Objectif Lune : la voie de l’Europe (1/3)

OPINION - Chronique de François Leproux sur le retour des Hommes sur la Lune. Il évoque dans un premier volet les défis d'une présence durable sur le sol lunaire. Par François Leproux, ingénieur dans le secteur spatial et auteur d'un essai sur le projet d'avion spatial européen Hermès paru en 2021 aux éditions JPO « Hermès, une ambition en héritage ».
« Une présence humaine durable sur le sol Lunaire nécessitera d'exploiter les ressources locales, notamment l'eau afin d'alimenter les équipages mais également de produire du carburant par électrolyse » (François Leproux, ingénieur dans le secteur spatial et auteur d'un essai sur le projet d'avion spatial européen Hermès paru en 2021 aux éditions JPO « Hermès, une ambition en héritage »).
« Une présence humaine durable sur le sol Lunaire nécessitera d'exploiter les ressources locales, notamment l'eau afin d'alimenter les équipages mais également de produire du carburant par électrolyse » (François Leproux, ingénieur dans le secteur spatial et auteur d'un essai sur le projet d'avion spatial européen Hermès paru en 2021 aux éditions JPO « Hermès, une ambition en héritage »). (Crédits : DR)

L'année 2024 s'annonce tournée vers la Lune : le mois de janvier a en effet vu le lancement de la sonde américaine Peregrine par le nouveau lanceur Vulcan de ULA (suivi de la perte de la sonde) et l'alunissage réussi de la sonde japonaise SLIM. D'autres missions lunaires sont prévues, dont la mission chinoise Chang'e-6, dont le lancement est prévu en mai 2024 et qui a pour objectif d'entrer dans l'histoire en collectant les premiers échantillons lunaires sur la face cachée de la Lune.

De son coté, l'Agence spatiale européenne (ESA) a présenté en janvier une proposition ambitieuse pour établir une présence humaine durable sur la Lune, en collaboration avec le cabinet d'architectes australien Hassell et l'Université de Cranfield, au Royaume-Uni. Ce plan directeur pour la Lune, dévoilé lors de l'événement  Space For Inspiration » au Centre de recherche et de technologie spatiales (ESTEC) aux Pays-Bas, propose des compartiments gonflables modulaires pour l'habitat de base et un bouclier protecteur contre les radiations, fabriqué à partir de régolite lunaire et imprimé en 3D [1]. Ce projet rappelle le « Moon village » proposé en 2015 par Jan Worner, ancien directeur de l'ESA, envisageant une station spatiale internationale sur la Lune, qui avait alors attiré l'intérêt de la NASA et de la Chine [2]

Le segment orbital pour l'Europe

Jusque-là, l'Europe s'est surtout illustré dans le segment orbital du programme Artemis. La Station spatiale Gateway est certainement la contribution la plus remarquable de l'Europe au retour sur la Lune. L'ESA et Thales Alenia Space construisent en effet deux éléments de cette station, qui servira de relais avant la descente sur la Lune : l'I-Hab, un module d'habitation destiné aux astronautes non-américains et Esprit, un espace de stockage et de communication. Airbus Defense and Space fournit également le module de service (ESM - EUrope Service Module) du vaisseau spatial Orion, testé avec succès en décembre 2022 lors de la mission Artemis I. En contrepartie, trois Européens iront au moins jusqu'au Lunar Gateway.

Mais les Européens ne sont pas seuls à contribuer au programme Artemis de retour vers la Lune. Les agences spatiales japonaises (JAXA) et canadienne (ASC) sont également de la partie. La NASA a ainsi garanti un des premiers voyages vers le Lunar Gateway à un Japonais tandis qu'un Canadien, Jeremy Hansen, sera l'un des quatre membres d'équipage d'Artemis II, premier vol habité (mais sans alunissage) du vaisseau Orion. Les européens sont favoris pour être les premiers "internationaux" à poser le pied sur la Lune avec les américains [3].

Une colonie humaine sur la Lune

Avec sa proposition de colonie lunaire, l'ESA envisage non seulement la création d'installations de recherche et d'hébergement, mais ambitionne également de favoriser l'émergence d'une communauté permanente et prospère de près de 150 personnes en gravité réduite. À cette fin, le plan inclut des espaces sociaux, tels que des restaurants, des salles de sport et des parcs. Bien que séduisante, la réalisation de ce concept semble peu probable. Elle est néanmoins emblématique des espoirs que l'ESA et les industriels européens placent dans le retour sur la Lune, particulièrement au sein du programme Artemis de la NASA. On voit notamment un certain nombre de propositions réalistes pour faire vivre des astronautes à la surface de la Lune, plus dans l'esprit du Moon Village ou de l'ISS.

Par exemple, la startup française Spartan Space travaille sur le développement d'Eurohab, un habitat lunaire gonflable polyvalent. Avec un diamètre d'environ sept mètres, Eurohab serait déployé sur la surface de la Lune à l'aide d'un atterrisseur robotisé, tel que l'Argonaut de l'ESA. Diverses utilisations sont envisagées pour Eurohab, y compris comme avant-poste pour élargir la zone d'exploration des astronautes, comme refuge en cas de scénarios imprévus, comme station scientifique autonome en période d'inoccupation, et comme lieu de stockage pour les missions futures.

Du 20 au 22 janvier 2024, une simulation de mission lunaire a d'ailleurs été réalisée par Spartan Space dans les Alpes avec un prototype financé par le CNES. L'objectif de cette simulation, qui s'est conclue avec succès, était de tester la viabilité du concept d'habitat et de confirmer sa capacité à endurer des conditions environnementales extrêmes. Les activités de la mission incluent l'échantillonnage du sol, la collecte d'énergie solaire et le test des équipements. Cette mission a marqué une collaboration notable entre diverses startups européennes, comme la suédoise PARSEC Spaceflight dédiée à la formation des astronautes ou la startup tchèque ICEE Space. Cette entreprise développe des combinaisons spatiales analogues [4].

L'Italie en pointe

Spartan Space n'est pas la seule entreprise à s'intéresser aux habitats de surface. L'Agence Spatiale Italienne (ASI) et l'industriel franco-italien Thales Alenia Space ont initié la phase A du développement d'un habitat polyvalent, avec l'ambition de créer le premier avant-poste permanent sur la Lune. Le projet, bien que piloté par l'ASI, bénéficie d'un accord de coopération bilatérale avec la NASA établi en juin 2022, permettant son intégration potentielle dans le programme Artemis.

Peu de détails sont connus concernant les spécifications de l'habitat, telles que ses dimensions, sa capacité d'accueil ou son usage principal. Un accord signé en septembre 2020 décrit le projet comme visant le développement de capacités d'habitation pour des séjours courts sur la Lune, ainsi que les technologies associées. Le mois suivant, l'Italie signait les accords Artemis qui définissent le cadre légal de l'exploration lunaire pour les alliés des Etats-Unis. La revue du concept de mission de cet habitat est prévue pour le premier trimestre 2024 [5].

Exploitation des ressources spatiales

Une présence humaine durable sur le sol Lunaire nécessitera d'exploiter les ressources locales, notamment l'eau afin d'alimenter les équipages mais également de produire du carburant par électrolyse. Dans le délicat chapitre des ressources spatiales, un pays européen, le Luxembourg, a été pionnier en autorisant leur exploitation commerciale dès 2017, attirant par là des entreprises spécialisées comme ispace qui vise une deuxième tentative d'alunissage en 2024 avec à bord des rovers conçus au Grand-Duché.

Le Luxembourg s'est imposé comme l'expert européen du domaine, accueillant depuis 2020 le centre européen de recherche sur les ressources spatiales, l'ESRIC (European Space Resources innovation Center). Un projet associé à l'ESRIC, EURO2MOON, réunit Airbus Defense&Space et Air Liquide pour développer les briques-clés d'un écosystème lunaire : outre le développement de la technologie pour amener des véhicules et du fret dédiés à l'exploration et à l'extraction de ressources à la surface de la lune, il développe également le système Roxy pour extraire l'oxygène et les métaux, qui sont des éléments-clés d'une présence lunaire durable, à partir du régolite lunaire [6].

D'autres pays européens ont suivi le Luxembourg en s'engageant dans les accords Artemis, notamment l'Italie, la France, l'Allemagne ou la Belgique (l'ESA n'en est pas signataire, seulement les États). Le Sénat Français réfléchit depuis cet été à une législation nationale sur les ressources spatiales, y voyant un potentiel scientifique et commercial certain [7].

Services de communications

Une présence durable sur le sol lunaire nécessite également des services de communications. L'initiative Moonlight de l'ESA s'inscrit dans cet objectif et pourrait jouer un rôle crucial dans la viabilité long terme des activités lunaires. Elle vise à déployer, en collaboration avec le secteur industriel, une constellation de satellites destinés à fournir des services de communication et de navigation pour soutenir les quelque 200 missions lunaires planifiées pour la prochaine décennie. Les plans initiaux envisagent une constellation de trois à quatre satellites avec une couverture particulière pour le pôle Sud lunaire, une région d'intérêt majeur en raison de son ensoleillement constant et de ses réserves de glace.

La mission Lunar Pathfinder de l'entreprise anglaise Surrey Satellite Technology (SSTL) constitue la première phase de test de l'infrastructure Moonlight de l'ESA. Prévu pour un lancement en 2025, ce satellite embarquera un récepteur GNSS de l'ESA capable de capter les signaux des systèmes GNSS terrestres (GPS et Galileo), démontrant ainsi l'utilité de cette technologie pour la navigation sur la Lune [8].

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[1] PayloadSpace, ESA and Hassell Design an Inflatable Lunar Habitat, Janvier 2024

[2] France 24, La Chine va s'associer avec l'Agence spatiale européenne pour construire un village sur la Lune, avril 2017

[3] Les Echos, La station lunaire Gateway, comme si vous y étiez, juin 2023

[4] France Bleu, Eurohab : le prochain poste avancé des missions habitées sur la Lune sera-t-il grenoblois ? février 2024

[5] Futura Sciences, Artemis : Thales Alenia Space développe un module lunaire habitable, janvier 2024

[6] Paperjam, Fayot, le Luxembourg et le miel des start-up de l'espace, octobre 2021

[7] Le Parisien, « Nous devons nous battre » : des sénateurs brisent le tabou de l'exploitation des ressources spatiales, juin 2023

[8] Sciences et avenir, Moonlight, pour se géolocaliser sur la Lune, mai 2021

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Commentaires 2
à écrit le 20/02/2024 à 8:54
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Bonjour, avant toute choses, ils faut voir que nous somme tres tres loins de tous cela... Le non développement d.un orbiteur "Hermes " a conduits l'u ion européenne a un retard certains et durable. D'ailleurs nous n'avons pas d'expérience sur le...

à écrit le 19/02/2024 à 8:05
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"les défis d'une présence durable sur le sol lunaire" Ben avec Musk qui déjà est en train de la polluer avec les "œuvres" de Koons, bon courage les gars hein ! Personnellement je n'irais pas ! Ah les riches ils ne peuvent pas s'empêcher d'imposer d'e...

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