Cinquante leçons pour un « réflexe souveraineté »

OPINION. L'économie mondiale est mise à rude épreuve par des déstabilisations en cascade, la succession de « cygnes noirs » et la forte dégradation du contexte géopolitique. Par Pascal Lorot, Président de l'Institut Choiseul.
(Crédits : DR)

La pandémie de Covid, la guerre en Ukraine, la contraction économique ou encore le très récent conflit au Proche-Orient témoignent d'une fragilisation inédite de l'ensemble du cadre d'action des États comme des entreprises.

Ce constat préoccupant laisse craindre pour leur viabilité à long terme, tandis que ruptures d'approvisionnement, pénuries et phénomènes d'inflation se multiplient sur toutes les géographies.

« Réflexe souveraineté »

Ce contexte de « polycrise » doit être l'occasion d'un sursaut vers le plein déploiement de la souveraineté française et européenne, notion qui se revitalise et s'impose désormais comme un prisme de réflexion et d'action essentiel pour les dirigeants. Il est temps de tirer les leçons des erreurs passées par une nécessaire prise de conscience des décideurs et l'adoption d'un « réflexe souveraineté ».

Après plusieurs décennies de sous-investissement dans les secteurs stratégiques et de réorganisation des chaînes de valeur privilégiant un court-termisme consumériste, les acteurs institutionnels et économiques remettent aujourd'hui en question la durabilité d'un modèle basé exclusivement sur le libre-échangisme et un « doux commerce ». Il n'est plus si confortable de se situer à l'aval des chaines de valeur et de production : il s'agit de se donner les moyens de son autonomie. En Europe comme en France, l'on s'interroge sur ses dépendances, ses failles, ses forces, et ses capacités à résister à des chocs exogènes. Et l'on en revient à la source de la puissance géoéconomique et de la résilience.

Dès janvier 2022, l'Institut Choiseul s'est saisi de ce sujet vital en créant l' « Initiative Souveraineté », une plateforme ad hoc dédiée aux enjeux de souveraineté et de résilience. S'y rencontrent et interviennent des personnalités issues de tous secteurs et d'organisations diverses - petites à grandes entreprises, haute administration, institutions, collectivités - aussi bien pourvoyeurs qu'utilisateurs de solutions souveraines. Ces dirigeants ont une vision et une pratique de la souveraineté : nous nous devions de les fédérer pour leur permettre de partager leurs bonnes pratiques et de faire front commun. En réunissant plusieurs centaines de décideurs privés et publics à l'occasion d'événements réguliers, l'Initiative a mis un « focus souveraineté », sorte de stress test conceptuel, sur plusieurs facettes de notre économie.

Enjeux connexes et stratégiques

Ces riches débats donnent aujourd'hui naissance à un document stratégique, compilation d'analyses et de propositions concrètes, feuille de route pour une souveraineté à reconquérir.

La souveraineté correspond avant tout à la capacité à produire sur son territoire, à nourrir sa population et à la défendre. Autour de ces trois piliers s'agrègent de très nombreux enjeux connexes et stratégiques : l'énergie, qui met le monde en mouvement ; la cybersécurité, pierre d'angle de sécurité dans un monde en croissante numérisation ; la réindustrialisation, fer de lance d'une revalorisation de notre économie et de notre balance commerciale par les territoires ; la finance, levier et accélérateur de transitions... Mais aussi la puissance spatiale, l'économie « bleue », les minerais et métaux dits stratégiques, les infrastructures numériques, autant d'actifs de souveraineté à promouvoir.

Chaque secteur, chaque filière gagnerait aujourd'hui à s'engager dans une introspection et identifier ses failles, ses capacités de rebonds et sa marge de résilience. La souveraineté économique n'a rien d'un concept autarcique : il s'agit plutôt d'un idéal capacitaire à recouvrer en France et en Europe.

Deux piliers sont indispensables pour la mettre en musique : les pouvoirs publics et les entreprises. Leur action doit être coordonnée, car leurs intérêts sont convergents : la sécurité économique, la protection et le niveau de vie des citoyens, mais aussi un cadre de développement et de croissance, des valeurs et des normes, font de la souveraineté un projet de société.

Les pouvoirs publics ont depuis toujours la prérogative de la souveraineté. Ils doivent désormais trouver dans les acteurs privés des alliés objectifs. Nos entreprises sont en effet des acteurs de souveraineté : par la création de valeur et de produits, certes, mais aussi par les liens économiques et sociaux qu'elles permettent de créer et de resserrer, par les territoires qu'elles font vivre, par les communautés qu'elles animent. Des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs ont déjà une vision, une culture et des méthodes qui en font des entreprises particulièrement souveraines. Elles cherchent à développer leur souveraineté par l'innovation, la relocalisation de leur production, la prise en compte de leurs « impacts », la formation des équipes, l'implication auprès de leurs parties prenantes, l'amélioration du cadre légal... L'entreprise souveraine est une entreprise qui parvient à se protéger des crises multiples et successives que nous traversons et, plus encore, à y parfaire sa culture, sa production et ses résultats, tout en irriguant son écosystème proche.

Alors, retroussons-nous les manches !

Portons ces leviers de transformation qui s'imposent comme des priorités pour les entreprises et pour les pouvoirs publics. En travaillant à l'attractivité de filières stratégiques et à la montée en gamme de la formation, en cybersécurité, dans l'industrie, dans les métiers manuels, sur des compétences en tension. En consolidant le leadership français et européen sur des secteurs clés : dans l'industrie de défense, dans le spatial, dans l'économie maritime, où nous avons tant à faire pour faire valoir notre expertise, dans le développement industriel aussi bien qu'au sein des instances normatives.

En anticipant et en accélérant les innovations de rupture, dans la deeptech, l'IA, le quantique, la climate tech. En faisant de l'innovation technologique un moteur de souveraineté, avec des investissements massifs dans la R&D afin de se placer en amont des chaînes de valeur, en soutenant nos jeunes fleurons, en transformant nos PME et nos ETI, en les acculturant aux disruptions technologiques.

En devenant leaders dans le développement durable : à travers des normes, des entreprises, des technologies, afin de porter une spécificité européenne qui est en elle-même un actif de souveraineté à faire valoir au reste du monde. Nous avons un leadership à maintenir et approfondir en matière de finance durable et innovante, par exemple en instituant un véritable label européen pour les fonds ESG et en mobilisant l'épargne des Français au service de l'économie réelle et des projets durables. Un leadership également sur les enjeux de décarbonation, en accélérant le développement des filières renouvelables et des technologies bas-carbone. En s'armant d'expertise face aux risques climatiques et naturels, nous devons mener au mieux et le plus rapidement possible les transitions et garantir un bien-être pour tous au sein des limites planétaires.

C'est à une mise à niveau stratégique que nous appelons par ce document et cette Initiative. Assumer une stratégie géoéconomique, en devenant pleinement ce que nous pouvons être, en Français et en Européens. Reprendre de la hauteur pour moins subir les chocs, articuler une vision économique avec un projet de société : acquérir le réflexe de la souveraineté.

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(*) Pascal Lorot*, Président de l'Institut Choiseul, auteur de « Le Choc des Souverainetés », éd. Débats Publics

>> Le livre blanc de l'Initiative Souveraineté est accessible ici.

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Commentaires 4
à écrit le 24/10/2023 à 12:54
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Bref ! A t'il pensé, un instant, que voter pour un "frexit" serait un réflexe souverain ? ;-)

à écrit le 24/10/2023 à 12:03
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Pour ma part je n'en aurais qu'une seule, primordiale, arrêter d'écouter les délires allemands.

à écrit le 24/10/2023 à 10:16
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beaucoup de bla bla, des mots a la mode ( IA, informatique quantique ...) mais aucune proposition concrete. Comme concilier le fait que les interets des entreprises ne soit pas celui du pays (par ex BASF investi en chine et ferme des usines en RFA, t...

à écrit le 24/10/2023 à 10:16
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beaucoup de bla bla, des mots a la mode ( IA, informatique quantique ...) mais aucune proposition concrete. Comme concilier le fait que les interets des entreprises ne soit pas celui du pays (par ex BASF investi en chine et ferme des usines en RFA, t...

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