Washington - Bruxelles : jeu de miroirs

L'Amérique a beaucoup donné à l'Europe. Elle lui a notamment légué sa politique de la concurrence, étroitement inspirée du Sherman Act de 1890. Mais l'élève a dépassé le maître. Non contente d'utiliser contre des entreprises américaines (Microsoft et, demain, Intel) ses pouvoirs, la Commission pourrait inspirer la nouvelle politique de l'administration Obama dans ce domaine. Démonstration avec la condamnation attendue demain du géant Intel dont les processeurs équipent une part extravagante des ordinateurs vendus dans le monde.

Souvenez vous: Microsoft, 2004. Mario Monti met au carré la puissance normative européenne en condamnant le monopole de Redmond à une amende record d'un demi milliards d'euros. Et le commissaire à la concurrence lui demande en outre de livrer le secret de son système d'exploitation de serveurs à ses concurrents. L'administration républicaine, qui vient de régler à l'amiable avec Microsoft de multiples procédures introduites par ses concurrence malheureux, crie au scandale. Mais quelle est donc cette autorité européenne qui prétend réguler la nouvelle économie? La Commission ne bronche pas. Monti persiste. Neelie Kroes, son successeur au poste de commissaire européen à la concurrence, signe.

Pire, elle "ouvre la boîte à gifles", comme le dit un lobbyiste. Au fil des ans, la plupart des grandes entreprises des technologies de l'information mondiales (c'est-à-dire principalement américaines), d'Intel à Qualcomm en passant par IBM et Apple, ont des démêlés avec la direction générale de la concurrence. Toutes sont accusées de tirer une rente indue de leur position de force dans la chaîne de fabrication des produits et services informatiques. Ces entreprises sont d'ailleurs bien souvent à l'origine des déboires de leurs concurrentes. Si bien que la "DG Comp" (direction générale de la concurrence) fait parfois penser à un champ de luttes où s'écharpent ces géants globaux sous l'oeil de l'arbitre européen. En condamnant Intel, comme la Commission devrait le faire le 13 mai, l'Union européenne n'innove pas vraiment. Elle confirme qu'à ses yeux, le pouvoir d'une entreprise sur un marché doit être limité, quitte à composer avec la protection des droits de propriété intellectuelle. Qu'en d'autres termes, la propension naturelle des entreprises de la nouvelle économie à renforcer leur position dominante (propension qui s'explique par les rendements croissants de cette industrie) doit être combattue au nom de la juste concurrence. Cette position n'est pas nouvelle et avait été brillamment exposée par Mario Monti en son temps. Ce qui est nouveau, en revanche, c'est que l'Europe est sur le point de rallier les Etats-Unis à cette cause. La nouvelle directrice de l'antitrust au département de la justice américain Christine Varney, l'homologue de Mme Kroes en quelque sorte, vient d'annoncer un revirement de la politique américaine, comme le rapporte le Financial Times du 12 mai. Les administrations Bush - et même Clinton - s'étaient montrées fort accomodante avec les géants qui ont conquis le monde de l'informatique (et même le monde tout court) depuis la côte Ouest des Etats-Unis. L'administration Obama voit apparemment les choses autrement. "Dans une société libre, le gouvernement doit intervenir quand la concurrence est menacée", a déclaré C. Varney. Certes Barack Obama n'est pas allé demander à José Manuel Barroso l'autorisation d'infléchir sa politique antitrust. Mais serait-il en mesure de le faire si, en 2004, la Commission Prodi n'avait pas eu le culot de faire jouer à Bruxelles le rôle de gendarme auquel Washington se refusait alors (les multiples procédures américaines contre Microsoft avaient débouché sur un règlement amiable) ? Obama ne serait-il pas moins bien armé aujourd'hui pour résister aux assauts des lobbyistes de Washington si l'Europe n'avait créé un précédent ? Probablement pas.

F. A.

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