Rafale, sous-marins Scorpène, frégates FDI... Les trois leçons des contrats d’armement français

Pourquoi l'industrie française de défense réussit en règle générale en matière d'exportations. Les trois leçons des contrats d'armements, une analyse du groupe Vauban.
L'Égypte, la Grèce, l'Inde et les Émirats Arabes Unis n'ont pas acheté européen mais français ; ils n'ont acquis sous-marins, frégates et avions d'armes auprès de la France que pour trouver un interlocuteur politiquement indépendant et performant technologiquement qui leur transmet des outils nécessaires à leurs propres diplomaties souveraines (Vauban).
"L'Égypte, la Grèce, l'Inde et les Émirats Arabes Unis n'ont pas acheté européen mais français ; ils n'ont acquis sous-marins, frégates et avions d'armes auprès de la France que pour trouver un interlocuteur politiquement indépendant et performant technologiquement qui leur transmet des outils nécessaires à leurs propres diplomaties souveraines" (Vauban). (Crédits : Dassault Aviation)

S'il fallait une démonstration de la capacité de la France seule à être une grande nation indépendante et rayonnante, ses récents contrats d'armement l'apporteraient sans conteste. Loin d'être des contributions à une utopique Europe de la défense, qui achètera toujours américain et ne se dégagera jamais de l'emprise américaine que l'OTAN perpétue sans raison, ces contrats attestent au contraire qu'un pays comme la France pèse encore de manière significative dans le concert des grandes nations sur des grands sujets dont la Défense est un pilier. Trois grandes leçons se dégagent des récentes ventes françaises à l'exportation.

Première leçon

La diplomatie indépendante paie. Contrairement à la doxa en cours à Paris, Bruxelles et Berlin, l'indépendance nationale n'est pas un inconvénient mais au contraire un avantage commercial décisif dans le domaine de l'armement. La raison en est simple : l'exportation d'un système d'armes souverain comme des frégates, des sous-marins et des avions de combat n'est rien d'autre que la projection à l'étranger d'un modèle français fondé sur la souveraineté. Les systèmes d'armes français sont tous conçus dans l'optique de servir une diplomatie indépendante organisée autour de la dissuasion, donc souveraine.

La liste des pays qui ont acheté le Rafale ou le Scorpène le démontre amplement. La Grèce cherche d'abord la réassurance française face à une union européenne et une OTAN pro-turques pour faire valoir ses droits souverains face à une Turquie agressive ; l'Inde a besoin de sous-marins et d'avions d'armes sans contrainte d'utilisation face au double front pakistanais et chinois : seule la France et la Russie peuvent lui offrir des armements modernes sans risque d'embargo ou de restrictions dans leur utilisation ; l'Égypte, menacé par le chaos libyen, le terrorisme islamiste au Sinaï et le barrage éthiopien, veut compter sur des armements modernes libres d'emploi ; les EAU, cette « petite Sparte » (selon le mot de l'ancien Secrétaire d'État à la défense américain, le général James Mattis), sont dans la même situation face à l'Iran mais aussi face à des Etats-Unis d'Amérique incapables de constance dans leur diplomatie et toujours soucieux de contrôler leurs alliés.

Nul doute que l'Indonésie, la prochaine cible de la France, ne se laisse à son tour séduire par ce made in France souverain. Ces contrats redonnent à la France les moyens, non seulement de se maintenir sur la scène mondiale mais encore d'y renforcer fortement ses positions diplomatiques. N'en déplaise aux chantres du multilatéralisme européen ou otanien : la souveraineté paie et s'exporte bien car elle répond à un besoin croissant de pays qui veulent affirmer la leur dans un monde chaotique.

Deuxième leçon

L'indépendance a un prix qu'il faut payer. Ces succès export sont d'abord le succès de tout un système national organisé autour de l'objectif d'un modèle d'armées complet et indépendant. Le prix à payer, c'est un budget de la défense en forte hausse. Après deux lois de programmation de désarmement (2009-2012, puis 2014-2019), l'actuelle loi de programmation n'est qu'une loi de pansement, certes en croissance, certes exécutée, mais dont on sait très bien qu'elle est encore insuffisante, sans un gros effort financier prochain, pour rallier le modèle d'armées 2030.

Or, tous les rapports parlementaires, toutes les auditions des chefs d'États-majors le confirment : les marches à franchir sont encore devant les armées pour combler les réductions temporaires de capacités, entraîner les armées à la haute intensité, garantir le maintien en condition opérationnelle et augmenter des formats d'armées trop justes en hommes, infrastructures, matériels et munitions. A l'effort financier que certains candidats à la présidentielle ont fixé entre 55 et 60 milliards d'euros par an, il faudra faire correspondre un effort aussi important pour que cette masse budgétaire se traduise rapidement en capacités militaires tangibles. La spécification, la contractualisation et la production devront ainsi s'aligner pour que la future loi de programmation militaire (LPM) 2023-2028 permettent aux armées de gagner le pari du modèle d'armées 2030.

Troisième leçon

L'indépendance exige un retour à la cohérence. Si la LPM actuelle est une étape dans la remontée en puissance, la doctrine française de défense souffre d'une incohérence de fond. La divergence entre le financement d'un modèle d'armées national organisé autour de la dissuasion et une diplomatie qui s'efforce de le noyer dans un maelström européen et otanien est, à terme, insoutenable, illisible et incohérent. L'illusion d'une « autonomie stratégique européenne », déjà par trois fois balayée par l'ancienne coalition à Berlin, vient de l'être de nouveau par la SPD, les Vers et les Libéraux allemands qui ne la mentionnent même pas dans leur contrat.

L'OTAN demeure la pierre angulaire pour tous les pays européens, et surtout pour les trois alliés de la France : le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie. La France se retrouve dès lors dans la position schizophrénique d'avoir rejoint l'OTAN mais de tenter par tous les moyens de s'en échapper par des initiatives qui ne séduisent personne. De même, la grande alliance franco-allemande, scellée par le traité d'Aix La Chapelle, n'a-t-elle rien produit de ses fruits car d'emblée, ni Paris ni Berlin ne poursuivaient les mêmes objectifs doctrinaux, militaires et industriels ni s'inscrivaient dans le même cadre d'alliances. Pire : la politique de défense de la France dépend pour ses futurs matériels majeurs du bon vouloir de la Commission du Budget du Bundestag allemand et l'accord bilatéral sur l'exportation, simple arrangement intergouvernemental, est désormais à la merci d'une coalition nouvelle qui conduira une politique encore plus restrictive sur les marchés de l'armement.

Enfin, Bruxelles devra être mis au pas en vertu de l'article 346 du traité de l'Union européenne : l'absurde décision sur le temps de travail des militaires de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les projets pacifistes du parlement européen dans le domaine de l'exportation d'armement et le projet de taxonomie de la Commission qui promet l'asséchement des financements pour l'industrie de défense des pays européens, sont autant de folies pures qui menacent le système militaire et industriel français et que seule l'autorité d'un nouveau président permettra d'arrêter net.

La France, un interlocuteur politique indépendant

La conclusion s'imposera d'elle-même au prochain président : il faudra revoir drastiquement le cadre des alliances de la France afin que la diplomatie corresponde enfin à l'outil. Cette cohérence que le général De Gaulle avait imposée et organisée, devra être l'ordre du jour numéro un du prochain président. Nul drame n'en est attendu puisque la clarification qui en découlera, amènera certainement des opportunités plus saines de coopération sur de nouvelles bases doctrinales et industrielles conformes aux intérêts nationaux bien compris des partenaires. Le nationalisme industriel qui se manifeste partout en Europe, de la Suède à l'Italie en passant par le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Allemagne, n'est pas un obstacle mais bel et bien la réalité à partir de laquelle il faudra recomposer des coopérations équilibrées et respectueuses des compétences nationales. Le Traité de Lancaster House comme le programme nEURon avaient montré la voie à suivre.

C'est d'ailleurs cette cohérence-là qui est activement recherchée par les clients export de la France. L'Égypte, la Grèce, l'Inde et les EAU n'ont pas acheté européen mais français ; ils n'ont acquis sous-marins, frégates et avions d'armes auprès de la France que pour trouver un interlocuteur politiquement indépendant et performant technologiquement qui leur transmet des outils nécessaires à leurs propres diplomaties souveraines. C'est le message le plus important qu'Abu Dhabi a transmis fort et clair à la France. Puissent les candidats à la présidentielle s'en souvenir, sinon, c'est la fin de l'armement français.

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[*] Vauban regroupe une vingtaine de spécialistes des questions de défense.

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Commentaires 3
à écrit le 07/12/2021 à 11:10
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Le problème du gouvernement Français est qu'il ne joue pas sur l'opinion public des population. On peut facilement reprendre les contrat suisse et australiens en parlant de cout d'entretient, de souveraineté et de nuclaire (juste australie pour le n...

à écrit le 07/12/2021 à 4:46
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Mieux vaut payer des équipement a Dassault, MBDA, nexter, naval group etc... Que de payer des RSA et des alloc a des gens qui n'auraient pas de boulot sans ces commandes

à écrit le 06/12/2021 à 9:05
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Sur le plan industriel, on ne peut que se réjouir de ce nouveau succès, mais qui souligne en creux la puissance des USA , car de l'avis général les matériels sont très performants, mais nos industries d'armements butent trop souvent sur les lobbys an...

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