Des banquiers centraux sur la sellette

Les banques centrales jouent un rôle croissant, qui va bien au delà de leur fonction traditionnelle de réglage de la politique monétaire. A vouloir trop en faire, elles risquent d'attirer l'attention des politiques. Avec le risque d'une remise en cause de leur indépendance. Ce qui serait dommageable. Par Howard Davies, directeur de la Royal Bank of Scotland

Durant la dernière décennie, les banques centrales ont été successivement dénigrées et portées au pinacle. Vont-elles à présent rejouer de malchance et voir à nouveau leur réputation ternie ?

En 2006, lorsqu'Alan Greenspan a pris sa retraite après 18 ans de présidence de la Réserve fédérale américaine, sa réputation était à peu près sans tache. Il avait dirigé l'économie américaine durant la bulle internet puis son éclatement en 2000, géré soigneusement les risques économiques liés au 11 septembre tout comme la période de croissance rapide du PIB et de la productivité. Lors de sa dernière réunion du Conseil d'administration, Timothy Geithner, alors Président de la Fed de New York, a dit tout le bien qu'il pensait de Greenspan, un éloge que Geithner a bien sûr du mal à assumer aujourd'hui.

 À peine trois ans plus tard, le prix Nobel d'économie Paul Krugman, en reprenant le sketch du perroquet par les Monty Python, a dit tout le mal qu'il pensait de Greenspan. Depuis 2010, les banques centrales sont accusées de tous les maux. Elles ont, dit-on,  permis aux déséquilibres mondiaux de s'accumuler, ont considéré comme inoffensive l'énorme bulle de crédit, ont ignoré les signaux d'alarme sur le marché hypothécaire et ont approuvé sans réserve les produits innovants mais toxiques conçus par des banques d'investissement surpayées.

 Les banques centrales plongées dans l'incertitude

Les premières réactions des banques centrales suite à l'aggravation de la crise ont également témoigné de l'incertitude dans laquelle elles sont plongées. La Banque d'Angleterre (BoE) a continué de donner des conférences sur l'aléa moral alors que le système bancaire avait implosé autour d'elle et la Banque Centrale Européenne voulait toujours s'attaquer à une inflation imaginaire, quand presque tous les économistes avaient perçu des risques bien plus considérables d'effondrement de la zone euro et de la chute  du crédit qui allait s'ensuivre.

De nouveaux pouvoirs

Pourtant en dépit de ces faux pas, alors que les gouvernements du monde entier étudiaient la meilleure façon de tirer les leçons de la crise, les banques centrales, autrefois considérées comme faisant partie du problème, ont été envisagées comme un élément essentiel de la solution. Elles ont reçu de nouveaux pouvoirs pour réguler le système financier et ont été encouragées à adopter des politiques nouvelles et hautement interventionnistes, pour tenter de conjurer la dépression et la déflation.

Les bilans des banques centrales ont connu une expansion spectaculaire et de nouvelles lois ont renforcé énormément leur influence. Aux États-Unis, la loi Dodd-Frank a ouvert à la Fed des domaines du système financier qu'elle n'avait jamais réglementés et lui a donné les pouvoirs de reprendre le contrôle de certaines banques en difficulté. Au Royaume-Uni, la réglementation bancaire, qui avait été retirée des fonctions de la Bank of England (BoE) en 1997, a fait son retour en 2013 et la BoE est également devenue pour la première fois le superviseur prudentiel des compagnies d'assurance, un accroissement notable de son champ d'action. La BCE quant à elle est désormais le supérieur hiérarchique direct de plus de 80% du secteur bancaire de l'Union européenne.

Les conséquences d'un pouvoir trop étendu

Tout irait donc pour le mieux... sauf que certaines banques centrales commencent elles mêmes à craindre les conséquences d'un pouvoir trop étendu.

Deux risques sont à prendre en compte. Le premier figure dans le titre du dernier livre de Mohamed El-Erian : The Only Game in Town (ou La seule option possible). Les banques centrales prévoient d'assumer la plus grande part du fardeau de l'ajustement de sortie de crise. Leurs achats massifs d'actifs sont devenus l'oxygène indispensable à la vie du système financier. Les banquiers centraux ne peuvent pourtant pas par eux-mêmes résoudre les problèmes sous-jacents, liés aux déséquilibres mondiaux, ni l'énorme surendettement . En effet, ils risquent d'empêcher les autres ajustements -réduction du déficit, réformes structurelles-, qui sont nécessaires pour résoudre ces obstacles à la reprise économique.

 Les gouvernements inactifs

Ceci est particulièrement vrai en Europe. Alors que la BCE maintient l'euro à flot en faisant « tout ce qui est en son pouvoir », pour reprendre les termes du Président de la BCE Mario Draghi, les gouvernements ne font pas grand-chose. Pourquoi prendre des décisions difficiles si la BCE continue d'administrer des doses de médecine monétaire de plus en plus fortes ?

Le second danger est une version de ce qu'on appelle parfois le problème du « citoyen trop puissant. » A-t-on accordé trop de pouvoirs aux banques centrales dans leur intérêt ?

L'assouplissement quantitatif (QE) est un cas d'espèce. Parce qu'il brouille la démarcation entre la politique monétaire et budgétaire (cette dernière relève normalement des gouvernements), le malaise a grandi. Nous en voyons des signes  en Allemagne, où de nombreux experts s'inquiètent de la sur-puissance d'une BCE indépendante et irresponsable. Des critiques similaires motivent ceux aux États-Unis qui veulent « faire un audit de la Fed », ce qui est souvent une formule codée pour soumettre la politique monétaire à la surveillance du Congrès.

 La BCE doit elle superviser directement les banques?

Il y a également des inquiétudes au sujet de la régulation financière, en particulier quant aux nouveaux instruments macroprudentiels des banques centrales. Dans son dernier ouvrage The End of Alchemy, ancien Gouverneur de la BoE Mervyn King fait valoir que l'intervention directe sur le marché hypothécaire par la limitation du crédit doit être soumise à la décision politique.

D'autres experts, notamment Axel Weber, ancien directeur de la Bundesbank, estiment qu'il est dangereux que la banque centrale supervise directement les banques. Il y a un risque de contagion et une perte de confiance dans la politique monétaire, quand la Banque centrale est en première ligne.

 Ce qui nous amène à la plus importante préoccupation. L'indépendance des banques centrales sur le plan de la politique monétaire a été conquise de haute lutte. Elle a été bénéfique pour nos économies. Mais une institution qui achète des obligations avec les deniers publics, qui se prononce sur la disponibilité de financements hypothécaires et procède à des liquidations bancaires à grands frais pour leurs actionnaires, doit nécessairement avoir une forme de responsabilité politique.

Les décisions hâtives de sortie de crise donnant aux banques centrales des fonctions supplémentaires risquent donc d'avoir des conséquences imprévues et fâcheuses:  si le politique entend contrôler ces actions de régulation des banques centrales, il voudra également se mêler de la politique monétaire qu'elles conduisent, ce qui serait fâcheux.

Howard Davies, directeur de la Royal Bank of Scotland.

© Project Syndicate 1995-2016

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