
La grogne n'en finit pas de monter contre la nouvelle doctrine cloud du gouvernement...au point de devenir un enjeu de mobilisation de la jeunesse. Après avoir déclenché l'ire de la plupart des entreprises françaises du secteur et de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, la prochaine génération d'ingénieurs et d'entrepreneurs s'y met aussi. Dans une tribune publiée le 28 juin sur le site du Monde, une dizaine de jeunes ingénieurs, issus de la plupart des grandes écoles hexagonales (INSA, Telecom Paris, Centrale...) et tous de moins de 35 ans, déplorent "l'incapacité des pouvoirs publics à faire confiance aux jeunes entreprises de la tech française" et la tendance du gouvernement à "préférer les Gafam", c'est-à-dire les géants du Net américains notamment Google, Amazon et Microsoft.
Le gouvernement interpellé par sa jeunesse
Dans le texte, les signataires demandent carrément au gouvernement de revoir fissa sa copie en repensant sa stratégie nationale sur le cloud de fond en comble. Leur principale revendication : développer la filière française du cloud plutôt que de recourir à des technologies américaines sous licence.
"Nous demandons un plan de développement et de déploiement du cloud à base de technologies libres, préférentiellement européennes, accompagné d'objectifs et de points d'étape clairs. Les compétences, les technologies et les offres commerciales sont là, éveillées, prêtes à être mobilisées pour servir l'ambition française. Au gouvernement de la replacer au bon niveau. Ce projet de cloud souverain est une opportunité unique de le démontrer."
Effectivement, le gouvernement a présenté le 17 mai dernier une nouvelle doctrine cloud quelque peu paradoxale. Au nom de la "souveraineté numérique", l'Etat créé un label "Cloud de confiance", accordé à des entreprises françaises et hébergées en France, ce qui constituerait une protection contre le droit extra-territorial américain (le Cloud Act et la loi Fisa), tout en autorisant l'emploi de "technologies étrangères sous licences", c'est-à-dire celles des leaders du marché et notamment de Microsoft et de Google.
Ce faisant, le gouvernement fait preuve, selon lui, de réalisme économique sans sacrifier la souveraineté nationale : il acte la domination américaine sur le marché du cloud et la supériorité de leurs technologies, tout en trouvant un moyen, d'après lui, de protéger les organisations et entreprises françaises des risques liés à l'utilisation de technologies étrangères, notamment l'espionnage.
Et c'est par ce tour de passe-passe que les technologies de Microsoft ont été choisies par Orange et Capgemini comme base technique pour leur coentreprise baptisée Bleu, qui répond à ces critères. Annoncée 10 jours après la stratégie de l'Etat, Bleu a obtenu le soutien du gouvernement. Le secrétaire d'Etat à la Transition numérique, Cédric O, a même incité les organisations françaises -publiques et privées-, ainsi que les entreprises et y compris les startups, à recourir à ce genre de solutions.
Le réalisme économique de l'Etat contesté par les acteurs français du cloud
Dans la tribune, les signataires contestent l'argument selon lequel la France aurait déjà perdu la bataille du cloud, et que son retard serait irrattrapable si on veut que les entreprises et organisations françaises accélèrent leur transformation numérique et gagnent en agilité et en compétitivité dans la course mondiale.
A en croire le ministre, la France et l'Europe seraient démunies de moyens humains et technologiques en matière de cloud. Ce serait ignorer les acteurs du cloud français tels OVHcloud, Clever Cloud, 3DS Outscale, Scaleway, Oodrive, Rapid.Space ou Ikoula. Ces entreprises d'excellence emploient aujourd'hui plusieurs milliers de personnes, ont trouvé clientèle chez près de la moitié du CAC 40, et gagnent la confiance d'un nombre croissant d'acteurs en France et en Europe", rappellent les signataires.
Mais l'argument principal des signataires, qui constitue un angle d'attaque original, est celui de la mobilisation de la jeunesse française face aux défis technologiques du XXIè siècle. Les signataires ne veulent pas que les entreprises françaises du cloud deviennent "simples revendeurs de solutions étrangères" :
Disons-le tout net : nous, jeunes développeurs et développeuses travaillant dans le numérique, ne nous résoudrons pas à servir d'agents du service après-vente d'entreprises étrangères : #DontKillFrenchTech. Et après quoi : réduire à peau de chagrin la R&D numérique européenne au profit de systèmes et logiciels propriétaires vendus par des puissances étrangères ? Abandonner Ariane, pour l'américain SpaceX ? Est-ce là la vision de la « souveraineté technologique » française et européenne ?
Galvaniser la jeunesse grâce à l'ambition technologique
Dénonçant une "position schizophrène" de l'Etat, les signataires déplorent à demi-mots que cette initiative qui s'apparente, selon eux, à un renoncement, revienne à faire fuir les talents français. Ils appellent ainsi le gouvernement à "galvaniser la jeunesse technique française, et avec elle l'ensemble des acteurs du numérique en France qui ont fait le choix d'y rester par amour de leur profession et de leur pays".
Quelle sera la réponse de l'Etat à ce cri de la jeunesse technique ? Droit dans ses bottes, le gouvernement assume sa nouvelle doctrine cloud ainsi que le paradoxe d'une souveraineté française largement fondée sur des technologies américaines. L'argument du réalisme économique a la dent dure. "Les solutions françaises ont beaucoup de qualités mais ne sont pas au même niveau : c'est parce que le cloud américain Azure de Microsoft permet d'activer des algorithmes d'IA que ne permettaient pas les entreprises françaises qu'il a été choisi pour le Health Data Hub", rappelle Godefroy de Bentzmann, le président du syndicat Syntec Numérique.
Quoi qu'il en soit, nul doute que la stratégie "cloud de confiance", qui divise fortement le milieu du numérique français, sera un coup de canif dans la relation jusqu'alors idyllique d'Emmanuel Macron avec le monde de la tech. Et, peut-être, un enjeu pour l'élection présidentielle de 2022 pour le secteur.
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