2045 : L’âge de la finance algorithmique

#30ansLaTribune - La Tribune fête ses 30 ans. A cette occasion, sa rédaction imagine les 30 événements qui feront l'actualité jusqu'en 2045. Nous sommes le 15 janvier 2045 : demain, jeudi 16 janvier 2045, la première capitalisation bancaire mondiale présentera ses résultats, au titre de l'exercice 2044. Il y a un an tout juste, l'intelligence artificielle Iamtheboss prenait la direction du groupe.
Christine Lejoux
"Tout ce qu’a prédit Iamtheboss jusqu’alors s’est réalisé, à commencer par l’énorme krach des valeurs technologiques survenu en mars 2040."

Une - Intelligence artificielle banque

En apparence, rien n'a changé au 200 West Street, à New York, où l'imposant gratte ciel construit il y a 35 ans par l'architecte Ieoh Ming Pei abrite toujours le siège social de Goldman Sachs. En cette journée glaciale du 15 janvier 2045, comme à chaque veille de présentation des résultats annuels de la banque, ses administrateurs convergent vers l'immense salle du conseil, afin de s'atteler à l'examen des comptes de l'exercice 2044. En réalité, un changement majeur s'est produit chez Goldman, il y a tout juste un an, et la présentation des résultats annuels, demain, sera l'occasion d'en dresser un premier bilan.

Ce changement, c'est l'homme qui s'approche à présent de la table du conseil, et qui fait signe aux administrateurs de s'asseoir. Son visage est un étonnant mélange des traits de Michael Douglas et de Leonardo Di Caprio, héros respectifs des vieux films « Wall Street » (1987) et « Le Loup de Wall Street » (2013). D'ailleurs, tout comme le Gordon Gekko d'Oliver Stone et le Jordan Belfort de Martin Scorsese, l'homme qui vient de prendre place au bout de la table porte l'indémodable costume rayé des banquiers d'affaires, et ne prend nullement soin d'éteindre son non moins traditionnel cigare. Rien ne le distingue donc en apparence d'un autre patron de grande banque, si ce n'est la fixité de son regard et l'inamovibilité de son visage.

Une intelligence ultra sophistiquée

C'est qu'Iamtheboss, c'est son nom, n'est pas un être humain. C'est un robot humanoïde, doté d'une intelligence artificielle, c'est-à-dire d'algorithmes d'auto-apprentissage (deep learning) qui, couplés à la technologie du big data, lui permettent de manipuler et de créer des concepts d'une incroyable sophistication. Fort d'une puissance de calcul sans commune mesure avec celle de son « papa », le robot Watson d'IBM, qui était déjà capable de découvrir en quinze jours des molécules utiles au traitement de certains cancers, contre une année pour des chercheurs humains, Iamtheboss engloutit le passé et le présent des marchés financiers, de la macro-économie, de la vie des entreprises, les digère, les croise, les recroise et en crache des thèses d'investissement. Iamtheboss, c'est la Abby Joseph Cohen de 2045, du nom de la stratégiste- star de Goldman Sachs dans les années 2000.

A ceci près qu'Iamtheboss ne s'est encore jamais trompé. Tout ce qu'il a prédit jusqu'alors s'est réalisé, à commencer par l'énorme krach des valeurs technologiques survenu au mois de mars 2040. Un krach dont Goldman Sachs a tiré un tel bénéfice, sur le plan stratégique, qu'il lui était impossible de cantonner le brillant Iamtheboss à la salle des marchés. La banque se devait au contraire de le porter aux plus hautes fonctions. Ses actionnaires ne se sont pas fait prier, au regard de la flambée du cours de Bourse, ces cinq dernières années, qui fait aujourd'hui de Goldman Sachs la première capitalisation boursière du secteur bancaire, dans le monde.

Goldman Sachs, « la banque qui dirige le monde »

En effet, grâce à la sagacité du discret Iamtheboss, Goldman Sachs, en ce début d'année 2045, mérite plus que jamais d'être surnommée « la banque qui dirige le monde. » Certes, dès 2015, son patron de l'époque, Llyod Blankfein, avait imaginé diversifier l'activité de la célèbre banque de Wall Street vers les prêts en ligne aux particuliers et aux PME. Au fil des années, Goldman Sachs était ainsi devenue un acteur respectable du « crowdlending », mais pas suffisamment pour rivaliser avec les géants mondiaux du secteur, Lending Club et Prosper, des « pure players » du financement participatif. Jusqu'à ce qu'Iamtheboss commence à exclure les valeurs technologiques de ses allocations d'actifs, suggérant ainsi une survalorisation du secteur.

Un an plus tard, en mars 2040, donc, c'était l'éclatement de la bulle « tech », et Goldman Sachs, mis au parfum depuis 12 mois par Iamtheboss, n'avait plus qu'à se baisser pour racheter, pour une bouchée de pain, les plus belles « fintech », ces entreprises nées il y a une quarantaine d'années dans le but de révolutionner les services bancaires en replaçant le client au centre du jeu. L'une des plus belles prises de Goldman Sachs a justement été le rachat de Lending Club, grâce auquel la banque américaine est devenue le numéro un mondial du prêt en ligne aux particuliers et aux PME. A noter que, pour commercialiser ces offres, le géant de Wall Street a sagement choisi de garder la marque Lending Club, autrement plus populaire auprès du grand public que celle de Goldman Sachs, rendue tristement célèbre par son rôle dans la crise des « subprimes » (crédit hypothécaires américains risqués), en 2007.

Les conseils avisés d'Iamtheboss

Parallèlement, la banque s'est renforcée ces dernières années sur son coeur de métier, à savoir les activités de marché. Là encore, Iamtheboss a joué un rôle déterminant, en alertant Goldman sur l'écroulement à venir des valorisations des banques d'investissement européennes. Gênées aux entournures par un poids réglementaire qui n'a jamais faibli au cours des 30 dernières années, celles-ci ont dû se résoudre à abandonner de substantielles parts de marché à leurs concurrentes américaines.

L'an dernier, les banques américaines se sont ainsi arrogé 65 % des émissions obligataires libellées en euros, et 90 % de l'ensemble des grandes opérations financières dans le monde. Des proportions qui se limitaient respectivement à 22 % et à 59 % il y a 30 ans. Eh oui, le lobby bancaire européen des années 2015 avait vu juste, ce sont aujourd'hui les Goldman Sachs et autre Morgan Stanley qui financent les entreprises européennes, au détriment des banques du Vieux Continent. « Des » banques ? Il serait plus exact de parler de « la » banque, car HSBNPP demeure la seule vraie grande banque européenne, à l'issue de la récente consolidation du secteur. Une consolidation à laquelle Goldman Sachs a activement participé, grâce aux bons conseils de l'infaillible Iamtheboss. Résultat, Goldman est devenue aujourd'hui, ironie du sort, une très grande banque universelle, présente tant sur les marchés qu'en banque de détail, c'est-à-dire le modèle âprement défendu par les banques européennes durant des décennies.

Et l'instinct dans tout ça ?

Tout cela ne serait pas sans Iamtheboss, les administrateurs de Goldman Sachs en ont pleinement conscience, qui scrutent, avec un mélange de peur et d'admiration, le visage impassible de l'intelligence artificielle qui préside la table. L'un de ces sages, le plus âgé, ancien investisseur hors pair, semble cependant moins fasciné que les autres. George Cossoros n'oublie pas qu'il manque quelque chose à Iamtheboss, quelque chose de fondamental pour devenir un grand chef d'entreprise : l'instinct. Iamtheboss, c'est le rationnel, le format, tout sauf la sensibilité, l'intuition des êtres humains. Cette intuition incroyable dont fait déjà preuve Warren Dubuffet, un jeune analyste financier embauché par Goldman Sachs il y a deux ans. Le garçon a non seulement du flair en matière d'investissement, mais il n'a pas non plus son pareil dans le domaine des relations humaines. « Le genre de type qu'on suit au bout du monde », songe Cossoros.

Certes, de son côté, Iamtheboss sait reconnaître un collaborateur fatigué d'un employé au sommet de sa forme, et s'adapter à ces différents états émotionnels. « Enfin, s'adapter, c'est vite dit... Je le vois encore proposer un de ses immondes cigares à Mark, sous prétexte que cela avait détendu David trois jours plus tôt, sauf que le pauvre Mark essaie, lui, d'arrêter de fumer depuis deux mois... Alors, de là à être capable de gérer les carrières de 30 000 collaborateurs... », rit sous cape George Cossoros. Et l'ancien financier-star de se prendre à rêver : « Ah, transférer l'esprit de Dubuffet dans Iamtheboss... Ce sera peut-être possible dans 30 ans... »

Christine Lejoux

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Commentaires 6
à écrit le 16/12/2015 à 2:11
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En 2045, j'aurai 98 ans. Goldman Saks n'existera pas en 2045, mais sera rachete par GlobalFinance, qui a rachete Google, Apple et Samsung, grace a son algorithme-robot BRAX, lequel a predit tous les cours a la hausse dans le monde et tous le cours a...

à écrit le 16/12/2015 à 2:11
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En 2045, j'aurai 98 ans. Goldman Saks n'existera pas en 2045, mais sera rachete par GlobalFinance, qui a rachete Google, Apple et Samsung, grace a son algorithme-robot BRAX, lequel a predit tous les cours a la hausse dans le monde et tous le cours a...

à écrit le 11/12/2015 à 19:19
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Au finale, les règles financières c'est l'homme qui décide de les inventer et en faire des conventions. Rien ne dit qu'on ne pourra tout simplement, par choix politico-social et morale, mettre dans la poubelle des fausses mathématiques algorithmiques...

à écrit le 11/12/2015 à 18:34
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Je suis assez sidéré que l'on pense que les banques actuelles continueront à perdurer après 2030 alors que le monde change, qu'il y a u rejet massif par la population et de plus en plus de gouvernements des manipulations des cotation des matière prem...

à écrit le 11/12/2015 à 17:52
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on va etre clair la finance algorithmique n'a jamais fait gagner d'argent a qui que ce soit.... on nous a gave avec les modeles conditionnellement heteroskedastiques ( garch et consors), avec les memoires longues ( arfima et consors), maintenant c'e...

à écrit le 11/12/2015 à 17:31
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Oui, pour mémoire les deux personnages des films finissent mal. On nous dira finalement comment se termine la chevauchée du robot dans ce récit... cependant bien loin de la réalité. En effet les entreprises disparaissent en se concentrant à grande vi...

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