« Femmes-hommes, les inégalités ne sont pas de l’histoire ancienne » (Sylvie Pierre-Brossolette)

OPINION - À la veille du 8 mars, Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, déplore la persistance du machisme, des discriminations et violences que subissent les femmes, malgré l’égalité promise par les lois.
Sylvie Pierre-Brossolette, Présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.
Sylvie Pierre-Brossolette, Présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. (Crédits : © Jean-Bernard Vernier/ABACAPRESS)

Encore un 8 mars ! À l'approche de la Journée internationale des droits des femmes, on entend déjà soupirer une partie de la population lassée, quand ce n'est pas agacée, par le rituel annuel qui permet de pointer les inégalités de genre. « Que veulent-elles donc encore, les femmes ? N'ont-elles pas déjà tous les droits ? » fulminent tout bas des personnes mal informées, pour qui l'égalité est une affaire réglée, considérant des revendications justifiées comme des « jérémiades » de féministes toujours insatisfaites.

Affaire réglée ? En droit, certes, l'égalité est quasi atteinte. Mais en pratique, les inégalités, pas plus que le sexisme, ne sont pas de l'histoire ancienne. Quelques chiffres dessilleront les yeux des plus sceptiques. Égalité des salaires ? Les hommes gagnent en moyenne 32 % de plus que les femmes, lesquelles ont une retraite inférieure de 40 %. Le rapport du HCE sur l'index d'égalité professionnelle, dit index Pénicaud, qui est remis cette semaine au gouvernement, rappelle ces quelques tristes réalités statistiques et leurs causes structurelles.

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Égalité des fonctions ? Malgré de multiples dispositions favorisant la parité, on ne trouve encore que trois femmes à la barre des 40 entreprises du fameux CAC, trois aussi seulement à la tête des 36 fédérations sportives olympiques et moins de 20 % de maires au féminin alors que les élues constituent la moitié des conseils municipaux. Rares sont les professions qui échappent au phénomène du plafond de verre, quand ce n'est pas du plancher collant, avec son cortège de salariées précaires ou à temps partiel.

Égalité face à la justice ? Pour 94 000 victimes de viols, moins de 1 % de condamnations. Les agresseurs s'en tirent bien. Le viol est le seul crime où la plaignante est suspectée de mentir ou d'être responsable de ce qui lui arrive. Et pourtant la criminalité semble bien être largement masculine, les hommes représentant 97 % de la population carcérale. Égalité des charges ? Les femmes assument 50 % de plus que leurs compagnons les tâches domestiques, et ont la responsabilité de 85 % des familles monoparentales aux pères trop souvent défaillants. Les charges physique, mentale et financière pèsent très inégalement au sein des foyers, sans que la société ne s'en émeuve outre mesure. On pourrait continuer la litanie des « jérémiades », mais on aurait peur de perdre le lecteur en route.

Pour que le 8 mars ne sonne plus comme l'heure des complaintes, il faudrait d'abord que les mentalités changent en profondeur

On doit néanmoins regarder la réalité en face. Les droits, telle une poignée d'eau, restent souvent insaisissables. Malgré les progrès indéniables de la « condition féminine » (on n'oserait plus baptiser ainsi un ministère, comme ce fut le cas du premier secrétariat d'État de ce nom, il y a cinquante ans), le rythme des avancées est lent, freiné par le poids de réflexes séculaires. Encore un passé qui ne passe pas... Il y a bien sûr des habitudes inconscientes, dues à un cerveau reptilien qui tarde à s'aligner sur les évolutions du cortex cérébral, qui admet intellectuellement la notion d'égalité. Mais il y a aussi la mauvaise volonté. Difficile d'abandonner ses privilèges, financiers bien sûr, mais aussi sexuels ou institutionnels.

Sexuels : cinq ans après MeToo, le cinéma français peine à condamner des pratiques qui s'apparentent à un gigantesque droit de cuissage, et la justice à considérer le « devoir conjugal » comme un viol lorsqu'il est dénoncé par des conjointes « honorées » contre leur volonté. Institutionnels : le monde masculin s'accroche à ses postes, ne cédant la place que sous la contrainte. Sans quotas, pas de résultats. « Quand on légifère, on trouve des femmes ; quand on ne légifère pas, on trouve des excuses », explique Christine Lagarde, actuelle présidente de la BCE, une de ces femmes « puissantes » souvent mises en avant pour servir de cache-sexe, si l'on peut dire, à l'armée des hommes qui conservent l'essentiel du pouvoir en politique comme dans les entreprises. Au firmament de la République, deux Premières ministres sont passées telles des étoiles filantes. Encore plus fermé, le secteur de la finance, le nerf de la guerre. Il n'y a en France que deux banques dirigées par une femme, et ce n'est pas leur faire injure de noter que ce ne sont pas les plus imposantes.

Une poignée d'eau, les droits ? Il y a, au minimum, des fuites dans leur application. La première loi sur l'égalité salariale remonte à 1972, celle sur la parité à l'an 2000, celle sur l'éducation à la vie sexuelle et affective à plus de vingt-deux ans... Leur mise en œuvre, quasi inexistante pour cette dernière, reste inaboutie. Et quand on veut protéger un acquis fondamental par sa constitutionnalisation, comme pour l'IVG, c'est un combat de haute lutte. Si l'on peut se réjouir que, après l'Assemblée nationale, le Sénat se soit rallié au principe d'une « liberté garantie » du droit des femmes à disposer de leur corps, une avancée historique, certains ont encore trouvé des « excuses » pour s'y refuser, avec des arguties juridiques ou des arguments d'un autre âge. « Si les hommes pouvaient tomber enceints, l'avortement serait un sacrement », affirme la célèbre féministe américaine Gloria Steinem.

Histoire ancienne, les inégalités ? La maternité reste un fardeau lourd à porter quand on veut faire carrière. Entre les deux, il faut souvent choisir. Pourquoi les femmes ne pourraient-elles pas avoir fromage et dessert ? Les hommes bénéficient bien du menu complet, à la fois enfants et promotions. Que les femmes doivent souvent se résoudre à sacrifier famille ou travail est non seulement injuste mais absurde. C'est un manque à gagner pour la société de se passer des femmes à des postes de responsabilité, comme dans de nombreux secteurs d'avenir, tels les métiers scientifiques ou technologiques. Le coût du mépris...

Les femmes se heurtent à des injonctions contradictoires. On incite les petites filles à « réaliser leurs rêves », à viser les sommets, et on les rattrape au premier tournant en les orientant dans les métiers du « care » et, pour les futures mères, en n'organisant pas un système universel de garde d'enfants qui libérerait leur énergie, comme on dit aujourd'hui. Assignées aux charges de la maternité, les femmes voient leurs ambitions bridées et leurs parcours hachés, freinés, limités par les congés maternité et les contraintes du foyer. Sans parler de leurs retraites, qui sont loin d'être dorées... On attend l'avènement toujours annoncé, jamais réalisé, du service public de l'enfance. On s'étonne, ensuite, que le désir d'enfant s'éloigne. Même si c'est une affaire de choix plus que de moyens.

Pour que le 8 mars ne sonne plus comme l'heure des complaintes, il faudrait d'abord que les mentalités changent en profondeur. Ce qui ne semble pas encore être le cas, comme l'établit le dernier rapport du HCE sur l'état du sexisme en France. Plus grave encore : le masculinisme progresse et la tentation du repli gagne certaines femmes. Pour éviter cette régression, deux moyens simples : l'éducation et la régulation. Éducation plus égalitaire, à l'école comme en famille. Régulation du secteur qui désormais contrôle nos cerveaux, le numérique. Tant qu'il inoculera des valeurs de domination et de violence masculines, nourrissant les rôles modèles délétères de la vie ordinaire, des murs se dresseront sur le chemin du respect et de l'égalité. Prolongeant les temps anciens où il ne choquait personne que Mme de Mortsauf, à la fin du Lys dans la vallée de Balzac, dise lors de son dernier souffle à Félix de Vandenesse : « J'ai parfois désiré de vous quelque violence. » Qu'écrirait une grande romancière aujourd'hui ?

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Commentaires 3
à écrit le 03/03/2024 à 9:19
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Si nous sommes en situation d'inflation législative c'est parce que nos politiciens, et donc notre oligarchie s'en sert pour nous soumettre à eux et non pour l'égalité entre citoyens. Tant qu'il y aura l'oligarchie surtout aussi arriérée qu'aujourd'h...

à écrit le 03/03/2024 à 9:13
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Tout ce que l'on constate, c'est que "l'égalité" tue "la complémentarité" en tout domaine !

à écrit le 03/03/2024 à 7:52
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C'est compliqué : on pourrait voter l'égalité des salaires dans le privé (çà existe déjà dans l'administration), résultat les salaires féminins augmenteraient de 20% environ. Mais alors les employeurs n'auraient plus intérêt à embaucher des femmes qu...

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