Marchés  : la Fed effraie

CHRONIQUE. Pas un jour sans qu'un membre de la Banque centrale américaine ne nous mette en garde : « les taux d'intérêt directeurs sont partis pour remonter très vite et très fort ». Rien de mieux pour effrayer les marchés financiers. Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste.
(Crédits : JOSHUA ROBERTS)

L'Ukraine n'est pas encore une histoire ancienne pour les marchés financiers. Mais elle n'est clairement plus le sujet qui les préoccupe. On peut trouver cela abject, mais on ne peut pas le nier. Il n'y a pas assez de place dans les prix des actifs financiers pour y loger toutes les peurs. Seules celles du moment font le prix du jour. Et aujourd'hui, la peur des marchés financiers semble plutôt nourrie par la politique monétaire de la Banque Centrale américaine (Fed). Les taux d'intérêt remontent : de 1,8 à 2,6%, et les marchés d'actions baissent de près de 7% depuis le début de l'année.

Déjà, la première hausse des taux directeurs survenue début mars avait été accompagnée d'un discours plus agressif qu'attendu de la part du Banquier central Jerome Powell. Mais le pire allait suivre. Depuis, il semble que tous les membres de la Fed se soient donné le mot pour préparer les marchés à un durcissement spectaculaire de la politique monétaire. On s'attend désormais à au moins 8 remontées de taux d'intérêt directeurs en 2022, de 0,5 à 2,5%. Sans parler de la cure d'amaigrissement que devrait s'imposer la Banque Centrale en termes de titres d'État détenus : le fameux tapering.

On ne s'attardera pas sur les causes d'une telle agressivité de la part de l'autorité monétaire, tout le monde sait de quoi il s'agit : l'inflation, l'inflation, et l'inflation... On peut trouver l'inflation exubérante, surréaliste, dopée par une demande de biens excessive ou une offre trop rare, ou encore par Poutine. Qu'importe, l'inflation est simplement devenue insupportable aux yeux de l'autorité monétaire, ainsi que du chef suprême : le président Biden.

L'économiste de type académique relativisera la chose

Après tout, même si les taux d'intérêt directeurs remontent à 2,5% en fin d'année, et si parallèlement l'inflation décélère de 7,5 à près de 3% (prévisions des gens qui pensent), alors le coût réel de l'argent (taux - inflation) sera encore négatif et proche de -0,5%. On a vu pire comme politique monétaire restrictive. Surtout si à côté la croissance économique évolue autour de 3%, toujours d'après les experts.

Mais l'investisseur est myope, il ne voit pas si loin. Alors que l'économiste lui est plutôt presbyte, c'est le court terme où il n'y voit rien. Forcément, l'investisseur sera donc bien davantage impressionné par le geste en cours du Banquier central que par le résultat final. Lorsque la Fed dit qu'elle va remonter les taux vigoureusement, elle ne dit pas qu'elle va rendre la politique monétaire restrictive, mais c'est ce que l'investisseur entend. Il faut dire qu'on avait perdu l'habitude de voir le pachyderme monétaire s'agiter autant. Alors forcément, le voir bouger une patte peut faire trembler.

Tout a déjà été dit sur le tempérament de l'investisseur, ses excès, sa rationalité limitée (ce qui suppose qu'il en a un peu quand même). Mais rajoutons - en une couche. Il nous faut toujours rappeler que l'investisseur ne vit pas dans le monde réel, mais qu'il l'interprète, ce qui peut alors avoir des conséquences sur ce même monde.  C'est tout l'enseignement du théorème de Thomas :

« Si les hommes définissent des situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs conséquences ».

Cela ressemble à de la prophétie auto - réalisatrice, mais ça n'est pas tout à fait ça. En effet, l'investisseur ne se trompe pas dans le cas ici présent. L'investisseur comprend bien que la Banque Centrale va remonter les taux, et il a raison de le comprendre puisque c'est ce que la Banque Centrale a annoncé. Mais l'investisseur oublie peut être, ou fait semblant de ne pas voir, que des taux d'intérêt directeurs à 2,5% n'auraient (peut-être) pas de raison fondamentale de provoquer un séisme économique, ou de secouer les marchés.

La thèse de l'investisseur zen

Mais pour être honnête, y croit-on vraiment ? L'investisseur est-il vraiment effrayé par le durcissement de la politique monétaire à venir ?

En vérité, un investisseur effrayé aurait laissé les taux d'intérêt à 10 ans remonter bien plus significativement, il n'aurait pas permis que le taux d'intérêt à 2 ans s'en rapproche autant comme aujourd'hui : 2,45% pour le taux 2 ans contre 2,6% pour le taux 10 ans. On dit alors que la courbe de taux est plate, signe que l'investisseur se montre en réalité assez confiant dans la capacité de la Fed à calmer l'inflation, il ne voit pas la Fed courir après en remontant à l'envi les taux.

Cette lecture plus apaisée de l'investisseur peut aussi être faite côté actions. En effet, le marché a baissé de près de 7% depuis le début de l'année, mais il aurait dû baisser de près de 30% compte tenu de la remontée des taux d'intérêt à 10 ans observée sur la même période ! Si le marché d'actions a ainsi résisté, on le doit certes un peu à la croissance des bénéfices anticipée sur la période, mais surtout à une baisse de la prime de risque exigée par l'investisseur ! Ce qui semble assez paradoxal compte tenu du contexte. À moins que l'investisseur ne soit effectivement pas tant effrayé que cela.

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Commentaire 1
à écrit le 08/04/2022 à 9:03
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Tant que l'immobilier ne baisse pas on ne peut que difficilement croire tout ça plus aucun témoin ne répond comme avant comme si la finance avait éliminé tout ce qui la gênait.

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