Quatre jours seulement ont séparé l'annonce dimanche dernier par Bruno Le Maire de la révision à la baisse de la croissance et la publication jeudi matin du décret annulant d'un trait de plume 10 milliards d'euros de crédit du budget 2024, voté il y a à peine deux mois. Parfois, Bercy sait se montrer efficace dans l'usage du fameux « rabot » qui trône à la direction du budget...
À propos, connaissez-vous l'histoire de cet instrument destiné au départ à réduire copeau après copeau l'épaisseur d'une pièce de bois ? Née en 1919 du traumatisme de la Grande Guerre, dont le financement a laissé la France exsangue, la direction du Budget inventa très tôt, dès 1922, la technique dite du « verrou » budgétaire, le premier instrument coercitif destiné à geler des dépenses. Dix ans plus tard, un ministre du Budget dénommé Palmade imposa le premier abattement forfaitaire, à hauteur de 5 % des crédits votés : le rabot était né et promis à un bel avenir... Parfois remplacé par le « robinet » et le « sextant » parmi les outils permettant à la direction du Budget, tour à tour menuisier et plombier, de limiter les fuites d'un État de plus en plus obèse.
Avec 3 100 milliards d'euros de dette publique, soit 110 % du PIB, la crise des finances publiques ne permet plus de stratégie d'évitement. Le « quoi qu'il en coûte », c'est terminé, et l'État n'a plus les moyens d'ouvrir des guichets, même pour résoudre la crise agricole. Notre modèle social est en danger, reconnaît le ministre de l'Économie et des Finances. Reste à prendre des mesures à la hauteur de la situation.
Avec un ratio de dépenses publiques représentant 56 % du PIB, soit 1 575 milliards d'euros, la France affiche le niveau le plus élevé des grands pays de l'OCDE. En économisant 10 milliards d'euros dans cet océan de dépenses, on est encore loin d'un tournant de la rigueur. Seul l'État, a assuré Bruno Le Maire, est à ce stade appelé à se serrer un peu la ceinture. Les dépenses d'avenir trinquent, à l'image de MaPrimeRénov, un dispositif dont l'effarante complexité bride de toute façon le bon fonctionnement.
Le gouvernement doit trouver au moins 12 milliards d'euros d'économies en 2025
Conformément à la promesse d'Emmanuel Macron, il n'y a pas (encore) de hausse d'impôts à l'horizon. Mais, au Medef, on commence à comprendre que la suppression des impôts de production, notamment de la CVAE, est reportée à la saint-glinglin. Alors que les agences de notation veillent au grain, avec un verdict attendu au printemps, le ministère des Finances commence à envisager de passer du rabot à la tronçonneuse, à l'image de celle brandie par le président Milei en Argentine. Car on n'en a pas fini avec les économies. La prévision de la croissance française reste surestimée : le consensus des économistes est plus proche de 0,6 % que des 1 % désormais prévus pour cette année. Le gouvernement doit trouver au moins 12 milliards d'euros d'économies en 2025, moitié pour l'État, moitié pour la Sécurité sociale.
Les Français doivent se préparer à des annonces beaucoup plus douloureuses, que le gouvernement Attal va devoir assumer. Bercy a déjà fait sa liste de courses. Parmi les premières cibles, les retraités, dont les pensions, qui ont été plus revalorisées que les salaires, ne seraient plus indexées sur l'inflation. La dernière fois que le gouvernement Macron avait gelé les retraites, au début du quinquennat, cela s'est terminé avec les Gilets jaunes.
Autre idée en vogue, réduire la prise en charge des affections de longue durée : le diabète, les cancers, certaines maladies cardiaques ne seraient plus remboursées à 100 %, le reste à charge étant renvoyé vers les mutuelles. Au risque d'une nouvelle flambée des tarifs des complémentaires santé. Une hausse d'impôt qui ne veut pas dire son nom, donc.
Des économies sont aussi demandées au régime d'indemnisation du chômage, que le président de la République veut durcir afin d'encourager un retour plus rapide à l'emploi. La mesure serait prise après la fin de la négociation sociale en cours sur l'emploi des seniors.
Enfin, Bercy aimerait bien tailler dans les 26 milliards d'euros de crédits non consommés par France 2030. Bruno Bonnell, le secrétaire général pour l'investissement, a beau dire que le budget des dépenses d'avenir a été sanctuarisé dans le budget 2022, ce qu'une loi a fait, une autre loi peut la défaire... D'autant que l'impact économique réel du grand plan d'investissement de 54 milliards d'euros annoncé par Emmanuel Macron reste encore très imprécis. Plus qu'un rabot, c'est un bon coup de hache que risque de subir le Secrétariat général pour l'investissement.
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