Avec GAIA-X, inventons le cloud de demain en Europe

OPINION. La dépendance européenne aux technologies américaines, l'incertitude juridique entourant les transferts transatlantiques de données, et la nécessité de la souveraineté numérique européenne, ont poussé à la création de Gaia-X, qui se veut moins un "Airbus du cloud" qu'un écosystème paneuropéen de solutions de confiance. Une opportunité rare de réaligner le cloud sur les grands enjeux de demain, tout en créant de nombreux emplois en Europe, estiment Caroline Comet-Fraigneau, vice-présidente France/Benelux/Africa chez OVHcloud, et Laurent Michel, directeur des affaires publiques chez Platform.sh.

Avec le télétravail, le commerce en ligne et les visioconférences, la crise sanitaire a consacré le rôle prépondérant du numérique dans nos vies personnelles et professionnelles, et, en arrière-plan, celui du cloud, sur lequel reposent tous ces services. En 2020, selon IDC, les dépenses mondiales dans le cloud ont ainsi augmenté de 24%, au plus grand profit des grands acteurs américains et chinois qui dominent ce marché.

Divergences irréconciliables entre Européens et Américains

La dépendance de nos systèmes, de nos économies et de nos sociétés toutes entières à ces quelques entreprises constitue un risque que l'on ne saurait ignorer plus longtemps, le passé récent ayant montré qu'elles ont tendance -ou sont incitées- à favoriser leurs marchés domestiques.

Au cours des cinq dernières années, la profonde évolution du contexte réglementaire a, par ailleurs, mis en évidence des divergences irréconciliables entre Européens et Américains au sujet de la protection des données personnelles. Alors même que les premiers en organisaient la protection avec le RGPD, les seconds se dotaient de pouvoirs d'investigation extraterritoriaux avec le Cloud Act. En 2020, l'invalidation par la Cour européenne de justice du Privacy Shield, qui encadrait le transfert transatlantique des données, n'a fait qu'élargir le fossé et accroître l'incertitude.

Gaia-X, pas un "Airbus du cloud" mais un écosystème paneuropéen de solutions de confiance

Ajoutée à la dépendance économique et technologique, cette insécurité juridique a achevé de convaincre les Européens de la nécessité d'une alternative. C'est ainsi qu'est née GAIA-X, une initiative de vingt-deux acteurs privés qui a bénéficié d'un fort soutien politique. Leur objectif n'est pas de s'unir pour créer un nouveau mastodonte, un «Airbus du cloud », mais de faire émerger un écosystème paneuropéen de solutions de confiance.

En revenant à l'essence du cloud (des ressources distribuées, standardisées, faciles d'accès, que l'on active ou désactive au gré des besoins) et à quelques valeurs fondamentales (démocratie, ouverture, respect de l'individu, éco-responsabilité), les membres de GAIA-X aspirent à inventer un nouveau modèle de cloud, moins centralisé, moins verrouillé, plus transparent, plus résilient. Ce modèle offrira aux organismes publics, aux entreprises privées et aux consommateurs des solutions conformes à leurs préoccupations en matière de souveraineté, de sécurité des données et de respect de l'environnement.

Pour cela, GAIA-X vise, d'une part, à définir des principes (d'architecture, d'interopérabilité, de réversibilité, de sécurité) de manière à établir une labellisation d'offres compatibles et, d'autre part, à constituer des bassins de données sectoriels pour accélérer la création et la diffusion de cas d'usage prédéfinis. Grande originalité de GAIA-X, ces « data spaces » ont vocation à faciliter le partage des données au sein d'un même secteur (énergie, santé, agriculture...) de manière à favoriser l'émergence de solutions nécessitant de très gros volumes de données, particulièrement dans le domaine de l'intelligence artificielle.

Réaligner le cloud sur les grands enjeux de demain

Repartant d'une feuille blanche, GAIA-X constitue aussi l'opportunité rare de réaligner le cloud sur les grands enjeux de demain. Bien que le cloud soit indispensable à la transformation et à la compétitivité des entreprises, il reste souvent beaucoup de travail pour passer des ressources brutes aux applications qui vont véritablement créer de la valeur. Les entreprises doivent pour cela investir dans des compétences, des méthodes et des développements spécifiques, si bien qu'elles hésitent ensuite logiquement à changer de fournisseur, quand bien même ce serait possible. GAIA-X entend renouer avec la promesse originelle de simplicité et d'agilité du cloud pour permettre à toutes les entreprises d'accéder à des solutions clés en main, simples et réversibles.

Par ailleurs, le modèle monolithique imposé par les grands opérateurs est de plus en plus en décalage avec les architectures très décentralisées de l'Internet des objets. Une fédération d'acteurs telle que le propose GAIA-X permettra au contraire des configurations associant des ressources plus réparties et plus spécialisées, de manière à minimiser la latence, les échanges de données et la consommation d'énergie (ce que l'on appelle le continuum Edge-Cloud).

550.000 emplois direct d'ici à 2027

Selon KPMG, l'économie européenne du cloud, qui représente déjà 53 milliards d'euros, décuplera d'ici 2030, avec la création potentielle de 550 000 emplois directs d'ici à 2027. Et cela, sans compter son effet de levier sur la relance, la compétitivité et la transformation de pans entiers de l'économie avec toutes les retombées que cela suppose. C'est un virage décisif, que nous ne pouvons nous permettre de manquer.

Avec GAIA-X, l'Europe imagine une vision du cloud conforme à ses valeurs, souveraine et flexible, pertinente au regard des besoins de son économie, et qui valorise toute la richesse et la diversité de ses entreprises innovantes. Compétences, financements, appuis institutionnels : tous les ingrédients sont réunis. Ne manque plus désormais que la confiance des clients pour monter en puissance, atteindre la taille critique et bâtir, ensemble, notre indépendance technologique.

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