Défense  : pas d'autonomie stratégique européenne sans investissements privés

OPINION. La filière industrielle de la Défense peine à mobiliser les investisseurs. Une réalité en partie liée à la perception qu'en ont les gestionnaires de fonds à l'heure des critères ESG et de la finance durable. Pourtant, la montée des périls internationaux nous rappelle que l'industrie de Défense est pleinement durable et qu'il faut se prémunir de tout excès de vertu, qui ne renforcerait que les intérêts extra-européens. Par Élie de Moustier, Repreneur TPE/PME, Consultant opérations & stratégie (*).
(Crédits : DR)

Le sous-financement est un risque systémique de l'industrie de Défense. Tous les observateurs s'accordent aujourd'hui pour affirmer que la nouvelle donne géopolitique internationale doit mener à un renforcement des capacités militaires européennes.

Un défi largement conditionné à notre capacité collective à disposer de chaînes de production domestiques pour ne pas dépendre outre mesure de fournisseurs étrangers. C'est d'ailleurs peu ou prou le sens de l'autonomie stratégique européenne, désormais promue au plus haut niveau exécutif de l'UE, même si elle l'est avec des interprétations différentes.

Cette revitalisation des chaînes de production européennes est également dans l'intérêt de l'OTAN, donc des États-Unis. Ces derniers ne pourront pas livrer tous leurs alliés, comme l'illustre le flou actuel autour de l'origine des sous-marins promis à l'Australie dans le cadre de l'accord AUKUS.

La montée en puissance des capacités militaires européennes repose sur deux facteurs. D'abord, la bonne volonté des gouvernements a accordé un effort budgétaire conséquent à leurs armées. Elle dépend ensuite de l'inclinaison des grands investisseurs, qu'il s'agisse de gestionnaires d'actifs, de banques, de sociétés d'investissement ou encore de compagnies d'assurance, à soutenir le développement et la croissance d'une base industrielle et technologique de Défense (BITD), pour laquelle ils nourrissent une défiance ancienne.

Dans ce contexte, le risque persistant de sous-financement de l'industrie de Défense est, malgré un récent changement de paradigme au niveau politique, toujours prégnant.

La filière fait pourtant face à une double problématique. D'une part, la R&D (recherche et développement) est un facteur décisif de compétitivité, notamment à l'export, dans un secteur ultra-concurrentiel et nécessite des investissements conséquents.

D'autre part, le secteur de la Défense est construit sur des cycles industriels de longue durée, avec des programmes envisagés parfois sur une vingtaine d'années, rendant plus délicat l'investissement d'acteurs financiers cherchant un retour sur investissement de court ou moyen terme. À ces difficultés initiales s'ajoute le risque d'un excès de vertu mal placée des investisseurs.

Gare à l'excès de vertu

Les investisseurs adoptent en effet, à l'égard de la filière, une attitude de défiance bien ancrée. Un soupçon a priori loin d'être apaisé par l'épée de Damoclès que constitue l'édifice normatif européen, construit sur l'idéal pacifique qui a porté l'Union européenne depuis son origine. Rappelons le projet d'écolabel européen, qui prévoyait de ne pas inclure dans les fonds labellisés les entreprises dont plus de 5 % du chiffre d'affaires seraient issus de la vente d'armement conventionnel. Cette approche excluante a heureusement été suspendue sous la pression française.

Les projets d'exclusion de la Défense des taxonomies européennes, qu'elles soient « vertes » ou « sociales », outils privilégiés d'accès aux investissements et de confiance des pourvoyeurs de fonds, restent aussi des risques face auxquels la France doit peser constamment, notamment du fait de leurs caractères profondément évolutifs.

N'ignorons pas aussi le risque réputationnel qui pèse sur tous les potentiels investisseurs de la filière, qui font face à la pression d'ONG parfois médiatiquement très offensives dans ce domaine et, selon un récent rapport d'information de l'Assemblée nationale, parfois reliées à des intérêts étatiques étrangers qui bénéficieraient très logiquement d'un secteur européen de la Défense sous-dimensionné. Cet édifice réglementaire et ce risque réputationnel n'existent tout simplement pas aux États-Unis, où l'on accorde à la filière des facilités d'investissement et un évident avantage comparatif.

Exiger un soutien clair et une cohérence d'ensemble

La France, qui représente un quart du chiffre d'affaires européen des entreprises de la Défense, doit donc poursuivre sa mobilisation au plus haut niveau pour prémunir le secteur de tout risque d'exclusion réglementaire.

Afin d'entraîner nos voisins, cette mobilisation doit se traduire par une meilleure inclusion de la Défense dans l'édifice réglementaire européen, au regard de son rôle essentiel dans le maintien de la sécurité humaine, des droits humains et de nos systèmes démocratiques, considérés par l'ONU comme des objectifs de développement durable (ODD). Un grand pas a déjà été réalisé avec l'inclusion, dans la loi de finance 2024, de l'épargne populaire issue du Livret A comme un outil de financement de la filière Défense. Charge à l'exécutif européen désormais de réaliser le même travail d'ouverture pour les acteurs financiers.

Plus que jamais, la cohérence entre les textes et les actes est nécessaire. Déployer un Fonds européen de Défense de 7 milliards d'euros ne permettra pas une réelle montée en puissance d'une BITD européenne, si le cadre réglementaire ne permet pas de libérer l'investissement privé.

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(*) Ancien cadre dans des scale-ups françaises et internationale, Élie de Moustier mène actuellement un projet de reprise dans le secteur de la Défense, en parallèle d'activités de conseil pour des jeunes entreprises ayant des projets industriels en France.

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Commentaires 4
à écrit le 26/11/2023 à 10:10
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​ 997 / 5.000 Übersetzungsergebnisse Übersetzung L'Europe a osé en termes de politique mondiale. Aucun État européen ne joue dans la première division. Les ressources des pays européens individuels sont limitées pour construire une industrie des ...

à écrit le 23/11/2023 à 19:22
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Quand on parle d'investissement privé dans "la défense" c'est souhaiter des conflits à travers le monde ! Sinon..... comment générer des bénéfices ?

le 24/11/2023 à 16:55
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Bonjour, le bénéfice seraient avant tout d'éviter une guerre inutile au peuple français... Les pays au armées puissante , risque moins de supporter la défaite en temps de guerre , se qui est un bénéfice pour toute la nation.. Ensuite mêmesi vous...

à écrit le 22/11/2023 à 18:55
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L'argent existe mais il est entassé dans les paradis fiscaux, après eux le déluge.

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