
Elle se rêvait en Dame de fer du XXIème siècle mais Liz Truss n'aura tenu que 44 jours au pouvoir, quand Margaret Thatcher a dirigé le Royaume-Uni plus de 4.000 jours. Alors que Thatcher avait tenu avec fermeté - rigidité diront certains - son programme ultra-libéral, Liz a multiplié les revirements sur les dossiers économiques. Ne faisant souvent qu'aggraver la crise qu'elle prétendait résoudre. Retour sur un mois (et demi) de Liz Truss à Downing Street, dont l'économie britannique n'est pas sortie indemne.
5 septembre : désignée sans grande légitimité
Lorsqu'elle franchit le porche du 10 Downing Street, Liz Truss ne jouit pas d'une légitimité incontestée. L'ancienne ministre des Affaires étrangères a simplement remporté un scrutin interne des conservateurs, auquel 140.000 militants du parti majoritaire au Parlement ont participé. Liz Truss a devancé Rishi Sunak, pourtant plus populaire qu'elle dans l'opinion publique.
Les deux candidats se sont distingués sur le terrain économique dans une campagne où chacun se revendique de Margaret Thatcher. L'ancien ministre des Finances Sunak a proposé de s'attaquer en priorité à l'inflation, avant éventuellement de baisser certains impôts pour relancer la croissance. De son côté, Truss a promis un choc fiscal immédiat et massif pour doper la croissance et éloigner le spectre d'une récession. Sans même évoquer des aides anti-inflation qualifiées de « pansement ».
8 septembre : premier revirement sur les aides contre l'inflation
La réalité de la crise énergétique rattrape la Première ministre. Les manifestations contre la flambée du coût de la vie ont rythmé tout l'été. Les appels à la grève menacent de paralyser les trains et la poste dans un pays où l'inflation caracole à près de 10%. Liz Truss décide de plafonner les factures d'énergie à 2.500 livres par an pour les ménages, dont les deux tiers sont menacés de précarité énergétique sans intervention de l'Etat. Les entreprises et les institutions publiques se voient accorder des aides équivalentes pendant six mois pour régler leurs dépenses énergétiques. Cette première annonce sociale va à l'encontre du programme de Liz Truss, mais la mort d'Elizabeth II éclipse ce premier virage.
23 septembre : la bombe budgétaire
Après le deuil royal, la vie parlementaire reprend ses droits. Le ministre des Finances Kwasi Kwarteng revient à Westminster le 23 septembre dévoiler un plan économique d'urgence du gouvernement, si important qu'on le qualifie de « mini budget ». Le plafonnement des prix de l'énergie pour les entreprises et les particuliers est confirmé pour une ardoise de 60 milliards de livres. En parallèle, le gouvernement acte une baisse colossale d'impôts sur les sociétés mais aussi sur le revenu en faveur des plus aisés. Les salariés les mieux rémunérés connaissent ainsi l'exonération d'impôts la plus importante. Le symbole est désastreux pour l'image de Truss.
Mais le pire n'est pas là. Les dizaines de milliards d'aides débloqués s'ajoutent à la perte d'importantes recettes fiscales. Cela creuse soudainement un trou de 150 milliards de livres dans les comptes publics. Le gouvernement fait manifestement le choix de recourir au déficit, mais omet de publier ses prévisions budgétaires. L'absence d'un plan précis de financement témoigne d'une légèreté que les marchés ne pardonnent pas.
28 septembre : la Banque d'Angleterre joue les pompiers
Dans les jours qui suivent l'annonce du « mini budget », la livre s'effondre à son plus bas niveau face au dollar et les taux de la dette britannique à 10 ans flambent au plus haut depuis 2008, signe d'inquiétudes sur la solvabilité du Royaume. Par ricochet, les attaques sur la dette menacent de nombreux fonds de pension de la City dont le portefeuille est rempli d'obligations britanniques. Cela alourdit surtout les taux d'intérêt des ménages sur leur crédit. Pire, la chute de la livre alourdit le coût des importations, notamment celles de gaz et de pétrole libellées en dollar.
La Banque d'Angleterre (BoE) doit lancer un programme de rachat d'obligations « limité dans le temps » jusqu'au 14 octobre pour faire redescendre les taux. Liz Truss et Kwasi Kwarteng essuient de violentes critiques, y compris de leur propre camp. Les parlementaires de la majorité et de l'opposition fustigent le cadeau fiscal fait aux plus aisés et un plan économique incohérent qui cherche à lutter contre l'inflation... tout en déclenchant un choc fiscal potentiellement inflationniste.
14 octobre : le ministre des Finances débranché comme un fusible
Immensément impopulaire, plus que Boris Johnson au pire de son mandat, Liz Truss subit une fronde interne dans son parti qui bruissent de rumeurs de démission. Downing Street prétend vouloir garder son cap économique mais comprend la nécessité de changer quelque chose pour relancer un mandat qui tourne au chemin de croix. Le ministre des Finances, et architecte du « mini budget », Kwasi Kwarteng est remercié le 14 octobre. Liz Truss défend une décision prise « pour rassurer les marchés » et « ramener de la stabilité ». Kwarteng est remplacé par un baron du parti conservateur : Jeremy Hunt. Son entrée au gouvernement ressemble à une mise sous tutelle de Liz Truss, dont les jours sont comptés.
17 octobre : l'abandon du mini-budget
Jeremy Hunt n'a pas de temps à perdre. Trois jours après sa nomination, le nouveau ministre des Finances annule toutes les baisses d'impôts de Kwasi Kwarteng, pierre angulaire du programme économique de Liz Truss. Plus affaiblie que jamais, la Première ministre n'est pas en position de contester. Le « mini budget » a ruiné la crédibilité financière de son gouvernement. Jeremy Hunt réduit massivement les aides aux ménages, dont le plafonnement des prix de l'énergie ramené à 6 mois, et précise qu'à l'avenir seuls les plus modestes seront accompagnés. S'il se défend d'un retour à l'austérité comme en 2010, la rigueur budgétaire semble de mise quand il avertit de « décisions difficiles » à venir. Hunt est le nouvel homme fort d'un gouvernement au bord du gouffre.
20 octobre : la chute
Le coup de grâce vient de la ministre de l'Intérieur. Suella Braverman démissionne pour avoir enfreint les règles de fonctionnement de son ministère. Dans un gouvernement qui tient à un fil, ce nouveau départ sonne le glas du mandat de Liz Truss. D'autant plus que la ministre démissionnaire critique ouvertement la direction que prend le gouvernement dans sa lettre de démission. Liz Truss ne peut plus fuir l'évidence. Elle quitte le pouvoir et appelle à de nouvelles élections internes au parti conservateur pour désigner son successeur.
En 44 jours, la quatrième Première ministre britannique aura fait perdre des milliards de livres au contribuable, mais surtout un temps précieux à son pays pour résoudre la pire crise économique depuis 2008.
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