Objectif Lune : la voie de l’Europe (3/3)

OPINION - Chronique de François Leproux sur le retour des Hommes sur la Lune. Troisième et dernier volet : un pari risqué. Par François Leproux, ingénieur dans le secteur spatial et auteur d'un essai sur le projet d'avion spatial européen Hermès paru en 2021 aux éditions JPO « Hermès, une ambition en héritage ».
« Le développement d'un lanceur super lourd n'étant encore qu'à ses balbutiements en Europe, il faudra accepter d'être dépendant des SLS, Falcon Heavy et Starship américains pour les astronautes et les charges qu'Ariane 64 ne pourra pas lancer » (François Leproux, ingénieur dans le secteur spatial et auteur d'un essai sur le projet d'avion spatial européen Hermès paru en 2021 aux éditions JPO « Hermès, une ambition en héritage »).
« Le développement d'un lanceur super lourd n'étant encore qu'à ses balbutiements en Europe, il faudra accepter d'être dépendant des SLS, Falcon Heavy et Starship américains pour les astronautes et les charges qu'Ariane 64 ne pourra pas lancer » (François Leproux, ingénieur dans le secteur spatial et auteur d'un essai sur le projet d'avion spatial européen Hermès paru en 2021 aux éditions JPO « Hermès, une ambition en héritage »). (Crédits : DR)

Si l'Europe dispose de nombreux atouts dans sa main pour jouer un rôle de premier plan dans une installation durable à la surface de la Lune, elle ne doit cependant pas être insensible aux nombreuses incertitudes qui planent sur un programme spatial américain fortement politique. Le décalage d'un an annoncé en décembre 2023 par la NASA pour le programme Artemis suscite beaucoup de critiques aux Etats-Unis, notamment parce qu'il est provoqué par les retards de deux fournisseurs essentiels, Axiom Space pour les combinaisons pressurisées et SpaceX pour le Starship [1].

En mai 2023, la NASA avait d'ailleurs repêchée le projet d'atterrisseur de Blue Origin en complément du Starship, les échecs des vols d'essais d'avril et de novembre 2023 ayant quelque peu refroidi les ardeurs de l'agence [2]. L'ancien administrateur de la NASA Michael Griffin, qui a officié sous la présidence de George Bush et a planifié le programme de retour sur la Lune Constellation, émet de vives réserves quant au programme Artemis et appelle à un virage à 180° pour espérer revenir sur la Lune avant la Chine d'ici à 2029 [3].

Lune : une course entre la Chine et les Etats-Unis

En cause ? Les coûts et la complexité du programme. La mise en œuvre du starship, le vaisseau géant de SpaceX (qui n'a toujours pas atteint l'orbite en dépit de tests prometteurs) nécessitera au moins dix vols consécutifs pour le ravitailler et l'envoyer vers la Lune, et au moins le triple de vols pour le qualifier. Même les prévisions des années 1970 pour la navette spatiale n'étaient pas si optimistes. Pendant ce temps, le Chine s'appuie sur des moyens plus classiques, similaires au programme Apollo qui, selon un taikonaute seraient déjà en fabrication pour alunir avant 2030. L'ancien administrateur de la NASA appelle donc à un reboot du programme, en s'inspirant d'avantage de son ancien programme Constellation, avec des atterrissages plus classiques inspirés du LEM et une orbite plus simple pour la station Gateway.

La date de 2029 est avant tout symbolique pour les Etats-Unis et la Chine qui rejouent la course à la Lune des années 1960. Cependant, les Etats-Unis ont déjà gagné cette course, et restent la seule nation à avoir posé le pied sur la Lune. En vue d'une installation plus durable sur notre satellite, il est légitime d'introduire des technologies de rupture comme le Starship, mais difficile de mener de front un sprint et un marathon. Si les Etats-Unis veulent vraiment envoyer une mission de surface avant la Chine, difficilement imaginable que le Starship soit la meilleure architecture.

Menaces sur la « Gateway »

La probable réélection de Donald Trump en 2024 ne devrait pas menacer le programme Artemis, l'ancien Président ayant été l'initiateur du projet. Il pourrait par contre le réorienter, privilégiant la course contre la Chine au retour scientifique ainsi que l'« America First » à la coopération internationale. On peut aussi remarquer des différences d'approche sur le programme entre l'administration Biden et l'administration Trump, l'administration Biden ayant davantage sous-traité au secteur privé et misé sur le Starship.

Si le programme venait à être remanié, nul doute que la « Gateway » en ferait certainement les frais pour privilégier les atterrissages lunaires. En 2020 déjà, la NASA annonçait que la « Gateway » n'était pas nécessaire au retour vers la Lune, notamment parce que sa mise en orbite mobiliserait des lanceurs SLS qui ne seraient plus disponibles pour des missions habitées. Dès lors, la mise à poste de la station a été retardée vers 2029-2030, après les premières missions de surface.

Une opportunité pour l'Europe ?

L'Europe doit profiter de ses nombreux atouts pour s'affirmer comme le premier partenaire des Etats-Unis dans le retour sur la Lune. En développant et en proposant des briques technologiques qui manquent à la NASA, elle pourrait rééquilibrer un programme piloté par les Américains mais à vocation internationale. Prendre la main sur l'installation durable sur la surface de la Lune, avec une législation adaptée, des habitats de surface, une logistique et des systèmes de communication lui permettrait aussi d'imposer son modèle d'exploration spatiale basée sur la coopération et non sur une course entre États.

Cependant, avec un budget cinq fois inférieur à celui de la NASA, l'Agence spatiale européenne (ESA) ne peut pas s'offrir le luxe de courir plusieurs lièvres à la fois. Les projets cités dans cette série d'articles sont encore en phase d'étude, et les budgets de développement, d'essais, de fabrication et d'exploitation sont loin encore définis, encore moins d'être votés. L'ESA devra définitivement léguer l'Orbite basse et les lanceurs au secteur privé pour se concentrer sur la Lune. Le développement d'un lanceur super lourd n'étant encore qu'à ses balbutiements en Europe [4], il faudra accepter d'être dépendant des SLS, Falcon Heavy et Starship américains pour les astronautes et les charges qu'Ariane 64 ne pourra pas lancer.

L'Europe en ordre dispersée

Enfin, il faudra réussir à retrouver un consensus au sein d'une Europe spatiale qui s'est silencieusement divisée à l'occasion du sommet spatial de Séville [5]. La plupart des initiatives européennes pour participer au retour de la Lune relève des industriels qui sous-traitent directement avec la NASA, sinon elles sont initiées par les états eux-mêmes. Les accords Artemis sont ainsi signés par les États et non par l'ESA ou par l'Union européenne (UE). On peut noter une absence totale de coordination entre les pays européens pour rejoindre ces accords (Italie, Luxembourg et Royaume-Uni en 2020, Ukraine et Pologne, en 2021, Roumanie et France en 2022, Allemagne et Tchéquie en 2023, Belgique et Grèce en 2024).

On se souvient aussi du lobbying d'Emmanuel Macron auprès du directeur de la NASA et de la vice-présidente américaine pour voir Thomas Pesquet prendre place à bord d'Artemis 4 en 2022 [6]. En 2023, le rapport Revolution Space du « groupe consultatif de haut niveau » (High-Level Advisory Group, ou HLAG), mandaté par l'ESA, proposait de mener de front des projets habités et robotiques ambitieux en LEO et sur la Lune. Le futur du spatial européen en orbite basse se conjuguant désormais au privé, du fait de désaccords entre les états sur la démarche à suivre et de volonté de pousser des « champions » nationaux sur le marché des micro-lanceurs, l'exploration humaine de la Lune pourrait être un nouvel objectif pour l'Europe spatiale. L'Europe elle même n'ayant pas les moyens de le réaliser seule, il est difficilement imaginable que les états se sentent pousser des ailes pour s'y confronter seuls comme pour l'orbite basse.

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[1] Ciel & Espace, Le programme lunaire Artemis prend encore du retard, janvier 2024

[2] Libération, Missions «Artemis» : Blue Origin, nouveau prestataire de la Nasa pour l'objectif Lune, mai 2023

[3] Futura Sciences, Un ancien directeur de la Nasa propose une alternative pour les missions Artemis, janvier 2024

[4] L'Usine Nouvelle, La France va développer un nouveau moteur de fusée pour rivaliser avec le Starship de SpaceX, décembre 2023

[5] La Tribune, Vol spatial habité européen : une ambition suspendue, décembre 2023

[6] Le Figaro, 30/11/2022, Macron aux États-Unis : un spationaute français sur la Lune ?

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Commentaire 1
à écrit le 21/02/2024 à 8:35
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L'UE qui a sacrifié toutes ses usines, toute sa R et D contre le fric du dumping fiscal et social n'est pas faite pour ne pas gaspiller l'argent, ils ne savent pas investir dans des projets concrets, dans des projets qui dépasse le court terme car la...

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