Les taux peuvent-ils "monter plus bas"  ?

CHRONIQUE. Le mur de l'inflation est trop-haut. A peine l'escalade commencée, que les taux capitulent déjà. Cet article propose trois explications possibles à l'acte manqué. Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste.
(Crédits : POOL)

Ils ont bien essayé. Mais non. Les taux d'intérêt se sont ravisés, après avoir tenté de s'élever un peu. Le pompon de l'inflation sembla inaccessible. Trop haut, trop tard. Et après tout, pourquoi faire ? L'inflation est tellement loin maintenant : « il ne sert à rien de semer dans le sable », ont pu se dire les investisseurs, comme Alain le philosophe lucide. Aux États-Unis, en Europe, en France en particulier : l'OAT 10 ans a d'abord monté de 0 % à près de 2,5 % de janvier à mi-juin, avant de reculer à 1,7 % aujourd'hui. Grotesque ou exubérant, au choix.

En langage de marché, cela donne des investisseurs ayant d'abord anticipé des remontées de taux d'intérêt directeurs agressives des Banques Centrales. Puis pschitt. Aujourd'hui, les marchés anticipent toujours des hausses de taux pour 2022, mais presque 0,5 % de moins que ce qui était prévu il y a quelques semaines encore. D'après la finance qui voit loin, les taux directeurs américains devraient finalement remonter de 1,75 à 3%, contre 3,5% anticipé il y a peu. Les taux de dépôt de la Banque Centrale européenne devraient monter de - 0,5 à 0,5 %, contre 1% anticipé il y a quelques jours à peine.

La rechute a 3 causes possibles, de la plus tordue à la plus recevable.

Le mur de l'inflation était trop haut

« C'est au pied du mur que nécessité fait vertu », c'est beau, mais c'est faux. Les taux aussi étaient au pied du mur de l'inflation, mais le mur était trop haut. Après quelques tentatives, les taux ont capitulé. Ils se sont finalement rangés sur le côté, comme un sportif à cours de compétition, s'essoufflant au bout de quelques accélérations. Il est tout à fait envisageable que cette défaite des taux s'explique par l'abus de produits dopants des années durant. Il s'agit des politiques monétaires dites non - conventionnelles, un genre d'EPO qui fut administré à l'investisseur en manque d'inspiration.

Condamné à l'ivresse des taux bas, l'investisseur serait désormais inapte au krach obligataire. Pire qu'un lâcher prise, l'investisseur « laisse tomber » la lutte contre l'inflation. Il fait comme s'il ne savait pas :  « ce que tu ne sais pas ne peut pas t'angoisser » se dit l'investisseur ayant lu Epicure.

Logique foireuse

L'investisseur raffole des raisonnements, il en trouve toujours un pour donner un sens à ses choix, et un autre pour justifier ses choix de la vieille. Mais il y a un souci quand même, l'investisseur ne fait pas trop la différence entre le raisonnement rigoureux et le foireux. Or, il semblerait bien que l'on soit du côté foireux depuis le début de l'année. Comment justifier des taux qui s'envolent puis s'écrasent ? Rien de tel qu'une foireuse utilisation de la transitivité de l'implication pour vous faire gober n'importe quelle ânerie :

  • Toute hausse des taux provoque une récession
  • Or toute récession provoque une baisse des taux
  • Donc toute hausse des taux provoque une baisse des taux

La baisse des taux d'hier est donc la conséquence de la hausse des taux d'avant-hier. Nous voilà éclairés.

L'explication de l'économiste de marché bien élevé

Dans le désordre, il est relevé les fulgurances suivantes :

  • « L'inflation têtue obligera finalement les Banques Centrales à jeter le bébé avec l'eau du bain... je veux dire casser la croissance si c'est le prix à payer pour briser l'inflation.
  • De toute façon, le mal est fait. Le pouvoir d'achat a déjà mu en pouvoir déchu... regardez la confiance des consommateurs s'effondrer, celle des entreprises trembler.
  • Avec ou sans le durcissement des politiques monétaires, la croissance économique devrait sérieusement ralentir dans le meilleur des cas, passer en territoire négatif probablement. »

Cette lecture pas très jouasse de l'actualité économique peut aider à comprendre les exubérances des taux. D'abord ce furent les craintes de course à l'échalote des Banques Centrales derrière l'inflation hystérique qui provoquèrent les tensions sur les taux. Puis vint le temps des cerises gâtées, celles annonçant que le remède des politiques monétaires restrictives serait pire que le mal. Et les taux se remirent donc à baisser.

Cette 3e explication est probablement la plus élégante pour justifier la spectaculaire trajectoire des taux. Les termes du langage employé sont bien compris par ceux qu'on appelle les initiés. Une explication probablement plus élégante donc, mais certainement aussi douteuse que les deux autres explications. Finalement, le profane sera autorisé de tiquer un peu. Il pourra même se permettre de penser que de tels mouvements de taux sont quand même un peu troublants, un terme poli pour signifier autre chose.

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Commentaires 7
à écrit le 14/07/2022 à 20:02
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Bonjour article bien pertinent merci

à écrit le 12/07/2022 à 16:46
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La enième démonstration que l'économie n'est pas une science mais plutôt un panier de crabes.

à écrit le 10/07/2022 à 18:11
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bref on sait qu'on sait rien. Au moins si ça nous aide a tenir le temps que le russe se fasse démonter.

le 14/07/2022 à 20:05
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je ne vois vraiment pas le rapport avec le " russe" dans cet article puisque cette histoire des tx débute avant "l événement "

à écrit le 08/07/2022 à 11:48
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Le fait que la BCE n'augmente pas ses taux d'intérêt alors que l'inflation est élevée est une grave erreur, qui va se payer dans pas longtemps. La BCE aurait dû augmenter ses taux dès mi-2021, c'est dire si elle a fait n'importe quoi ces derniers tem...

le 14/07/2022 à 20:11
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l augmentation ou la baisse d un taux ne se décide pas pour un unique événement ... plusieurs critères doivent être étudiés.... les conséquences

à écrit le 08/07/2022 à 8:55
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Les taux peuvent-ils "monter plus bas" ? A moins qu'ils ne descendent plus haut

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