Quand le Conseil constitutionnel sacrifie le social au marché

La décision du Conseil constitutionnel d'interdire la recommandation par les syndicats de certains opérateurs, dans le cadre de la complémentaire pour tous, est hautement critiquable. La loi suprême française se veut donc moins sociale que ne le recommande la commission européenne... Par Jacques Barthélémy, avocat – conseil en droit social, ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier

La décision du Conseil constitutionnel du 19 décembre ne peut qu'appeler des critiques. Même si, en apparence, elle n'écarte de la loi de financement de la sécurité sociale que le différentiel de forfait social, elle interdit, de fait, aux partenaires sociaux de promouvoir de la solidarité, ce qui suppose un pot commun pour alimenter des droits non contributifs. A défaut de clause de désignation, prohibée par la décision du 14 juin, ce différentiel- justifié par son incitation à jouer la carte de la solidarité - y contribuait.

 

 Une atteinte au droit fondamental de négociation

 

Tout d'abord il faut rappeler que désigner un assureur était une faculté, non une obligation. L'interdire, c'est porter une atteinte au droit fondamental de négociation, cette faculté étant liée à un objectif de solidarité, que de ce fait les partenaires sociaux ne peuvent plus mettre en œuvre. Relève du fantasme l'affirmation selon laquelle si cette faculté est maintenue, toutes les branches vont l'utiliser. Elle existe depuis très longtemps et plus de la moitié des branches n'y ont pas eu recours ; en outre, du fait de l'absence de solidarité, la moitié de celles existantes étaient déjà illicites avant la décision des Sages.

 

 Le Conseil constitutionnel nie la faculté sociale offerte

 

Ensuite rares sont les domaines où existe une concordance totale entre les jurisprudences interne (de la Cour de Cassation et du Conseil d'État) et communautaire (de la CJUE). Ici c'est le cas. Le Conseil constitutionnel a cassé cette convergence, de surcroît en niant la finalité sociale de la construction. De fait, cela signifie que, pour l'État français, la solidarité n'a sa place que dans la sécurité sociale légale. Or l'originalité de cette construction jurisprudentielle c'est de favoriser l'émergence - entre la « Sécu » et l'assurance collective (qui concrétise seulement une rémunération différée) - d'une authentique « convention collective de sécurité sociale », celle imaginée par Pierre Laroque dans l'ordonnance de 1945, magnifiée par Paul Durand par son article dans Droit social de 1960.

 

 L'organisation de la régression sociale

 

Enfin rendre inconstitutionnelles les clauses de désignation - et inefficaces celles de recommandation si elles ne peuvent bénéficier, au vu d'un objectif de solidarité, d'une incitation par le différentiel de forfait social -  c'est organiser la régression sociale. La licéité des clauses de désignation étant subordonnée à un degré élevé de solidarité, leur inconstitutionnalité ne peut qu'entraîner la caducité de tout l'accord puisque, à défaut de pouvoir obliger toutes les entreprises de la branche à financer le pot commun, les droits non contributifs déclinant cette solidarité ne peuvent plus être financés ; cela affecte donc l'économie de la convention.

 

À l'issue de la période de sanctuarisation des accords en cours (considérant 14 de la décision du 14 juin), c'est à la disparition du dispositif conventionnel qu'on assistera et non au simple choix possible d'un autre assureur pour gérer le régime existant. Au demeurant, soutenir qu'un simple contrat d'assurance peut apporter un avantage similaire à un tel régime relève de la fiction dans la mesure où la déclinaison des droits non contributifs décidés par les partenaires sociaux n'est pas possible sans prélèvement sur un pot commun.

 

 

Des mécanismes de solidarité existants, qui sont condamnés :

 

 - Calculer l'assiette des indemnités de fin de carrière sur l'ancienneté dans la profession - et non seulement sur celle du dernier employeur - ce qui favorise à la fois la mobilité et l'emploi des seniors n'est pas possible sans un fonds unique. Pourquoi le dernier employeur devrait-il verser un capital tenant compte de l'activité chez ses concurrents ?

 

- Mettre en place un régime professionnel dépendance qui par définition repose sur la solidarité entre actifs et retraités n'est techniquement pas possible si on veut que les retraités actuels en bénéficient.

 

- Maîtriser la cotisation santé des retraités grâce à la solidarité intergénérationnelle et au pilotage du régime n'est pas possible sans clause de désignation. Pour les assureurs, la majoration limitée à 50 % de la cotisation est insuffisante au vu de l'aggravation du risque de cette population ; dans la boulangerie, qui dispose d'un authentique régime fondé sur la solidarité, elle n'est que de 15 % !

 

- La politique de prévention qui permet d'améliorer, dans l'intérêt du régime de base comme du régime complémentaire, le taux de fréquence et de gravité des sinistres, ne peut plus prospérer car elle suppose un prélèvement sur un pot commun.

 

 La loi suprême française sacrifie le social au marché

 

Au nom d'intérêts catégoriels, on interdit aux partenaires sociaux d'organiser, s'ils le souhaitent, une solidarité professionnelle, laquelle a pour effet (pour la CJUE) que la position dominante conférée à un assureur par la clause de désignation n'est pas abusive, en même temps qu'un accord de branche n'est jamais une entente prohibée entre entreprises en raison de sa nature (d'accord entre partenaires sociaux) et de son objet (l'amélioration des conditions de travail).

 

 Un trait d'humour en conclusion :

 

L'inconstitutionnalité pouvait être ciblée, la solidarité conférant un but légitime à une atteinte, ainsi proportionnée, à la liberté contractuelle. En la déclarant générale et disproportionnée, la loi suprême française sacrifie le social au marché alors que l'Union Européenne, présentée habituellement comme esclave de la finance, invite les États membres à promouvoir un degré élevé de protection sociale !

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Commentaires 17
à écrit le 27/12/2013 à 11:06
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C'est une excellente décision qui évite le noyautage de la protection sociale par les syndicats ainsi que le copinage dont ils sont coutumiers. Le choix doit être fait indépendamment d'eux car leur intervention serait du trafic d'influence, et les sa...

à écrit le 27/12/2013 à 10:04
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Au contraire de l'avis de ce monsieur, le conseil constitutionnel a été fort judicieux. Il permet d'éviter une désignation dont les acteurs sont non représentatifs des salariés au vu de leur pourcentage microscopique. Tout au plus peuvent ils émettre...

à écrit le 27/12/2013 à 9:58
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c'est quoi ce galimatias qui n'est rien d'autre qu'un gros enfumage de plus?

à écrit le 26/12/2013 à 11:34
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"la solidarité est légitime quand elle porte atteinte à la liberté contractuelle". Phrase habituelle de tous les totalitarismes de la planète. Traduction : pour des objectifs clientélistes (syndicats) et électoralistes (politiques) on peut fouler au...

à écrit le 26/12/2013 à 10:35
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Où donc ce monsieur (avocat??) a-t-il vu ou lu que ce problème de compléméntaire santé relève du droit communautaire ???!!! Il me semble que c'est un (mauvais) accord entre partenaires sociaux qui , en plus, va impacter la feuille de paie des salarié...

à écrit le 25/12/2013 à 22:59
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mais à qui est destiné cet article? vous l'avez vraiment écrit pour qu'il soit compris par la plupart des personnes?

à écrit le 25/12/2013 à 22:13
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Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement ... Ce n'est pas le cas de cet article très confus et très complaisant à l'égard des syndicats et du gouvernement dans cette tentative de nouvel arrangement entre amis. Pour rappel les syndicats représente...

à écrit le 25/12/2013 à 21:24
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Je ne suis pas du tout d'accord avec ce que vous dites, avocat ou pas. Une clause de désignation où l'employeur doit payer une surtaxe s'il ne veut pas l'utiliser, cela s'appelle du chantage. Si les syndicats peuvent négocier une seule mutuelle comp...

le 26/12/2013 à 9:51
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Les magouilles de gauche ne sont pas des magouilles, puisque cela se fait avec l'argent que les autres peinent à gagner... C'est une juste redistribution par les cigales de l'argent honteusement gagné par les fourmis...

à écrit le 25/12/2013 à 21:23
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Je ne suis pas du tout d'accord avec ce que vous dites, avocat ou pas. Une clause de désignation où l'employeur doit payer une surtaxe s'il ne veut pas l'utiliser, cela s'appelle du chantage. Si les syndicats peuvent négocier une seule mutuelle comp...

à écrit le 25/12/2013 à 16:24
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Une cotisation obligatoire s'appelle de manière internationale une taxe ou un impôt, n'en déplaise aux hommes politiques Français prompts a falsifier la réalité. Attribuer une somme appartenant en réalité à l'état à un organisme qui n'est pas l'éta...

à écrit le 25/12/2013 à 11:54
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Pas claires vos explications, forts soupçons d'enfumage qui rendent l'ensemble suspect.

à écrit le 25/12/2013 à 11:09
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L'auteur de l'article fait quand même l'impasse sur un point important : les liens financiers entre les organismes de prévoyance (quasiment TOUJOURS désignés, lorsqu'il y a désignation) et ... les syndicats qui les rendent obligatoires !!!

à écrit le 25/12/2013 à 10:10
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Cette décision du Conseil d'Etat ne fait que censurer une jolie magouille entre l'Etat et les Syndicats sur le dos des salariés ! Le choix doit rester libre et ne pas être orienté par une incitation fiscale sans fondement . Cet article n'est absolu...

à écrit le 24/12/2013 à 17:39
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Et maintenant, la même chose en français siouplait...

le 24/12/2013 à 17:52
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En français, l'auteur qualifie de simple recommandation, ce qui est en réalité une obligation de choisir la mutuelle imposée par les syndicats, généralement, la leur. Raison, fort justifiée, pour laquelle le Conseil constitutionnel a annulé ce machin...

à écrit le 24/12/2013 à 15:49
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Il manque des éléments dans cet article. Déjà le contexte : l'état a imposé le paiement obligatoire d'une mutuelle par les entreprises à leurs salariés. Dans le même temps, les mutuelles d'entreprises entrent dans le revenu imposable des salariés ; d...

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