Chronique de François Clemenceau : le courage d’être européen

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT - Jeudi et vendredi se tient le dernier conseil européen de l'année, crucial pour la poursuite du soutien à l'Ukraine.
François Clemenceau
François Clemenceau
François Clemenceau (Crédits : © DR)

C'est peu dire que le dernier Conseil européen de l'année, jeudi et vendredi, sera une épreuve de vérité pour l'Union face à Vladimir Poutine. Doit-on et peut-on continuer à soutenir le plus possible l'Ukraine, avec notamment 50 milliards d'euros supplémentaires, alors que son peuple entame son troisième hiver de guerre ? Doit-on et peut-on démarrer les négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'UE après lui avoir promis un avenir européen ? Le Kremlin sera tout ouïe pour vérifi er si les Vingt-Sept ont suffisamment de courage politique pour répondre d'un oui ferme à ce questionnaire existentiel. Tergiverser, procrastiner serait offrir au maître russe ce qu'il attend depuis le jour où ses chars ont roulé vers Kiev : la preuve de notre mollesse, l'inefficacité des démocraties à se défendre dès lors que chacune se recroqueville dans la protection de ses seuls intérêts de court terme.

Comme on a pu le mesurer sous tous les angles depuis le début  de la guerre d'agression russe, les Ukrainiens, eux, font preuve d'un courage qui force le respect. Une enquête récente et approfondie menée par l'International Republican Institute (IRI) indique que 85 % de ceux vivant toujours sur place croient en un avenir prometteur. 94% pensent que leur patrie sera victorieuse, un score quasi identique à celui du même sondage mené trois mois après le début de la guerre. Non seulement les Ukrainiens sont toujours une majorité à vouloir rejoindre l'UE, mais près de huit sur dix voteraient également en ce sens pour intégrer l'Otan, 20 points de plus qu'au début de la guerre.

Le chantage de Viktor Orbán

Quand on demande à Michael Druckman, le directeur de l'IRI en Ukraine, s'il ne doit pas plutôt montrer ce sondage à ses camarades trumpistes au Congrès, qui marchandent depuis le mois de septembre leur soutien à Kiev en échange d'un renforcement de la frontière américaine avec le Mexique, son sourire trahit l'embarras, même s'il ne doute pas qu'un « deal » finira par débloquer cette aide vitale de 61 milliards de dollars et que le plus tôt sera le mieux.

Et nous ? Est-on prêt à céder au chantage du Premier ministre hongrois, Viktor Orbán ?
Jeudi soir à l'Élysée, Emmanuel Macron a tenté pendant trois heures de le convaincre que son attitude minait l'unité européenne à un moment crucial de la guerre. Le populiste, qui fréquente encore volontiers Poutine, serait prêt à voter la
poursuite du soutien à l'Ukraine à condition que l'UE débloque plus rapidement les fonds destinés à la Hongrie mais qui restent en partie gelés tant que Budapest ne se réconcilie pas totalement avec l'État de droit. « À chacun maintenant de prendre ses responsabilités », indique-t-on à l'Élysée. « On sait que la capacité des Européens à montrer qu'ils sont déterminés à prendre leur part de l'aide à l'Ukraine sera importante pour convaincre les républicains au Congrès », signale une source diplomatique française.

Selon elle, le secrétaire d'État, Antony Blinken, croit dans le pouvoir d'entraînement des Européens. Pour Marie Dumoulin, directrice du programme Europe élargie du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), ne pas parvenir à envoyer ce signal univoque à Moscou, Kiev et Washington serait « catastrophique ». Surtout si les Vingt- Sept retardent également le début des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'UE. « Cela prouverait que nous ne sommes pas sérieux dans nos ambitions, ce serait une perte considérable de crédibilité », selon elle. Et si en plus les Européens ne parvenaient pas à s'entendre sur une prolongation du soutien militaire à l'Ukraine, comment imaginer dès lors que l'UE serait « capable de prendre le relais des États-Unis l'an prochain », sous-entendu en cas de victoire de Donald Trump à la présidentielle de 2024 ?

Ironie sinistre, nous serons alors en fin de parcours de la présidence semestrielle tournante de l'UE... aux mains de la Hongrie.

Une pédagogie du sacrifice

Les citoyens européens sont-ils plus courageux que leurs dirigeants ? Lors de la dernière vague automnale de l'Eurobaromètre, leur solidarité restait remarquable après dix-huit mois de guerre qui ont vu leur quotidien frappé par la montée des prix de l'énergie en raison des sanctions infligées à Moscou. 86 % veulent maintenir l'aide humanitaire à l'Ukraine, 64 % le soutien à l'économie ukrainienne mais 57 % seulement la poursuite des livraisons d'armes. Dans chacun de ces secteurs, la baisse est de 10 points en moyenne par rapport au printemps 2022. Leur lassitude est compréhensible. Mais il appartient aux dirigeants d'une Europe démocratique de mobiliser les opinions publiques par une pédagogie du sacrifice en faveur d'un peuple voisin menacé dans son existence identitaire et démocratique. Sinon, à quoi bon l'Europe et ses valeurs ? Après ce Conseil décisif de Bruxelles jeudi, ce sera précisément aux citoyens de l'Union de se prononcer. Dans les urnes en juin. Là encore, Poutine sera aux premières loges.

François Clemenceau

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Commentaires 4
à écrit le 11/12/2023 à 16:58
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Les Européens doivent choisir: soit la souveraineté nationale ou l'intégration européenne. Les deux ne sont pas possibles. L'euro en fournit une preuve. La politique financière est la politique monétaire nationale. Le programme de stabilité convenu q...

à écrit le 11/12/2023 à 13:55
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Cher François, on peut être européen convaincu mais pas par cette EUROPE LA: germanique avec une Ven Der LEYEN qui avale toutes les couleuvres de son chancelier SCHOLZ qui se moque éperdument des contraintes européennes en allant chercher hors UE tou...

à écrit le 10/12/2023 à 9:58
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Nous avons toujours constaté que les coalitions amenaient à la guerre car le plus petit élément faisait céder tout le reste ! L'UE, l'OTAN ni échappent pas et on s'en sert d'excuse !

à écrit le 10/12/2023 à 9:41
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Fierté d'être français oui on a la chance d'être au sein du seul pays qui peut se targuer du terme de civilisation comme le disait Nietzsche, mais courage d'être européen dans les conditions actuelles, surtout que par mon vote refusé par nos dirigean...

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