2025 : Alphabet démantelé par l’Antitrust américain

#30ansLaTribune - La Tribune fête ses 30 ans. A cette occasion, sa rédaction imagine les 30 événements qui feront l'actualité jusqu'en 2045. Le 11 juin 2025 : Suite au scandale des Alphabet Leaks et aux accusations multiples d'abus de position dominante, la Federal Trade Commission, l'autorité de la concurrence américaine, a prononcé hier les démantèlement de "La Pieuvre" Google. Alphabet, sa maison-mère, sera scindée à partir du 1er juillet en 29 entreprises indépendantes. Retour sur la chute d'un géant.
Sylvain Rolland
"Les consommateurs ne seront pas affectés par le démantèlement."

Une - Alphabet

Washington, 17h26, vendredi 10 juin 2025. Droit comme un « i » dans un costume sombre, Spencer Benioff s'avance sur l'estrade, construite le matin même devant le siège de la Federal Trade Commission. Exceptionnellement, le président de l'autorité américaine de la concurrence s'apprête à parler en plein air, devant une foule de plusieurs milliers de personnes et les caméras du monde entier. Il faut dire que l'événement est historique. Une première depuis 114 ans et le démantèlement, en 1911, du roi du pétrole Standard Oil.

Avant de rejoindre le pupitre, Spencer Benioff s'arrête quelques secondes pour saluer le président américain, le républicain Marc Rubio. Puis, dans un silence assourdissant, seulement troublé par le crépitement des drones-photographes, il délivre enfin la sentence. « Je mesure la gravité de cette décision, mais elle paraît à la fois inévitable et salutaire. En abusant de sa position dominante dans de nombreux secteurs, en manipulant son moteur de recherche pour servir ses intérêts et en utilisant de manière abusive et non-transparente les données personnelles de ses utilisateurs, Alphabet et notamment sa filiale Google ont trahi leurs valeurs fondatrices et représentent désormais un danger pour la libre concurrence et la démocratie en général. Pour ces raisons, la Federal Trade Commission a décidé son démantèlement en 29 entreprises indépendantes à compter du 1er juillet prochain », annonce-t-il d'une traite. Immédiatement, les applaudissements, cris et sifflets jaillissent de partout dans la foule. Alphabet est mort, vive Alphabet !

L'impact déterminant des « Alphabet Leaks »

La nouvelle a été accueillie avec soulagement des deux côtés de l'Atlantique. La présidente de la Commission européenne, la danoise Margrethe Vestager, a publié sa réaction dans la minute sur Unionfeed, le réseau social de l'UE. L'ancienne commissaire en charge des questions de concurrence se réjouit d'une « décision historique » et appelle les Etats-Unis et l'Europe à « mener ensemble une réflexion de fond sur une régulation commune des plateformes Internet ». Un serpent de mer depuis dix ans... Même son de cloche du côté de Manuel Valls, le président français, qui a salué « une mesure indispensable, bien que tardive, pour restaurer la confiance dans l'économie ».

Concrètement, Alphabet sera démantelé en 29 entreprises distinctes. Comme une pieuvre dont on couperait tous les bras. L'objectif ? Séparer les différentes filiales d'un empire valorisé à près de 1 000 milliards de dollars (deux fois plus qu'en 2015), dont l'impact sur les citoyens et les entreprises est plus fort que celui des Etats. Et en finir, aussi, avec la situation ubuesque d'une entreprise tout à la fois moteur de recherche, fournisseur de logiciels et d'infrastructures (le système d'exploitation Android, le réseau de fibre optique Fiber, Google Cloud, le réseau de santé connectée Health créé en 2017...), mais aussi premier acteur mondial de la voiture autonome et éditeur de nombreux services utilisés par des milliards de personnes (Gmail, Google Maps, YouTube...).

« Les filiales d'Alphabet s'étaient engagées à ne pas s'échanger des données entre elles, rappelle Matthieu Desinard, analyste chez Gartner. Mais les révélations des Alphabet Leaks, orchestrées par d'anciens cadres haut placés, ont prouvé que des données sensibles issues de leurs services bancaires et de santé étaient aussi réutilisées à des fins commerciales, de façon non-transparente pour les utilisateurs et en violation des lois antitrust et sur le respect de la vie privée », poursuit-il.

Ainsi, les activités liées au moteur de recherche (75 % du marché américain contre 65 % il y a dix ans) seront regroupées dans une entreprise indépendante. Toutes les autres activités d'Alphabet seront séparées. Citons Google Glass, le numéro un mondial des lunettes intelligentes, Calico (le laboratoire à l'origine de la « pilule régénératrice » qui ralentit le vieillissement de la peau, vendue depuis l'an dernier), Nest (gamme de 50 objets connectés), Deepmind (l'entreprise pionnière de l'intelligence artificielle) et la banque en ligne Paytrust, qui a fêté le mois dernier son cinquième anniversaire. Les consommateurs ne seront pas affectés par le démantèlement, promet l'Autorité de la concurrence. « Attendez-vous à des changements dans les prochains mois, mais tous les services et produits continueront à fonctionner normalement », a aussi rassuré Alphabet dans un billet de blog.

L'opération « anti-Android » des constructeurs automobiles a payé

Les révélations des Alphabet Leaks de 2022 ont ouvert la boîte de Pandore, déclenchant une crise de confiance majeure entre la firme de Mountain View et de plus en plus d'utilisateurs. Grâce à sa force de frappe en terme de communication et au renvoi rapide des équipes dirigeantes des filiales incriminées par les fuites, Alphabet a su, dans un premier temps, contenir l'hémorragie. Mais cette crise a réveillé la classe politique et encouragé certains lobbys à s'attaquer aux monopoles du géant.

Le plus efficace a indéniablement été celui des constructeurs automobiles. Incapables de créer eux-mêmes les milliards de lignes de code nécessaires au fonctionnement des voitures autonomes, qui pèsent désormais 20 % du marché automobile européen et 27 % aux Etats-Unis, General Motors, Volkswagen et Ford ont multiplié les assauts contre la forteresse Google Car. Et pour cause : Android, le célèbre système d'exploitation de Google, équipe non seulement 84 % des smartphones dans le monde, mais aussi huit « smartcars » sur dix des deux côtés de l'Atlantique. « Le décollage brutal du marché juste après la fusion entre Google Car et Tesla suite au départ d'Elon Musk, en 2019, nous a tous rendus dépendants d'Alphabet. Nous nous réjouissons de son démantèlement », a réagi Rob Fishbach, le PDG de General Motors. Google Car sera scindée en deux entreprises indépendantes. Ce qui pourrait également profiter à Apple, en pleine crise d'innovation, qui n'a toujours pas réussi à s'imposer dans ce secteur stratégique.

Du transhumanisme à l'ivresse du pouvoir

Enfin, point de démantèlement sans l'implication personnelle du président des Etats-Unis, l'ancien sénateur de Floride d'origine cubaine Marco Rubio. La dernière salve de révélations des Alphabet Leaks, en février dernier, a été déterminante. Les lanceurs d'alertes ont dévoilé des documents explosifs qui montrent que les algorithmes du moteur de recherche de Google ont volontairement été manipulés lors des dernières élections présidentielles américaines, pour favoriser discrètement l'adversaire de M. Rubio, le candidat démocrate Joe McQuillen. Cet ancien tycoon de la Silicon Valley était favori jusqu'à la dernière ligne droite, avant qu'une vidéo virale suggérant un adultère avec sa directrice de campagne ne lui coûte l'élection. Larry Page, PDG d'Alphabet, conteste avoir influé sur les algorithmes. Pourtant, des chercheurs avaient mis en garde contre le possible « effet de manipulation du moteur de recherche » (SEME) dès l'été 2015.

Dans le cortège de réactions suite au démantèlement d'Alphabet, une a retenu l'attention. Celle de Sergey Brin. Le cofondateur de Google en 2000, dans un garage d'étudiant avec son compère Larry Page, s'est exprimé pour la première fois depuis sa démission, suite aux Alphabet Leaks de 2022. « Je suis triste mais soulagé. Pendant longtemps, nous avons changé le monde et amélioré l'humanité. Puis j'ai vu Larry perdre de vue nos valeurs transhumanistes et je suis parti. Aujourd'hui, je pleure un certain idéal de la technologie que nous n'avons pas su préserver. »

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 12/12/2015 à 18:43
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Gmail et Whatsapp resteront ensemble ???? WhatsApp fait partie du groupe Facebook et non de Google!!

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