Relance européenne : un accord "historique"... malheureusement !

OPINION. L'accord sur le plan de relance européen d'un montant de 750 milliards d'euros dont 390 milliards sous forme de subventions sans conditions pour aider les pays qui ont été les plus impactés par la crise sanitaire est présenté comme une étape historique dans le processus d'intégration européen. Or le compromis obtenu entre pays "frugaux" et les autres montre que deux conceptions différentes de la solidarité européenne s'affrontent, ce qui à terme pourrait mettre à mal l'unité européenne. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

Le grand plan budgétaire européen de sortie de crise du covid, adopté le 20 juillet par les dirigeants des 27 pays membres de l'UE, représente, selon les lectures nordistes ou sudistes, un grand bond en avant de libération des règles budgétaires de la zone euro ou un bond en arrière par rapport à ces mêmes règles. En effet, ce plan prévoit 390 milliards d'euros de subventions aux États les plus affectés par la crise sanitaire et économique du Coronavirus financées pas une dette en euros émise par l'UE en nom propre. Les subventions seront octroyées sur la base des plans de redressement que les pays bénéficiaires de fonds devront soumettre. Cette condition semble n'être qu'une apparence puisque le contrôle de la faisabilité et de l'efficacité des mesures se faisant à la majorité qualifiée, il est évident que les pays bénéficiaires feront bloc pour approuver tous les plans. Mardi 21 juillet, Emmanuel Macron a vanté à la télévision les mérites de l'accord et de ses talents de négociateur car la France devrait recevoir 40 milliards d'euros de subventions. L'Italie et l'Espagne devraient recevoir des sommes encore plus importantes.

Un transfert de fonds sans précédent

La presse française qualifie l'accord d'historique, ce qui est vrai d'un certain point de vue. Un tel transfert de fonds sans aucune contrepartie vers des États qui connaissent des difficultés est sans précédent. En 2012, l'UE avait créé le Mécanisme européen de stabilité (MES), une institution financière internationale destinée à lever des dettes et financer les États en détresse financière, en contrepartie de la mise en place de programmes de réformes de grande ampleur, qui d'ailleurs avaient nécessité l'aval du FMI. Le MES existe toujours et aurait pu être mobilisé, mais la conditionnalité des aides à des réformes heurtait la fierté nationale des grands pays potentiels bénéficiaires, peu désireux de goûter à la potion qu'ils ont pourtant fait boire à la Grèce. Aujourd'hui, les dirigeants des pays membres de l'UE qui ont signé cet accord de financement semblent accepter l'idée selon laquelle la situation dramatique de l'Italie, de l'Espagne et de la France est due à des causes exogènes sans rapport avec leurs choix politiques et budgétaires passés, justifiant ainsi l'obligation pour l'UE de fonctionner à leur égard comme un mécanisme d'assurance. Bien entendu, lorsque d'autres chocs non-anticipés frapperont les autres pays, ce sera au tour de la France, de l'Italie et de l'Espagne de les aider de manière inconditionnelle.

Cette assertion nous semble fausse. Les pays les plus touchés par l'épidémie sont également les pays qui font preuve, depuis des années, d'un laxisme budgétaire persistant. A 56% du PIB, la dépense publique française est la plus élevée des pays de l'OCDE. La faible maitrise des déficits publics, notamment après 2007, fait que la dette publique de ces pays n'a cessé d'augmenter au mépris des accords de 2012. En France, si les dépenses totales se sont accrues ce n'est pas au profit de l'efficacité du système de santé hospitalier qui n'a cessé de se dégrader, frappé par des politiques d'économies budgétaires non ciblées et victime de contraintes règlementaires inadaptées à son fonctionnement spécifique comme les 35 heures.

Une solidarité dévoyée

La solidarité européenne est bien évidemment quelque chose d'important et de respectable mais en l'espèce, elle nous semble honteusement dévoyée pour masquer, une fois de plus, la dérive des finances publiques et éviter à ces pays de se réformer en profondeur, comme ont su le faire les pays curieusement appelés "frugaux". C'est toujours une grave erreur de fuir le réel et la remise en question, tant pour les pays amenés à financer ces fonds que pour ceux qui les reçoivent. L'occasion est manquée.

Sans la moindre vergogne et très content de lui-même, le Président de la République a expliqué aux Français que les 40 milliards ne seront pas à la charge de ceux d'entre eux qui payent des impôts, ce qui, par ailleurs, est bien vrai. Parmi les sources potentielles de financement, il y a les taxes sur les importations riches en carbone de pays ne pratiquant pas de taxe carbone. Cette source figurant dans le nouveau plan vert européen ferait porter le financement par les consommateurs européens si elle venait toutefois à être mise en œuvre. Sa réalisation reste hypothétique dans la mesure où elle serait équivalente à lever une taxe douanière de 15 milliards d'euros (avec une hypothèse de 30 euros la tonne) sur la Chine, l'Inde et les Etats-Unis et serait susceptible de rétorsion équivalente de la part de ces pays contre nos exportateurs. Il en va de même avec la taxe Gaffa, le président Trump ayant déjà fait la liste des produits européens qui seraient visés. La taxe carbone ou l'extension du marché du carbone à des nouveaux secteurs est une bonne chose par rapport à la lutte contre le changement climatique mais qui va renchérir mécaniquement le prix des biens européens, y compris en France.

Il est frappant de constater que le président Macron ne semble pas touché par le fait que, cette crise ayant impacté de la même façon tous les pays européens, la France fait partie des receveurs d'aides et non des pourvoyeurs comme l'Allemagne et les pays du Nord.

Une Europe divisée en deux

L'Europe étant divisée en deux en ce qui concerne la gestion des finance publiques, toute avancée vers une forme de fédéralisme fiscal supposerait de choisir l'un de ces deux modèles. L'organisation des États du Sud de l'Europe - bureaucratiques, planistes, incapables de réformer - ou l'organisation des États du Nord - confiants dans leur secteur privé, efficaces, à l'écoute des administrés.

Si pour alléger les risques supportés par la BCE qui a fini par racheter des quantités massives d'obligations Italiennes, il fallait subventionner l'État italien ou espagnol, cela se conçoit aussi, mais ne nécessite en aucun cas que ces transferts aient lieu sans aucun contrôle, ni aucune obligation de reformer l'État. Il aurait suffi pour cela de mobiliser le MES comme en 2012. De même que la mauvaise régulation et la fragmentation du système bancaire européen ont contribué à la crise bancaire de 2008, que le laxisme budgétaire combiné à l'illusion de stabilité des dettes en euros à engendré la crise de l'euro en 2012, la mauvaise gestion du système hospitalier a eu pour conséquence le plus ou moins long et plus ou moins sévère confinement et la plus ou moins sévère chute de l'activité économique face à une pandémie touchant également tous les pays. Recevoir des aides proportionnelles à la baisse du PIB, comme prévu dans les accords, est une aide à double tranchant : elle a certes une fonction d'assurance mais elle constitue de fait une prime gênante à la mauvaise gestion.

Emmanuel Macron semble penser que sans cette forme de « solidarité » l'Europe ne survivrait pas à la crise du coronavirus. Nous pensons que ces transferts vers des gouvernements planistes, incapables de maîtriser leurs dépenses publiques, risque bien plus sûrement de conduire à terme à un éclatement de l'Europe en tant que bloc partageant les mêmes principes. A court terme, il est à craindre que cette « solidarité » conduise à une forte hausse des partis populistes lors des prochaines élections dans les pays du Nord.

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Commentaires 9
à écrit le 23/07/2020 à 18:03
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En fait l'austérité "ad vitam aeternam" mène ceux d'en bas à des salaires de misère quand on voit pointer l'Albanie et la Macédoine(de fruits pourris).Seuls les riches s'enrichiront davantage(les premiers de cordée)et la concurrence entre les peuples...

à écrit le 23/07/2020 à 17:50
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En tout cas une analyse qui corrobore la stupidité d'avoir passé les fonctionnaires au régime des 35h car on ne pouvait pas comme dans l'industrie obtenir une productivité augmentée de 25% ou plus à cause de la disponibilité production en 6 jours voi...

à écrit le 23/07/2020 à 14:33
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Au lieu d'uniformiser les taux d'imposition au niveau de la zone pour équilibrer les déficits, on préfère l'endettement, comme si cela devait unir les populations de l'UE!

à écrit le 23/07/2020 à 13:53
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Il y a un moment où il faut mettre un terme à cette idéologie enseignée dans les écoles de commerce. La crise de la dette dans la zone euro vient de cette idéologie, il fallait pousser la Grèce à faire des réformes "courageuses", au final la Grèce s...

à écrit le 23/07/2020 à 11:40
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Il est frappant de constater que le président Macron ne semble pas touché par le fait que, cette crise ayant impacté de la même façon tous les pays européens, la France fait partie des receveurs d'aides et non des pourvoyeurs comme l'Allemagne et les...

à écrit le 23/07/2020 à 11:32
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"Décidément nous ne parlons pas de la même Europe".

à écrit le 23/07/2020 à 11:11
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Exactement. Au final un analyse au point.

à écrit le 23/07/2020 à 10:57
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Excellent résumé de la situation!

à écrit le 23/07/2020 à 10:40
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"ce qui à terme pourrait mettre à mal l'unité européenne" Quelle unité européenne ? A part financière et donc privée il n'y a aucune unité européenne l'ue s'étant construite sur la seule volonté de ses classes dirigeantes et non sur celui de ses ...

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