Banquier central : « Ce n'est pas moi qui ai commencé... »

CHRONIQUE. Il y a deux types de politiques monétaires. La préventive et la punitive. Aujourd'hui, l'inflation galopante ne laisse plus d'autres choix qu'une politique punitive. Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste.
La Fed va continuer à durcir sa politique jusqu'à une baisse de l'inflation Jerome Powell (Fed).
"La Fed va continuer à durcir sa politique jusqu'à une baisse de l'inflation" Jerome Powell (Fed). (Crédits : POOL)

Jadis, la politique monétaire n'hésitait pas à agir de manière préventive. Pour lutter contre l'inflation menaçante par exemple, la Banque centrale remontait les taux d'intérêt afin de tuer dans l'œuf tout risque inflationniste. La gorgone monétaire était capable d'effrayer l'inflation juste en fronçant les sourcils.

Mais aujourd'hui, la politique monétaire contemporaine est contemplative. Elle préfère voir plutôt que prévoir. Certains prétendent même que la Banque centrale 2.0 n'agit jamais contre l'intérêt de son client. et son client c'est nous. Sauf si la Banque centrale estime que son client est menacé. Elle peut alors être amenée à prendre des décisions qui fâchent. Nous y voilà.

La Banque centrale, européenne ou américaine, ne peut plus détourner le regard. L'inflation est trop forte, depuis trop longtemps. Et les événements géopolitiques en cours ne sont pas de nature à calmer les prix. La Banque centrale doit donc se retrousser les manches, et mettre les mains dans le cambouis. C'est là qu'elle grimace, comme si elle mettait le doigt sur 3 problèmes majeurs :

Problème 1 : il est interdit d'interdire aux prix de monter

On ne peut pas freiner l'inflation juste en appuyant sur les prix pour les empêcher de monter. En tout cas, la Banque centrale ne sait pas faire. Elle ne peut pas interdire aux prix de monter, juste parce qu'elle a envie qu'ils ne montent pas. Par contre, elle peut inciter les prix à ne pas monter...

Par exemple : elle ne dit pas « les prix arrêtez de monter ! ». Elle dit « j'ai mis des taux directeurs très hauts ». Si vous pratiquez un peu, vous comprenez alors l'allusion. Des taux élevés ne donnent pas envie d'utiliser son argent pour consommer, mais pour épargner. Des taux élevés ne donnent pas non plus envie d'emprunter, car il faudra rembourser davantage d'intérêts. Et donc tout cela crée des conditions favorables à une inflation plus sage. Voilà pour la théorie.

La Banque centrale n'interdit donc pas formellement aux prix de monter, mais lorsqu'elle remonte les taux d'intérêt, tout le monde comprend le message. De la même manière, lorsque Paul demande « Pierre est-il toujours célibataire ? », Jacques lui répond « je sais seulement qu'il a réservé un voyage pour deux aux Maldives... ». L'art de dire les choses sans les dire. Ça peut marcher, ou pas.

Problème 2 : on ne peut pas fouetter la toupie

La Banque centrale aimerait bien freiner l'inflation sans freiner le reste. Mais c'est impossible, elle sait bien que pour calmer l'inflation, elle devra étourdir l'Homo économicus à coup de hausses des taux d'intérêt, de réduction de la taille de son bilan, et globalement de politique monétaire moins accommodante.

La Banque centrale aimerait bien secouer l'inflation sans que cela empêche la planète économique de tourner. Mais rien à faire, la Banque centrale ne sait pas faire fouetter la toupie, cet art de donner de grands coups de fouets sur la toupie afin de la garder en mouvement.

La Banque centrale ne peut pas punir simplement l'inflation. Elle doit punir tout le monde. Il n'y a pas de justice rétributive possible. Tout le monde doit être sanctionné pour la faute d'un seul : l'inflation.  Consommateurs, entreprises, marchés financiers, et même les gouvernements, vont devoir participer à la peine.

Problème 3 :  le choc d'offre

Contre les prix qui montent trop, il y a une solution qui fonctionne à tous les coups. Vous privez le consommateur de pouvoir d'achat. Vous êtes certain qu'en cessant d'aller consommer, il ne fera plus monter les prix. Par contre, ce n'est pas parce qu'il n'ira plus consommer qu'il n'aura plus faim. Une politique monétaire de lutte contre un choc inflationniste est donc un peu perverse.

Cette politique devient même sadique si l'on adhère à la thèse du choc d'offre inflationniste plutôt qu'au choc de demande.

Le choc d'offre c'est lorsqu'il y a pénurie parce qu'il y a moins de biens dans les magasins, mais qu'il y a toujours autant de gens pour les consommer : les prix montent alors que les gens ne sont pas plus riches. Si vous montez alors les taux, c'est la double peine pour le consommateur. Il y a alors un risque majeur de pratiquer une politique monétaire restrictive. Le Banquier central guérisseur peut alors muer en morticole, puis s'entêter : cacothanasie.

Un choc de demande c'est différent, car alors le consommateur consomme trop. C'est sa faute si les prix sont trop élevés. Dans ce cas, si la Banque centrale monte ses taux on dira qu'elle pratique une politique de santé publique en raisonnant le consommateur exubérant. Certains grands penseurs ont beaucoup pensé, et pensent que l'inflation américaine est surtout une histoire de choc de demande (les chèques Biden). Pourtant, j'ai beau me frotter les yeux, je ne vois toujours pas de PIB exubérant, ni d'économie en surchauffe. Je vais frotter encore.

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