Contrôle des concentrations : comment faire bouger Bruxelles ?

La commission européenne est-elle trop rigoureuse en matière de contrôle des concentrations ? Pas sûr... mais son approche technocratique est certainement à revoir. Par Didier Téophile, avocat associé au cabinet Darrois Villey Maillot Brochier.

L'affaire Alstom est une nouvelle occasion pour les militants de la constitution de champions européens ou du refus du rachat de nos entreprises d'accuser encore une fois la Commission européenne de tous les maux. A les entendre, les déboires que rencontrent les entreprises françaises ne viendraient pas des difficultés trop réelles dont elles souffrent hélas, mais de Bruxelles, qui appliquerait trop strictement les règles de concurrence en matière de contrôle des concentrations. Bruxelles empêcherait ainsi la constitution de grands groupes capables de lutter à armes égales contre les géants asiatiques et américaines.

24 opérations interdites en 2013... sur 5423 

Cette ritournelle, bien connue et un rien populiste, n'est pas nouvelle. On l'a déjà entendue lors de la crise financière et économique que nous venons de traverser, avec l'exigence que la Commission relâche sa pression sur les entreprises, quitte à les laisser s'entendre sur le dos des consommateurs et, en définitive, à ne plus être incitées à innover ni à embaucher.

Cette antienne cache une réalité qui devrait inciter les pourfendeurs de la Commission à changer de refrain. En vingt-trois années d'application du contrôle des concentrations, sur un total de 5 423 opérations notifiées à fin 2013, seules 24 ont été interdites par la Commission.

 

Une approche technocratique

En 2013, seulement 2 opérations sur 277 ont fait l'objet d'une interdiction. Certes, ces chiffres ne tiennent pas compte des opérations qui n'ont pas été lancées en raison précisément des difficultés concurrentielles qu'elles posaient au regard de la pratique de la Commission. Mais, l'arbre ne doit pas cacher la forêt : force est bien de constater que l'immense majorité des concentrations notifiées est autorisée par la Commission européenne.

Les procureurs de l'Europe se trompent donc de combat. Pourtant, la Commission n'est pas exempte de critiques. Faute de vision politique, elle a trop souvent une approche technocratique de l'Europe qui rejaillit sur ses services pour lesquels le contrôle des concentrations ne serait qu'un domaine technique parmi d'autres. Mais peut-on le leur reprocher ? Leur rôle est d'appliquer le droit de la concurrence et non d'en faire un instrument de politique industrielle.

 

Une vision erronée du marché ? 

En l'état, le droit de la concurrence impose de définir les marchés affectés par une concentration afin de mesurer les parts de marché des entreprises concernées. Alors que le projet européen s'inscrit dans la démarche d'un large marché unique ouvert à tous les consommateurs de l'Union, la Commission retient le plus souvent le critère des positions au niveau national en définissant des marchés restreints. De facto, cela peut mener à des parts de marché élevées pour les entreprises européennes, alors que leurs concurrents mondiaux, pourtant aussi puissants dans leurs pays d'origine mais dont la présence est plus limitée en Europe, n'ont aucune difficulté à y réaliser des opérations stratégiques.

C'est sans doute à ce moment de l'analyse bruxelloise que le bât blesse. Sans revenir sur l'obligation de définir les marchés lors de l'examen d'une concentration impliquant des groupes extra européens, il pourrait être demandé à la Commission de tenir compte de leur puissance réelle, en mesurant leurs capacités industrielles, financières et commerciales de manière globale.

 

Un choix politique

Cette nouvelle grille d'analyse donnerait à la Commission la possibilité de regarder de plus près des concentrations a priori anodines si l'on ne tient compte que des parts de marché en résultant dans l'Union européenne. Sans aller jusqu'à des interdictions, elle pourrait imposer des remèdes limitant la puissance de certains groupes extra européens. Dans le même temps, elle pourraient, en ligne avec sa pratique actuelle, interdire ou limiter les effets d'opérations qui, camouflées derrière le drapeau de la création de champions nationaux et européens, auraient des effets anticoncurrentiels réels et permettant de constituer des rentes de monopole au sein de l'Union au préjudice des consommateurs.

Il faudrait sans doute, pour permettre ce nouveau regard, modifier les textes applicables. C'est un choix politique. Les entreprises françaises et européennes ont tout à y gagner.

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Commentaire 1
à écrit le 03/07/2014 à 17:05
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Ils ont toujours été dans les choux, et c'est pas prés de changer

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