Comment faire entrer l'esthétique dans la modernité pour protéger professionnels et consommateurs

OPINION. Le secteur de l'esthétique a besoin d'une évolution qui passe par une clarification réglementaire pour définir rigoureusement les compétences des professionnels, protéger les consommateurs et établir un cadre favorable à son développement économique, plaide Martine Berenguel, présidente de la Confédération nationale artisanale des instituts de beauté et SPA (CNAIB-SPA).
(Crédits : Reuters)

Le secteur de l'esthétique représente 90.000 entreprises, dont 77% n'ont aucun employé, et cela, sans compter l'industrie qui fournit nos professionnels en matériel. En effet, les professionnels de l'esthétique, dont 93% sont des femmes, sont majoritairement des artisans. Une profession artisanale longtemps oubliée des pouvoirs publics. Alors que le monde de l'entreprise se plaint régulièrement de l'inflation législative et de la charge administrative qui en découle, les professionnels de l'esthétique sont les grands oubliés du législateur, ce qui, paradoxalement, ne manque pas de rendre leur environnement d'autant plus complexe. Notre cadre d'exercice doit évoluer, car nous sommes paradoxalement les professionnels les plus formés d'Europe mais les plus empêchés dans la pratique de soins esthétiques.

Une absence de définition légale du métier

Alors que dans le passé le professionnel de l'esthétique était cantonné aux soins du corps et du visage et à l'épilation « à la pince et à la cire », prérogative dont dispose un arrêté de 1962, le secteur a depuis profondément changé : le recours à des nouvelles technologies y est maintenant quasi-systématique et de nouvelles techniques apparaissent chaque année sur ce marché extrêmement dynamique. Pour tenir compte des enjeux sanitaires et de la nécessaire protection du consommateur, la loi prévoit que les « soins esthétiques » ne peuvent être pratiqués sans qualification professionnelle, mais aucun texte ne donne de définition, qu'elle soit générale ou exhaustive de ce qu'est un soin esthétique.

La frontière entre soins esthétiques et médecine esthétique était hier claire : toute pratique entraînant une effraction cutanée ne pouvait être réalisée que par un médecin. Mais cette frontière tend à devenir plus floue. Elle est mise au défi par l'apparition de nouvelles technologies de peeling ou impliquant l'utilisation d'aiguilles de quelques micromètres seulement par exemple. Ces distinctions anciennes sont parfois appliquées en dépit du bon sens, comme lorsqu'on interdit à nos professionnels la pratique du microneedling (micro aiguilles stimulant la création de collagène) alors que le piercing et le tatouage, qui nécessitent d'aller à plusieurs millimètres sous la peau bénéficient d'une dérogation.

Des professionnels qui s'en trouvent fragilisés

Cette absence de vision claire de ce qu'est la profession au regard du droit entraîne une instabilité de la doctrine administrative, et ne permet pas aux professionnels d'investir sereinement dans de nouvelles technologies. Les pratiques autorisées et réservées à la profession entrent et sortent de leur champ de compétence sans crier gare au profit du monopole de la médecine esthétique ou au contraire d'acteurs non diplômés, ce qui ne manque pas de créer des risques sanitaires nouveaux. Le nombre d'accidents croissants dans la prothésie ongulaire en témoigne.

En outre, les nouvelles technologies font l'objet d'une forte demande de la part des clients, mais peuvent être un facteur de risque aujourd'hui quand elles demandent des investissements lourds pour des petits établissements et que l'administration est susceptible de changer d'avis sur leur conformité. Cela crée par ailleurs une forme de concurrence déloyale entre les grandes franchises, capables financièrement d'assumer ces risques financiers et judiciaires, et les petits établissements pour lesquels il en va de la survie de l'entreprise.

Saisir l'opportunité de moderniser la profession

Alors que s'ouvre le 13 avril le 53e Salon de l'esthétique, la CNAIB-SPA souhaite aujourd'hui qu'il soit porté une réforme ambitieuse de la réglementation qui pèse sur la profession, qui a besoin d'une définition précise de son champs de compétences pour ne plus être exposée à des changements arbitraires, et pour permettre à tous les professionnels d'envisager l'avenir sereinement. Le niveau d'exigence de notre secteur et la difficulté pour les pouvoirs publics de lutter contre la pénurie de personnel soignants doit également nous amener à réinterroger l'interdiction d'effraction cutanée, cette limite pourrait être assouplie.

La profession a démontré son attitude responsable et son exigence à l'égard des nouvelles techniques esthétiques, car c'est d'abord le consommateur qui a aujourd'hui besoin d'une vision claire de ce marché. Les débats autour de la proposition de loi de lutte contre les arnaques et dérives des influenceurs ont révélé qu'il existait un très grand flou pour ce dernier et que les différents acteurs du secteur étaient mal identifiés. Le flou juridique bénéficie aux acteurs non-qualifiés professionnellement et aux soins « grand public » ne respectant pas nos normes distribués sur internet. Les pouvoirs publics ne doivent pas sous-estimer l'enjeu sanitaire posé par l'explosion de la demande en soins esthétiques. Nous avons besoin d'un nouveau cadre alliant accessibilité et protection du consommateur. Beaucoup sont concernés puisque 63% des femmes et 28% des hommes ont déjà eu recours à des prestations en esthétique.

Le gouvernement a annoncé sa volonté de nouveaux textes visant à simplifier et à libérer l'activité économique. Les professionnels de l'esthétique ne doivent pas être oubliés.

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Commentaires 3
à écrit le 04/04/2024 à 9:52
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Une économie qui fait d'abord et avant tout pleurer, la chirurgie esthétique devrait se contenter d'être réparatrice là elle s'est vautrée par cupidité dans la déformation générale de l'être humain devenant une pratique chaque jour plus immonde.

à écrit le 04/04/2024 à 8:57
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Excellent condensé des besoins des esthéticiennes en 2024, réagissons pour l évolution de notre profession qui concerne 90000 entreprises !

à écrit le 03/04/2024 à 16:56
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Bravo👏👏👏

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