Une fois l'ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée nationale qui décidera souverainement des destinées du pays », avait promis le général de Gaulle, dès 1942. Il tint parole le 21 avril 1944, il y a tout juste quatre-vingts ans, en signant l'ordonnance qui, enfin, reconnaissait le droit de vote et l'éligibilité aux Françaises. Saluant la part prise par les femmes dans la Résistance, cette avancée marquait l'aboutissement d'un long combat, qu'il faut commémorer mais aussi continuer. Commémorer, c'est ce qu'a fait l'Assemblée nationale, dès le mois de mars, à travers l'exposition « Aux urnes, citoyennes ! » que j'ai eu l'honneur d'inaugurer aux côtés de vingt-quatre présidentes d'Assemblée venues du monde entier.
Nous avons ainsi rendu hommage aux pionnières, comme Jeanne Deroin, qui la première, bravant les moqueries, osa se porter candidate aux législatives en 1849, ou Eugénie Niboyet, Maria Deraismes, Cécile Brunschvicg et Louise Weiss, courageuses militantes qui ouvrirent la voie à leurs concitoyennes.Des hommes aussi s'engagèrent en faveur du vote des femmes, tel le député Paul Dussaussoy, qui déposa une proposition de loi en ce sens dès 1906 : adoptée par les députés en 1919, elle fut rejetée par le Sénat. Or, comme l'écrivait la grande féministe Hubertine Auclert, « tenir les femmes hors des salles de vote où tout se projette et à l'écart du Parlement où tout se résout, c'est les désigner d'avance pour être sacrifiées ».
Au moment où les dernières femmes à avoir été privées du droit de vote s'éteignent, il est important de transmettre aux jeunes la mémoire de cette lutte victorieuse. Elle montre que les droits des femmes résultent toujours d'un âpre combat contre les habitudes et les certitudes, pour l'égalité, pour l'émancipation de la société tout entière. Continuer ce combat, c'est d'abord relire l'ordonnance du 21 avril 1944, aux termes de laquelle les Françaises devenaient « électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». C'est vrai juridiquement, et cette exigence d'égalité a été renforcée par la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 sur la parité, mais dans les faits, qu'en est-il ?
Seulement 20 % de femmes maires ou présidentes de département
Les femmes qui s'engagent en politique le savent, les obstacles matériels, les vieux préjugés et les mauvaises habitudes n'ont pas disparu. Certes, dans les conseils municipaux, départementaux et régionaux, la parité est maintenant atteinte, mais on ne compte que 20 % de femmes maires ou présidentes de département, et 31,6 % présidentes de région. Et que dire de la situation au Parlement français ? En 1945, suite à l'ordonnance du général de Gaulle, trente-trois femmes furent élues à l'Assemblée nationale constituante. Leur élection avait été facilitée par le scrutin de liste, à la proportionnelle départementale. Au début de la Ve République en revanche, avec le retour au scrutin majoritaire, il n'y eut plus qu'une dizaine de femmes à l'Assemblée nationale et il fallut des décennies pour féminiser l'hémicycle.
Aujourd'hui encore, nous ne sommes qu'à 37,3 % de députées : à peine mieux qu'au Sénat, où siègent 36,2 % de femmes. Faudra-t-il encore quatre-vingts ans pour atteindre la parité complète ? C'est à nous d'achever l'édifice, avec une dose de proportionnelle aux législatives, le non-cumul dans le temps pour favoriser le renouvellement, la généralisation de la parité dans les communes de moins de mille habitants et les intercommunalités, un statut de l'élu qui permette aux femmes de se lancer plus facilement en politique. C'est aux femmes également d'oser se lancer, car la seule femme qui est sûre de ne pas être élue est celle qui renonce à se présenter. Je leur lance un appel en ce sens. Je lance d'ailleurs un appel à tous : oui, commémorons et, ensemble, allons au bout de l'application de l'ordonnance du 21 avril 1944, pour que les Françaises soient vraiment citoyennes « dans les mêmes conditions que les hommes ».
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