Entretien avec Patrick Pouyanné : Total, la future major de "l'énergie responsable"

[Les Mardis de l'Essec] Bien que cet ingénieur X-Mines ne soit pas passé par une école supérieure de commerce comme son prédécesseur Christophe de Margerie, il a attiré un très large public à l'occasion de sa première venue à l'Essec.

La fine présentation de sa personne et de son parcours par un membre de l'association s'est conclue sur une question qui résume les paradoxes du personnage : comment un homme si appréciable peut-il être à la tête d'un groupe si controversé ?

« Moi aussi j'ai cru pouvoir être un Président normal »

En raison de sa formation et de son parcours, d'abord dans des cabinets ministériels puis chez Elf (et Total, à partir de la fusion de l'automne 1999), Patrick Pouyanné incarne l'un des archétypes du patronat français : pas celui du grand commis de l'État comme a pu l'être Philippe Jaffré chez Elf, mais le polytechnicien. Même s'il reconnait avec humour qu'il ne calcule pas beaucoup d'intégrales triples dans son quotidien de PDG, ses compétences scientifiques lui permettent de compter plus vite que les autres, ce qui s'avère utile lors de négociations. En réaction à ces modèles du patronat français, il évoque la nécessité d'ouvrir le système des grandes écoles, et plus généralement, le modèle français de formation des élites économiques :

« La frilosité et le repli sur soi ne permettront pas de défendre notre modèle », ajoute-t-il.

La mise en place de quotas d'étudiants issus de formations professionnelles au sein des grandes écoles pourrait constituer une solution.

Déjà cadre dirigeant de Total, membre du COMEX et directeur général de la branche Raffinage-Chimie avant d'accéder au poste de PDG dans des circonstances tragiques, Patrick Pouyanné est revenu sur l'impact de ce changement de poste sur sa vie. D'après lui, le plus difficile est de ne pas être naïf, car « les gens ne vous racontent plus la vérité » et que le rapport aux autres change. Être PDG est un exercice intellectuel, mais aussi physique, parce que l'on attend alors tout de vous : il ne s'agit plus d'intervenir et proposer ponctuellement, mais d'être attentif et capable de prendre des décisions tout au long de la journée.

Alors quels conseils donnerait-il à des étudiants qui aspirent à être managers ? D'abord de travailler puis de faire preuve de courage, d'audace, mais aussi de responsabilité :

« Le manager tient la barre ; il doit assumer les erreurs quand il y en a ».

Reconnaissant aisément que dans son groupe, il recherche des gens qui sont prêts à s'exposer eux-mêmes et qui osent, le PDG déclare ainsi : « Dans la vie, il faut s'appuyer sur ses forces plutôt que chercher à corriger ses faiblesses et il faut être prêt à prendre des risques. » Le patron parle en connaissance de cause : c'est justement cette capacité à prendre des risques qui l'a propulsé à la tête de Total.

Total, future « major de l'énergie responsable » ?

Une prise en compte et une intégration poussée des questions climatiques et de transition énergétique dans la stratégie d'entreprise : c'est la réponse de Patrick Pouyanné aux évolutions du monde de l'énergie. Devenir « la major de l'énergie responsable », c'est projeter l'entreprise dans dix ans et prépare Total à rester parmi les leaders de demain. C'est aussi prendre le risque de ne pas se concentrer seulement sur les activités dans lesquelles le groupe est performant, mais opérer une véritable diversification afin d'investir et de préparer le futur.

L'année ayant été riche en mouvements stratégiques de la part du groupe avec l'achat de Maersk Oil, celui de la branche amont des activités GNL d'Engie et l'entrée sur le marché français de la fourniture d'électricité, Patrick Pouyanné a été interrogé sur sa vision de l'unité de l'entreprise.

En effet, prises isolément, les actions évoquées plus haut peuvent sembler disparates et renvoyer à trois Total : l'historique major du pétrole, celui qui veut s'intégrer sur la chaîne de valeur gazière, et celui qui prend pied dans les énergies renouvelables. Dès lors, comment parvenir à définir un cap clair ? Il balaye le problème en disant que le business model de Total ne sera pas bouleversé du jour au lendemain : il s'agit de préparer des relais de croissance pour l'entreprise qui devra faire face d'ici 2040 au déclin des usages du pétrole, en se positionnant sur le gaz, dont la consommation est amenée à augmenter, et les énergies renouvelables.

Suivant la logique d'inscrire sa stratégie dans cet enjeu de transition énergétique, Total a, depuis 2009, investi plus de 150 millions de dollars dans des startups innovantes du marché de l'énergie via son programme Total Energy Ventures. Le groupe choisit de ne prendre que des participations minoritaires plutôt que d'acquérir ces technologies, ce qui est une façon de compléter sa recherche et développement (R&D). Mais aussi de rester en contact avec l'innovation, en lien avec sa constante volonté d'innover :

« Quand vous êtes dans un groupe comme le nôtre, la question est la suivante : comment maintenir la volonté d'innover, alors que nous sommes riches et que nous fonctionnons bien ? »

Et le PDG d'ajouter qu'une entreprise industrielle n'est gagnante que par l'innovation technologique en stimulant la créativité.

Patrick Pouyanné met également en avant une valeur essentielle du groupe : la fierté. Il faut sans cesse trouver des motifs de réussite pour que le moteur fonctionne, pour continuer à croître et se développer.

Un groupe « Qatari au Qatar, Iranien en Iran, Émirati en Arabie Saoudite »

Opérant dans plus de 130 pays, le groupe repousse les frontières géographiques. Partout dans le monde, Total noue des relations étroites avec les États, principalement en raison des enjeux de souveraineté que revêt l'exploitation des hydrocarbures. De ce fait, Total peut être considéré comme un acteur global doté d'un rôle géopolitique.

Mais Patrick Pouyanné précise d'abord que le groupe a une nationalité dans le monde : il est vu comme la major française et rappelle le prestige attaché à l'étranger au siège que la France possède au conseil de sécurité de l'ONU. Ne pas prendre parti dans les différents pays, c'est pour lui une question de loyauté envers chaque client du groupe. Si le PDG ne souhaite pas effectuer des choix géopolitiques, c'est aussi parce que celle-ci évolue sans cesse alors que Total reste et doit s'assurer d'une certaine stabilité. C'est ce qui a permis au pétrolier français de reprendre pied en Iran. Cette doctrine de neutralité diplomatique, Patrick Pouyanné l'a, d'après lui, héritée de Christophe de Margerie.

« En France, les gens me connaissent comme le chef pompiste »

Interrogé sur sa vision des positions françaises en matière d'exploitation d'hydrocarbures non conventionnelles dans un contexte où la production de gaz et pétroles de schiste aux États-Unis a contribué à déstabiliser le cours du brut, Patrick Pouyanné a réagi en soulignant l'irrationalité du débat en France.

Avant de conclure : « Si je ne peux pas forer en France, j'irai forer ailleurs ».

Toutefois, le PDG met en avant le lien qu'il y a entre les Français et son entreprise. S'il ironise sur son image de « chef pompiste », soulignant par-là que, pour le consommateur, Total est avant tout un réseau de stations-service, il précise tout de même, en évoquant plus largement le rôle de l'entreprise comme acteur de la Cité, qu'il souhaite garder un lien avec les territoires et que 90% des Français se trouvent à dix minutes d'une station du groupe.

Finalement, c'est peut-être sur la question de la parité que le PDG s'est montré plus frileux. Même s'il présidera les entretiens de Royaumont de 2018 qui porteront sur ce thème, il confesse : « On ne peut pas être premier au CAC 40 et premier sur la mixité homme/femme ». Aura-t-il la volonté managériale nécessaire pour mettre en œuvre les propositions qui lui seront soumises ?

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Commentaires 2
à écrit le 30/01/2018 à 9:53
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l'énergie responsable : comme le dit Pouyanné , "si je ne peux pas forer en France , j'irai forer ailleurs " trop fort ce type !

à écrit le 24/01/2018 à 19:31
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"neutralité diplomatique" cela doit être difficile de résister à la pression , mais pour le moins il doit être sollicité pour faire passer des messages par les uns ou les autres à tel ou tel de ses interlocuteurs .

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