucléaire française prendra plus de temps que de nommer un nouveau patron ou patronne chez EDF. D'où une action en deux temps : consommer moins, tout de suite, et produire plus, le plus vite possible. Sur ce second point, on peut voir une forme de pression la déclaration d'Elisabeth Borne espérant que 10 réacteurs seront bientôt remis en route par EDF...

L'autorité de sûreté nucléaire (ASN) fait-elle du zèle comme l'en accuse un banquier français ? Le risque nucléaire étant en quelque sorte le risque suprême, on comprend que la décision soit difficile à prendre. En attendant, nous sommes donc invités à la fin de l'insouciance et de fait cela marche. Les Français n'ont pas attendu « la fin de l'abondance », un coup de pub inespéré pour ce fromage de Savoie, pour agir : selon Engie, la consommation de gaz des Français a déjà baissé de 4%... Mais n'en déplaise à Bruno Le Maire, l'hiver approche... La vraie inquiétude pour les ménages n'est pas tant pour cette année que pour l'an prochain, surtout pour ceux qui ne bénéficieront plus du fameux bouclier tarifaire. Mais c'est surtout pour les entreprises que la situation est inquiétante : face au cauchemar des coupures, tous les grands secteurs industriels communiquent pour prévenir des conséquences d'un éventuel rationnement. Juliette Raynal a fait le compte des impacts potentiels sur l'économie.

Des entreprises sont déjà pénalisées et recourent au chômage partiel, comme les cristalleries d'Arc ou le fabricant de verres Duralex. Acculées par la flambée des prix, les entreprises tirent la sonnette d'alarme.

La flambée des prix de l'énergie risque aussi de freiner la stratégie de relance de l'industrie voulue par le gouvernement. Mais c'est un peu contradictoire de vouloir réindustrialiser alors que l'Etat distribue des aides aux ménages et menace de rationner l'énergie pour les entreprises, souligne Fabrice Gliszczynski. Le contexte est même plutôt dissuasif.

Après avoir longtemps refusé d'y consentir, Bruxelles rejoint par Berlin se range enfin aux arguments de bon sens de la France : réformer le fonctionnement du marché européen de l'énergie. Mais comme l'explique Marine Godelierdécoupler les prix du gaz de ceux de l'électricité comme le réclame Paris n'est pas simple. On peut en revanche modifier des règles devenues contre-productives pour réduire les pics d'un marché de l'électricité dont la boussole est devenue folle.

A la suite du Conseil de défense exceptionnel sur l'énergie ce vendredi, l'exécutif s'est montré plutôt rassurant « Nous avons activé tous les leviers à notre main pour préparer l'hiver », a affirmé la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Le mot d'ordre : économiser l'énergie, et « faire jouer la solidarité européenne » afin d'éviter le pire. En clair, la France va vendre à l'Allemagne du gaz et lui acheter son... électricité. Le monde à l'envers....

Marine Godelier propose aussi une enquête passionnante en trois volets sur les fournisseurs d'électricité, à qui la commission de régulation de l'énergie promet de serrer la vis suite à des soupçons d'effets d'aubaine au détriment d'EDF et des clients. La crise actuelle pourrait bien mettre fin à la jungle des tarifs et au passage nettoyer le marché. Une débâcle qui met en lumière les défaillances de l'ouverture à la concurrence. Celle-ci a eu pour effet, contraire aux attentes, d'aggraver la crise et de ruiner EDF et ... les finances de l'Etat obligé de compenser les pertes.

Pour en sortir, nous serons bientôt condamnés à pédaler, tels les Shadoks. A Paris, le scooter à moteur thermique vit ses derniers instants, condamné par une régulation dont l'objectif est de l'éradiquer purement et simplement de la ville. Tous à vélo : une entreprise du Loiret repérée par notre correspondant Guillaume Fischer a même inventé le vélo électrique « sans batterie ».

 Ce n'est peut-être qu'un mauvais moment à passer. Poutine nous aura finalement juste aidés à nous désintoxiquer du carbone. A condition de passer l'hiver, l'avenir s'annonce formidable...

Philippe Mabille, Directeur de la rédaction

Twitter @phmabille

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Commentaires 5
à écrit le 05/09/2022 à 9:51
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Allo, allo, y a t-il un redacteur en chef a La Tribune ? Y a-t-il un pilote dans l'avion ?

à écrit le 03/09/2022 à 18:45
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Allons, ne nous affolons pas : on nous a annoncé en grandes pompes au printemps, et avec une satisfaction manifeste, que l'Ukraine avait été connectée au réseau électrique européen. On va avoir de l'aide, c'est sur...

à écrit le 03/09/2022 à 13:36
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hmm hmm pas tres malin. pas visum pour les russes = pas de gas pour l europe

à écrit le 03/09/2022 à 9:50
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"32 réacteurs nucléaires sur 58 sont à l'arrêt" à cause d'une révision décalée suite à covid, ou de révision habituelle (voire anticipée pour ne pas tomber en hiver, période critique), puis redémarrage pour l'hiver, sauf 5, je crois, problème de corr...

le 03/09/2022 à 10:55
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C est pas 5 qui sont atteind de corrosion mais une vingtaine… ensuite le manque d eau des cours d eau servant au refroidissement+ le covid+ le manque de personnel qualifié ( 300 postes spécialisé en souffrance depuis 2 ans. Et impossible de faire ap...

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