Taux bas : partir ou quitter  ? ...

CHRONIQUE Les fins sont toujours équivoques. Est-ce un nouveau départ ? Ou le terme d'un voyage ? Le début d'une nouvelle histoire ou bien la rupture ? La fin des politiques monétaires ultra-accommodantes (argent gratuit) n'échappe pas à la règle. Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste.
(Crédits : Reuters)

Le tournant monétaire restrictif annoncé par les Banques Centrales marque-t-il la fin douloureuse d'une ère biberonnée par des politiques bienveillantes ? Ou bien ce tournant nous invite-t-il à fuir un monde interlope dénaturé par des politiques de soutien étouffantes ?

« Il me manque quelque chose que je ne désire pas »

Une première lecture voit le verre à moitié vide, ou plutôt complètement vide. Le tournant monétaire restrictif qui nous pend au nez n'annonce rien de bon. Mais il est nécessaire. Lutter contre l'inflation est à ce prix.

« Il me manque quelque chose que je ne désire pas », Fernando Pessoa savait très bien de quoi nous parlons.

Nous devons quitter une ère angélique, où les politiques monétaires nous assuraient que le pire n'adviendrait pas. Il est vrai que les Banques Centrales ont sauvé le monde quelques fois récemment. Mais avec quelques effets secondaires : la disparition du risque et la disparition de la perception du risque. Le risque réel et son ressenti en quelque sorte. Les Banques Centrales ayant confisqué aux agents économiques le pouvoir de subir les pertes liées à leurs erreurs, ils n'avaient plus la capacité d'en souffrir.

On imagine alors sans peine que le réveil sera très douloureux. La fin de l'argent gratuit pourrait notamment lever le voile sur quelques productions au goût douteux, projets qui n'auraient jamais dû voire le jour, dettes qui n'auraient jamais dû grimper si haut, marchés qui n'auraient jamais dû promettre de tels bénéfices. Cela ne permettra pas d'aller mieux, mais de mesurer l'étendue des dégâts. Le procédé de l'écriture relève de la même démarche.

« Écrire, c'est comme craquer une allumette au cœur de la nuit en plein milieu d'un bois. Ce que vous comprenez alors, c'est combien il y a d'obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l'épaisseur de l'ombre. » William Faulkner.

Mélancolie plotinienne

Et puis, il y a le verre à moitié plein. Celui qui vous promet d'être enfin rémunéré pour le risque que vous prenez. Ou inversement, qui vous promet de supporter enfin le risque que vous prenez en finançant votre projet. Certes, l'impératif catégorique du « quoi qu'il en coûte » avait de sérieux arguments à faire valoir, durant les crises. Mais qu'en est-il lorsqu'il semble que la crise majeure s'éloigne ? Il est fort probable qu'un durcissement des conditions financières provoquera des remous aux conséquences indésirables. Mais justement, peut-être qu'un peu d'ordre dans tous les projets permettrait d'encourager les bons ? Et d'inviter les mauvais à revoir leur copie ? Le retour d'un certain utilitarisme économique où seul l'objectif du projet proposé justifie les moyens qui doivent être mis en œuvre pour l'amener à terme.

Quitter l'ère de l'argent gratuit serait-il la meilleure chose qui puisse nous arriver ? On entend de tout. Peut-être est-ce la condition nécessaire afin que nous avancions un peu, nous sortir du sable mouvant dans lequel nous risquions de nous perdre ? Adieu l'argent gratuit ! puisque c'est le seul moyen, comme Plotin détourna Porphyre d'un suicide mélancolique, en l'invitant à quitter sa terre et ses proches, pour « partir en voyage ». Peut être l'inflation nous rend - elle finalement un fier service. Car il n'est pas certain que nos Banques Centrales eurent l'audace de prendre les devants, sans le coup de coude du contingent.

À moins qu'il existe une 3e solution ?

Ne pas partir, ne pas quitter, mais rester là : statu quo des politiques monétaires. L'ennui c'est ce qu'on y croit plus, car les Banques Centrales sont acculées par le fait : le fait inflationniste. Il y a quelques semaines à peine, l'absence de réaction pouvait passer pour du stoïcisme, cela ressemblerait désormais davantage à de l'hébétude.

Pourtant, quelque chose fait tiquer. Comme un acteur qui surjoue, la rhétorique agressive des Banques Centrales semble pêcher par manque de conviction. On ne retourne pas toujours sa veste par goût personnel, parfois c'est davantage une affaire de mode. Ainsi, à bien y regarder le prêche monétaire ressemble davantage à une morale par provision : faire quelque chose, mais surtout ne pas rester irrésolu face à l'inflation. Si l'inflation galopante est vraiment ce qu'elle dit qu'elle est, il n'y a pas de doute que les Banques Centrales feront ce qu'elles disent qu'elles feront. Sinon, pschitt. Et il ne sera plus question de partir ou quitter l'ère de l'argent (quasi) gratuit.

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Commentaires 3
à écrit le 13/02/2022 à 2:41
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Hebetude, le terme est idoine. Quand quelqu'un est dans cet etat, il ne fait plus rien, il en est incapable. Alors que la raison en ce cas dira qu'il faut a contrario s'agiter. Pour les imprevoyants, ca va faire tres mal. Pour les autres, les laisses...

à écrit le 13/02/2022 à 1:09
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Un bon papier.

à écrit le 12/02/2022 à 10:06
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Notons la cocasserie hypocrite habituelle de notre classe dirigeante faisant que celle-ci a du donner comme raison à la prise de contrôle des banques privées sur les États cette excuse là à savoir éviter l'argent gratuit. Mais bon plus ils possèdent ...

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