Assurance vie : la loi Sapin 2, un signal envoyé aux assureurs plutôt qu'une vraie menace

Votée ce jeudi dans le cadre de la loi Sapin 2, la possibilité de bloquer les rachats sur les contrats d'assurance-vie n'est pas une nouveauté sur le plan réglementaire. Et ce n'est pas une vraie menace pour les épargnants. Quant à la régulation des taux servis par les compagnies, la loi est davantage un « chiffon rouge » à ce stade qu'un danger pour les assureurs-vie, en raison de l'absence de critères objectifs de mesure associés. Par nCyrille Chartier-Kastler, Fondateur du site GoodValueforMoney.eu , spécialisé sur les assurances de personnes

Dans le contexte actuel de très faible niveau des taux d'intérêts (l'OAT à 10 ans étant à 0,12 % au 28 septembre 2016), la loi Sapin 2, dont un amendement voté ce jeudi par l'Assemblée nationale prévoit la possibilité de bloquer des retraits de sommes placées en assurance vie, en cas de crise grave,  envoie un message négatif aux épargnants.  Elle leur laisse penser que la partie de leur épargne investie sur des fonds en euros (globalement 81 % de l'assurance-vie) serait en situation de risque (ou pourrait le devenir). Faut-il pour autant s'affoler ? Que penser des dispositions intégrées dans ce projet de loi ?

 La possibilité de bloquer les rachats sur les contrats d'assurance-vie n'est pas une nouveauté en soi. Elle figure de longue date dans le Code Monétaire et Financier. Rappelons que cette disposition a failli être appliquée en 2008 lors du krach boursier découlant de la crise des subprimes aux Etats-Unis. La loi Sapin 2 élargit cette disposition en y intégrant le blocage possible des arbitrages ou des demandes d'avance.

Bloquer les retraits des fonds en euros, alors que  les assureurs encouragent ce mouvement...

Paradoxalement, le législateur prévoit aujourd'hui de pouvoir bloquer les sorties de fonds en euros, alors même que les assureurs-vie (encouragés en cela par leurs autorités de contrôle) font tout pour limiter les investissements de leurs client sur des fonds en euros d'une part et poussent des derniers à arbitrer des fonds en euros vers des unités de compte d'autre part. Dans la situation actuelle, toute baisse des encours en euros crée de la richesse en raison des niveaux très élevés de plus-values latentes sur les obligations en portefeuille. Vendre des obligations en stock est tout sauf une difficulté pour un assureur-vie aujourd'hui. Il n'y aurait aucune menace de faillite pour le secteur en découlant.

Une mesure prévue en cas de remontée brutale des taux d'intérêt

Le vrai sujet visé par la loi Sapin2 est celui d'une remontée des taux d'intérêts. Faudrait-il encore qu'elle ait lieu et qu'elle soit brutale. Nous vivons depuis plus de deux années une grande mise en scène trimestrielle de la Fed qui annonce qu'elle va peut-être monter ses taux... finalement pour annoncer qu'elle reporte sa décision au trimestre suivant. La situation économique mondiale médiocre conduit aujourd'hui davantage à une forme de « guerre des devises » avec des politiques très accommandantes au niveau des taux d'intérêts visant à soutenir les exportations. La situation en Europe n'est guère plus favorable. Une remontée brutale des taux conduirait à une asphyxie d'économies déjà bien convalescentes.

Une remontée des taux est effectivement probable un jour, mais ce jour n'est pas encore là. La loi Sapin 2 aurait probablement mieux fait de s'atteler à trouver des mesures efficaces pour soutenir la dynamique entrepreneuriale en France et la croissance plutôt qu'à envoyer très en avance (probablement de 3 à 5 ans) un message concernant un risque potentiel dont la réalisation n'a rien de certain.

 Une remontée graduelle des taux facilement absorbable

Les assureurs-vie ont toute capacité à absorber une éventuelle remontée graduelle des taux grâce à la fois au mécanisme même des fonds en euros (qui permet de lisser les investissements d'hier avec ceux d'aujourd'hui) et aux réserves importantes existantes. Good Value for Money estime le cumul de rendement en réserve sur les fonds en euros à 6,2 % fin 2014 grâce au cumul des provisions pour participation aux bénéfices (2,1 %), de la réserve de capitalisation (1,2 %), des plus-values latentes immobilières (1,0 %) et des plus-values latentes sur actions (1,7 %). Notons également que les assureurs-vie gardent pas mal de liquidités aujourd'hui, car ils n'arrivent que difficilement à investir de manière satisfaisante les flux de collecte qui arrivent.

 Imposer aux assureurs des mises en réserves supérieures

Le deuxième sujet de fond (et nouveau en ce qui le concerne) intégré dans la loi Sapin2 est la possibilité pour les régulateurs de moduler les dotations et les prélèvements réalisés par les assureurs-vie sur leurs provisions pour participations aux bénéfices (PPB). En l'absence de critères quantitatifs et objectifs, ce dispositif nous semble difficile à appliquer.

Rappelons que certains assureurs-vie font le choix de garder d'importantes plus-values latentes (sur immobilier et actions) en réserve plutôt que de les réaliser et de doter la PPB. Devrait-on demander ces assureurs-vie de doter leur PPB, alors même qu'ils ont des réserves par ailleurs ? Pourrait-on imposer à ces assureurs-vie de vendre des actifs (biens immobiliers, actions...) afin de dégager des plus-values et de doter subséquemment leur PPB ?

L'autre point délicat concernant ce dispositif est celui de savoir ce qu'on fera à terme de toutes ces provisions pour participation aux bénéfices (PPB) qui vont ainsi s'accumuler. Certains assureurs-vie ont d'ores-et-déjà 5 % de PPB en réserve, c'est-à-dire la capacité à servir plus de deux années de rendement sur leurs fonds en euros. Doit-on demander à ces assureurs d'aller encore plus loin ? Par ailleurs, comment organisera-t-on la restitution un jour de cette PPB aux épargnants ?

Le sujet de fond qui est derrière est que la PPB constituée aujourd'hui grâce à des actifs achetés hier via l'épargne de certains clients risque d'être restituée (d'ici 3 à 5 ans voire 8 ans ?) à des épargnants qui seront venus chercher un effet d'aubaine.

Des épargnants exigeant la restitution des sommes mises de côté?

A ce jour, les assureurs-vie ont tendance pour certains d'entre eux à « faire tourner leur PPB » sur 8 années afin de ne pas la restituer et de préserver ce matelas de sécurité. Est-ce réellement sain, tant pour les assureurs-vie que pour leurs régulateurs de ne pas restituer des sommes qui appartiennent légalement aux assurés ?

Le vrai risque derrière tout cela est celui de l'explosion de contentieux de la part d'épargnants attaquant leur assureur-vie afin de demander la restitution de sommes « excessivement » mises de côté sous prétexte de sécurisation du secteur.

Cyrille Chartier-Kastler

Fondateur du site GoodValueforMoney.eu spécialisé sur les assurances de personnes

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Commentaires 5
à écrit le 01/12/2016 à 19:02
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Décidément ces "pseudos-socialistes" auront tout fait pour ruiner les retraités, de loin les épargnants les plus séduits par ce type de placement, même si le rendement en a progressivement "fondu" années après années...!!! "Gel" des pensions depuis ...

à écrit le 15/11/2016 à 16:07
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Pour ma part je suis passé à la banque en début d'après midi et j'ai soldé mon contrat d'assurance vie ( très important) commencé il y a 30 ans. Arrivant à l'age de prendre ma retraite dans 6 mois je n'ai pas envie de me voir contraint dans mes pro...

le 01/12/2016 à 19:12
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Nous avons la ferme intention, mon épouse et moi, après consultation de notre organisme bancaire, de clôturer nos deux contrats d'assurances-vie pour transformer ces fonds que nous espérions pourtant comme étant susceptibles d'arrondir modestement no...

à écrit le 14/11/2016 à 18:53
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Merci pour votre article à la fois pédagogique et instructif, . La Tribune a -t-elle fait un article sur le projet de Bâle IV ? La solidité financière des banques et la limitation des risques sont des impératifs que les clients institutio...

à écrit le 29/09/2016 à 15:24
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la vraie raison du blocage, la voila dans 10 ans il n'y aura plus que des obligations qui rapportent 0.2%, avec des frais a 0.7, ca fait -0.5% tous les ans sachant que les assureurs ont obligation de prendre des oat, la question est: ' quel idiot...

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