Afghanistan : le triomphe des talibans malgré les milliards dépensés par les États-Unis

OPINION. Les Américains sont restés vingt ans en Afghanistan et y ont déversé des sommes astronomiques. Un mois après leur départ, les talibans ont repris le pouvoir dans le pays. Par Natasha Lindstaedt, University of Essex (*)
(Crédits : STRINGER)

En moins d'une semaine, les talibans se sont emparés d'une douzaine de villes majeures de l'Afghanistan. Ils encerclent désormais Kaboul et négocient avec le gouvernement du président Ashraf Ghani une transition pacifique du pouvoir. Leur emprise sur le pays est désormais quasi totale. Leur victoire éclair intervient à peine un mois après le retrait des troupes américaines.

Au cours des vingt dernières années, les États-Unis ont déversé des milliers de milliards de dollars sur l'Afghanistan pour chasser les talibans. Cet effort financier colossal se sera soldé par un fiasco total. Il est vrai que si l'on considère la situation géographique stratégique du pays et la politique de soutien aux talibans conduite par certains acteurs régionaux, cette issue apparaissait inévitable.

L'Afghanistan occupe une position stratégique entre l'Asie centrale et l'Asie du Sud, au sein d'une région riche en pétrole et en gaz naturel. L'État afghan est historiquement confronté aux aspirations indépendantistes de différents groupes ethniques résidant sur son territoire, tout spécialement les Pachtounes et, dans une moindre mesure, les Baloutches.

C'est - entre autres - pour ces raisons que l'Afghanistan a de tout temps été le théâtre d'ingérences extérieures, que celles-ci proviennent du Royaume-Uni, l'Union soviétique puis de la Russie, des États-Unis, de l'Iran, de l'Arabie saoudite, de l'Inde et, bien sûr, du Pakistan.

Le rôle du Pakistan

Les relations entre l'Afghanistan et le Pakistan ont toujours été tendues depuis que le premier a été reconnu comme un État souverain en 1919.

Lorsque le Pakistan a obtenu son indépendance en 1947, l'Afghanistan a été le seul pays de l'ONU à voter contre sa reconnaissance, en bonne partie du fait du refus de Kaboul de reconnaître la ligne Durand - la frontière afghano-pakistanaise, longue de 2 400 kilomètres, tracée à la hâte en 1893, des millions de Pachtounes se retrouvant alors de part et d'autre.

Craignant les appels lancés par les Pachtounes des deux pays en faveur de la création d'un État national pachtoune qui comprendrait une large partie du nord du Pakistan, Islamabad cherche depuis longtemps à faire de l'Afghanistan un État client, ce qui lui permettrait de gagner en profondeur stratégique face à l'Inde. Pour cela, les responsables pakistanais cherchent avec constance à faire émerger en Afghanistan une identité islamique (plutôt que pachtoune).

Le Pakistan a largement contribué à l'arrivée des talibans au pouvoir à Kaboul en 1996 et s'est montré plus impliqué en Afghanistan que n'importe quel autre voisin du pays. Par l'intermédiaire de son principal service de renseignement, l'ISI, il a financé les opérations des talibans, recruté des hommes pour servir dans leurs forces armées, leur a fourni des armes et les a aidés à planifier leurs offensives. Occasionnellement, le Pakistan a même directement pris part aux combats aux côtés des talibans. Le soutien de l'ISI aux talibans s'explique par l'objectif d'éradiquer le nationalisme pachtoune. Mais cette stratégie a peut-être créé un problème plus important encore pour le Pakistan, car le régime taliban a entraîné un exode de citoyens afghans vers le Pakistan.

Pourtant, selon le gouvernement afghan, certains éléments au sein du gouvernement pakistanais, notamment l'ISI, soutiennent toujours les talibans et entretiennent l'instabilité permanente en Afghanistan. En outre, le Pakistan n'a pas noué de bonnes relations avec les autres groupes actifs en Afghanistan et n'a donc guère d'autre choix que de se ranger derrière les talibans.

Pour le gouvernement pakistanais, le pire scénario serait un conflit prolongé, qui pourrait conduire à un nouvel afflux massif de réfugiés au Pakistan.

Les calculs de l'Iran

Les relations de l'Iran avec l'Afghanistan, dont il est limitrophe à l'est, sont rendues compliquées par la dynamique régionale et par les relations des deux États avec Washington. En tant que pays chiite, l'Iran a longtemps eu des divergences idéologiques avec les talibans. Dans les années 1990, il a cherché à conclure des alliances, notamment avec les États-Unis, pour contrer la menace posée par ceux-ci.

Deux décennies plus tard, les relations entre les États-Unis et l'Iran sont au plus bas, ce qui a un impact direct sur l'attitude de Téhéran vis-à-vis des talibans. L'Iran a cherché à jouer sur tous les tableaux, soutenant à la fois le gouvernement afghan et les talibans pour maintenir leur division. L'amélioration de ses relations avec le Qatar, où se trouve le bureau politique des talibans, a également favorisé les relations entre l'Iran et les talibans.

Les objectifs de la Russie et de la Chine

La Russie cherche avant tout à prévenir l'instabilité à sa frontière avec l'Afghanistan et à préserver ce pays de l'influence américaine. Depuis les années 1990, Moscou développe des relations avec différents groupes en Afghanistan, y compris les talibans, malgré ses soupçons quant à un éventuel soutien des talibans à des groupes terroristes.

Ces relations se sont intensifiées après l'émergence de l'État islamique en 2015. Dans sa lutte pour vaincre Daech en Afghanistan, la Russie a vu les intérêts des talibans coïncider avec les siens.

Des informations ont fait surface selon lesquelles la Russie armait les talibans afghans et sapait directement les efforts des États-Unis dans ce pays, allant jusqu'à leur verser des primes pour tuer des soldats américains et alliés. Toutefois, les services de renseignement américains ont, depuis, dit fortement douter de la réalité de ces primes qui auraient été promises par Moscou.

La Chine, quant à elle, a toujours entretenu des relations cordiales avec les talibans. La principale préoccupation de Pékin est d'étendre son influence vers l'ouest pour gagner en profondeur stratégique face à l'Inde et aux États-Unis.

De nouvelles alliances

Pour l'instant, l'ascension des talibans ne s'est pas traduite par une augmentation de l'activité terroriste de groupes comme Al-Qaïda contre les voisins de l'Afghanistan - une crainte que le retrait américain de la région a largement amplifiée. La victoire des talibans apparaissant inexorable, presque tous les voisins de l'Afghanistan ont passé des alliances opportunistes avec eux, à l'exception de l'Inde.

Cette dernière, longtemps réticente à se rapprocher des talibans, a toutefois récemment pris contact avec eux, avec le soutien du Qatar. Cependant, New Delhi a également indiqué clairement qu'elle ne soutiendrait pas une prise par la force de Kaboul.

Ces dernières semaines, le gouvernement afghan, assiégé, n'a cessé d'affirmer que ses voisins faisaient preuve d'une grande naïveté vis-à-vis des talibans en croyant à leur capacité à se réformer et à leur capacité à aider l'Afghanistan à atteindre la stabilité. De hauts responsables afghans ont prévenu qu'une victoire des talibans entraînerait un renforcement de divers groupes terroristes, si les talibans leur permettaient d'établir une base en Afghanistan depuis laquelle ils fomenteraient des attaques.

Il y a plus inquiétante encore que l'hospitalité des talibans : c'est leur volonté de permettre aux groupes terroristes de s'engager librement dans la criminalité organisée - l'Afghanistan étant également un lieu attrayant pour cela.

La résurgence des talibans a provoqué une grave crise humanitaire en Afghanistan, et s'accompagne de terribles violations des droits de l'homme. Le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, a accusé les États-Unis de laisser derrière eux un « chaos ».

Et pourtant, si beaucoup critiquent le président américain Joe Biden pour avoir retiré ses troupes, il est peu probable, compte tenu de toutes ces forces régionales en jeu, que les États-Unis auraient pu un jour parvenir à la stabilité en Afghanistan, quelle qu'ait pu être la durée de leur présence sur place.

The Conversation _____

(*) Par Natasha Lindstaedt, Professor, Department of Government, University of Essex

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

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Commentaires 19
à écrit le 18/08/2021 à 17:03
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Pendant ce temps : Le retrait américain de l’Afghanistan inquiète aussi Taïwan. L’île, qui compte 23 millions d’habitants, vit sous la crainte d’une invasion par Pékin. Si les États-Unis sont aujourd’hui l’un des alliés les plus importants de Taïw...

à écrit le 18/08/2021 à 14:32
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Arrêtez la rhétorique de bistrot : on s'en tape, de l'Afghanistan. On n'avait rien à faire là-bas. Et on a bien fait de se tirer avant les autres. Qu'ils se débrouillent entre Afghans

à écrit le 18/08/2021 à 9:04
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Le silence assourdissant de papy Drian. Il s'est endormi devant Derrick ? 10 000 euros de salaires c'est pas assez ?

le 18/08/2021 à 17:05
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Le doigt fonctionne encore ,il a fait un tweet : Le ministre des Affaires étrangères, dans un tweet, dit avoir « demandé que les Taliban démontrent par des actes qu’ils ont changé comme ils le disent ».

à écrit le 18/08/2021 à 8:48
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Les talibans ont récupéré l'armement US de l'arméee afghane, merci oncle Sam

à écrit le 18/08/2021 à 5:05
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Tout cela est voulu ,une industrie de l'armement à toujours besoin de conflits ..L'argent et la cupidité gouvernent le monde

le 18/08/2021 à 7:42
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aroser une classe elitique et prilegier n'est pas inculquer la democratie a un peuple un peuple doit se battre pour ces idees pas se sauver

à écrit le 17/08/2021 à 13:03
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Les américains ont bien d'autres guerres à mener dans les ghettos...

à écrit le 17/08/2021 à 12:57
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Les images à l'aéroport montrent plutôt des hommes qui cherchent à partir et peu de femme.

à écrit le 17/08/2021 à 12:51
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"Il est spectaculaire de voir des soldats équipés de sandales vaincre la plus puissante armée du monde". Des sénateurs américains à l'époque du Vietnam pensaient la même chose :"Mais, comment ,on n'arrive pas à vaincre des gars en pyjama noir ".

à écrit le 17/08/2021 à 11:04
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L’obscurantisme est l’arme des dictateurs du monde entier. Les talibans à voir leur visage : n’ont pas idée dans quel piège ils sont , et le monde attend de eux , qu’ils oppriment les populations Afghans alors que le Coran dit : nul ne peut contrair...

à écrit le 17/08/2021 à 10:21
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notre ingerence dans ces pays Irack Tunisie ,lybie a toujours ete un fisco ,ces pays formes de tribus ne peuvent vivre sans une ses certaine autorite PROBLEME en France on devient pareil, la rue gouverne ,les tribus se formes

le 17/08/2021 à 12:21
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m macron oubli de donner un avenir au francais c'est toujours autre chose il n'est pas president du monde alors qu'il gere la france et pas avec sa pretention de mondialisation la france avant tous et pour tous

à écrit le 17/08/2021 à 10:17
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MOSCOU (Reuters) - L'ambassade de Russie à Kaboul a déclaré lundi que le président afghan Ashraf Ghani avait fui le pays avec un hélicoptère et quatre voitures remplis d'argent liquide et qu'il avait dû laisser une partie de l'argent derrière lui, fa...

à écrit le 17/08/2021 à 9:39
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On nous expose le modèle consumériste occidental comme la panacée comme si cela allait de soi tandis que les peuples occidentaux subissent une propagande politico médiatique permanente et massive leur imposant cette pensée alienante. Le décalage est...

à écrit le 17/08/2021 à 9:17
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Le futur est tout tracé, c'est la relève de la covid...Les plaies se suivent pour apeurer les populations!

à écrit le 17/08/2021 à 9:11
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Il est spectaculaire de voir des soldats équipés de sandales vaincre la plus puissante armée du monde. La leçon qu'il faut en tirer est que les dictatures corrompus qui se soutiennent mutuellement gagnent du terrain sur les démocraties qui se font mo...

le 17/08/2021 à 10:05
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Les américains n'ont pas perdu militairement. Ces guerres des occidentaux comme au Sahel font partie des guerres qu'on ne peut pas perdre, mais qu'on ne peut pas gagner non plus.

le 17/08/2021 à 11:19
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les talibans n ont pas vraiment vaincu les USA. Ils ont pris le pays quand l armee afghanne n a plus eut de support militaire US. Autrement dit, pendant les 20 dernieres annees, si les talibans n ont pas pris lepouvoir c est que les USA etaient la. ...

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