Anachronie en Ukraine

CHRONIQUE. L’anachronique voudrait le temps d’avant, et en veut au temps présent. L’anachronie mêle mélancolie et rancune. Plus proche du Kremlin que de l’Ukrainien, l’anachronie du premier s’est pourtant invitée chez le second. Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste.
(Crédits : SPUTNIK)

L'anachronie n'est pas un pays, mais elle habite en Ukraine. Là-bas se produisent en ce moment même des choses du passé. Des choses qui nous rappellent ce dont le genre humain est capable. Il ne sert à rien de se frotter les yeux ou de les fermer, nous sommes le 9 mars 2022, en Europe, et l'Ukraine est bel et bien agressée par celle qui la considère comme sa petite sœur : la Russie.

La distance entre le futur et le présent n'a jamais été aussi grande. Le temps de l'Ukraine est à la survie : le demain ukrainien est devenu hésitant, le présent n'osant plus se projeter si loin. Pendant ce temps, le passé a rattrapé le présent, la mélancolie Poutinienne fantasmant le retour de la petite Russie chez elle. D'ordinaire, passé et futur sont les deux béquilles qui permettent à une nation de tenir sur son présent. Mais parfois, le présent boite, car l'une des béquilles est plus longue que l'autre.

Lorsque c'est le futur qui cause le déséquilibre, c'est en général parce qu'il exerce un pouvoir hypnotique vampirisant tous nos sens : la fin justifie alors bien des moyens. Il s'agit de cette sale manie du progrès à tout raser sur son passage, pourvu que cela nous permette de faire un pas de plus. Encore et encore, il faut rappeler l'Angelus Novus de Klee revisité par Walter Benjamin :

« Il a les yeux écarquillés, la bouche ouverte, les ailes déployées... Cette tempête le pousse irrésistiblement dans l'avenir auquel il tourne le dos tandis que le tas de ruines devant lui grandit jusqu'au ciel. Ce que nous appelons le progrès, c'est la tempête. »

Mais dans le cas de l'Ukraine, il semblerait que ce soit plutôt le passé qui ait pêché par excès d'orgueil : « rendez-moi l'Ukraine ! », dit l'envahisseur. Pourtant, le plus souvent les nations trouvent la bonne position de la crémaillère afin de ne pas se faire bruler les ailes par quelque ressentiment. « Notre passé nous suit, il se grossit sans cesse du présent qu'il ramasse sur sa route ; et conscience signifie mémoire », Henri Bergson. Mais parfois, le passé exerce une telle sidération sur le présent, une telle frustration sur le frustré, que le seul moyen de produire une catharsis est de reproduire ce passé, sous forme de mode, de rite, de guerre.

Un geste surréaliste et suranné

Après 7 millions d'années et l'apparition des premiers ancêtres de la lignée des Hommes, on ne sait toujours pas quel est le sens de l'histoire, s'il y en a... s'il y a même une fin de l'histoire. Par contre, peut-être peut-on plus facilement se convaincre qu'il existe un mauvais sens de l'histoire, un contre-sens, ou un non-sens. L'anachronisme ukrainien ? Aucune hésitation : c'est un non-sens : « chose absurde, illogique, défi au bon sens, à la raison ».

Ainsi, le geste russe apparait surréaliste, suranné. Mais il est bien réel, et bien présent. Il fait mal, mal à l'Homme, mal à l'époque. La réaction de l'Occident est-elle à la hauteur du malheur en cours ? L'Histoire dira. En attendant, peut-être faut-il encore faire confiance à l'Histoire, puisque « L'Histoire connaît son chemin », Arthur Koestler.

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Commentaire 1
à écrit le 10/03/2022 à 9:20
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Une chose est certaine c'est que si on avait eu tout ce tapage médiatique durant la guerre du Rwanda, il n'y aurait pas eu le massacre de 1 millions de gens. Les déclarations de nos emplois fictifs européistes nous parlant de bonne immigration parce ...

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