Face aux mutations de l'emploi, assurer les transitions professionnelles

Le travail est plus en voie de mutation que de disparition. La question posée est celle des transitions professionnelles. Par Tristan d'Avezac de Moran, spécialiste des mutations du travail, fondateur du cabinet territoires humains

A l'occasion des débats des primaires socialistes, la question de la disparition du travail a été largement abordée par Benoit Hamon. Les nombreuses études réalisées sur le sujet montrent que plus que disparition d'emplois, les évolutions technologiques, le big-data et l'intelligence artificielle vont conduire à une mutation majeure du monde du travail et de relations à l'activité.

 Parmi les multiples questions soulevées par ces mutations, en particulier celle des droits qu'il s'agisse du revenu de remplacement pour les salariés comme les indépendants ou encore de retraite et de protection sociale ; deux enjeux devront être rapidement traités afin de permettre aux actifs d'aborder au mieux ces bouleversements.  Permettre aux actifs d'être en capacité de gérer leurs transitions professionnelles et réinventer des collectifs à même de maintenir une cohésion sociale aujourd'hui malmenée.

 L'accompagnement des transitions professionnelles

 Pendant de nombreuses années, les transitions professionnelles ont été abordées dans le cadre quasi-exclusif du salariat, à l'occasion de plans sociaux ou de fins de carrières anticipées. Or aujourd'hui, outre qu'elles surviennent de plus en plus tôt dans la vie - Dès l'âge de 27 ans (1) - elles se multiplient  et s'inscrivent dans des contextes pluriels sur un marché du travail qui n'a probablement jamais été aussi foisonnant.  Ainsi l'excellent rapport du COE sur « l'évolution des formes d'emploi »tout en notant l'explosion des embauches en contrats courts (9 embauches sur 10 en CDD et en intérim), observe le regain du travail indépendant,  la montée de la pluriactivité - plus de 2,3 millions d'actifs - celle plus récente des « emplois » de l'économie collaborative sous la forme de tâches plus ou moins répétitives (livraison, VTC, crowdworking), du télé-travail

 Ces phénomènes traduisent des évolutions marquantes dans la relation à l'emploi, à la fois dans le temps- multiplication des transitions au cours de la vie - et dans l'espace. Les actifs sont appelés à passer d'un statut à l'autre - salarié en CDD ou CTT puis CDD, indépendant, freelance, en portage salarial ou à temps partagé et à conjuguer différents statuts et activités à un même moment de leur vie active.

 Qu'est-ce à dire pour les actifs ? L'ère du numérique avec son corollaire la désintermédiation de l'accès à l'activité va elle permettre à tous d'être des « Sublimes »  (2) et de monnayer leurs compétences au plus offrant sous des formes statutaires diverses ? A l'heure où l'invitation à être acteur de sa vie professionnelle, qu'il s'agisse de sa formation ou de la gestion de ses transitions, est de plus en plus prégnante , il n'est cependant pas certain que tous soient en capacité et « outillés » pour affronter le monde du travail de demain !

 Reconnaître et capitaliser les expériences pour demain

 La diversification des formes d'emploi et d'activité fait que l'acquisition des compétences ne se réduit plus au seul cadre de l'emploi salarié.  Un même personne peut développer des expertises dans le cadre de son emploi salarié et parallèlement en complétant son revenu sur une plateforme de crowdworking, parce qu'il est un pro du web design. Les travailleurs de plateformes de livraison ou de VTC développent  à l'évidence des compétences  (sens du service, ponctualité, engagement, réactivité...) d'autant plus utiles pour leur futur qu'ils ne resteront très certainement pas « jobbeurs » toute leur vie.

 Or pour que les actifs puissent assurer au mieux leurs transitions professionnelles, il est impératif qu'ils puissent s'appuyer en amont sur des dispositifs de reconnaissance et de capitalisation qui prennent en compte la totalité de leurs compétences. Certes l'élargissement de l'accès à la VAE aux travailleurs de plateformes inscrit dans la Loi El Khomri va dans le bon sens. Cependant il ne résout pas la question des référentiels de compétences et le comment donner accès et réaliser les évaluations. Il conviendrait tout d'abord de concevoir de nouvelles métriques de compétences qui soient communes  à tous les types d'activités (salariat, freelance, indépendant, bénévolat...) et registres de compétences (techniques, comportementales, recommandations et notations) et de tirer parti du numérique pour créer une forme de « livret digital des expériences et des compétences » dont l'actif soit propriétaire et qu'il puisse « porter » auprès de ses futurs « employeurs ».

 Changer de regard sur les transitions professionnelles

 Les transitions professionnelles touchent désormais les actifs quelles que soient les formes d'emploi et d'activité. Les CDI - même s'ils concernent 75% de la population active en France, et ceci d'une manière quasi-constante depuis les années 80 - sont moins pérennes. Ainsi plus d'un CDI sur trois est rompu dans l'année (45% pour les jeunes de moins de 25 ans). Les travailleurs de plateformes enchainent prestation sur prestations et nombre d'auto-entrepreneurs  mettent la clé sous la porte  (un créateur d'entreprise individuelle sur deux) dans les 5 années suivant le lancement de leur activité.

 Comment dans ces conditions permettre à chacun de rebondir. Être travailleur de plateforme est certes pour bon nombre une formidable opportunité d'avoir une place dans la société et de se réaliser. Veulent-ils cependant le rester toute leur vie ? Comment peuvent-ils progresser et diversifier leurs compétences alors que leurs activités sont le plus souvent « mono-tache » ?

 Assurer une continuité de travail

Il apparaît urgent que notre société accepte l'augure de la diversité des possibles en termes de statuts et d'activité et qu'elle accompagne les actifs dans leurs transitions pour leur assurer une continuité de travail.

 Cela passe en premier lieu par un changement de regard sur les modes d'emploi et d'activité. Les agents de Pôle Emploi ont mis plusieurs années à reconnaître que l'intérim puisse représenter une forme « acceptable » d'emploi pour les demandeurs d'emploi qu'ils accompagnent. De même, ne doit-on pas considérer le travail sur plateforme comme un vecteur d'insertion. Les intermédiaires privés de l'emploi n'ont-ils pas également là l'opportunité d'élargir leur champ d'intervention en devenant des opérateurs de transitions professionnelles multi-statuts ?

Les entreprises, en particulier les PME, ne devraient-elles pas s'ouvrir à tous types de statuts pour attirer les compétences qu'elles ont du mal à trouver ?

Outiller les actifs pour leurs transitions professionnelles

 Enfin pour les actifs, quel que soit leur statut, ne faudrait-il pas instaurer un droit de tirage « transitions professionnelle » fongible qui leur permette selon les moments de vie et leurs besoins de suivre une formation ou bénéficier d'une validation de leurs acquis, d'un accompagnement de leurs transitions professionnelles assuré par les institutions publiques (Pôle Emploi et missions locales) ou des opérateurs privés, ou encore d'un revenu de remplacement pour les auto-entrepreneurs en situation d'échec.

 Les collectifs traditionnels bousculés

 Entre le développement du travail indépendant, l'émergence d'une nouvelle catégorie de travailleurs de plateformes, des entreprises recentrées sur leurs compétences clé, des emplois dont la durée se réduit comme peau de chagrin, l'importance des réseaux sociaux et des emplois/activités, l'appartenance aux collectifs traditionnel est particulièrement mise à mal.

 Les travailleurs indépendants se sentent isolés, ceux des plateformes sont « invisibles » et le plus souvent seuls face à leur Smartphone. Les plateformes dont le business model repose sur le nombre de « jobbeurs » mobilisables veulent-elles et  peuvent-elles créer des communautés d'échanges et de discussions . Ne courent-elles d'ailleurs pas le risque d'être considérées comme des employeurs de fait ? Une solution envisageable pourrait être de développer des communautés « tierces » qui soient à la fois des lieux d'échanges comme d'information sur leurs droits et conditions de travail et dont la gouvernance serait collaborative.

 L'entreprise quand à elle est devenue une « Babylone » des temps modernes où cohabitent « contributeurs » internes et externes sous statuts multiples dont le degré d'engagement varie en fonction de leur statut, du temps de leur relation - de plus en plus fréquemment celui d'un projet - et de la distance avec les autres collaborateurs amplifiée par la numérisation du travail. Quelle langue lui faudra-t-elle parler pour faire collectif ?

 Enfin les organisations syndicales, historiquement concentrés sur les seuls salariés principalement en CDI, tout en ayant conscience de la nécessité d'adresser ces nouvelles catégories d'actifs, s'interrogent sur la méthode à adopter pour les attirer, répondre à leurs attentes et les fidéliser. L'Unsa, la FGTA-FO et la CFDT y réfléchissent et, fait paradoxal ?, ont créé des syndicats réunissant des non-salarié.

 Cependant, ne leur faudrait-il pas dépasser la notion du statut, voire de la branche professionnelle pour développer des organisations par métiers à l'instar des guildes des métiers ?

 Les syndicats doivent développer des approches servicielles

Assurément le principe de l'adhésion à vie est d'un autre temps et les syndicats devront développer des approches davantage servicielles à l'instar d'organisations comme Freelancers Union aux Etats-Unis. A défaut, se multiplieront des collectifs de défense tels que ceux qui ont pu émerger lors du conflit des VTC avec Uber.A l'occasion des débats des primaires socialistes, la question de la disparition du travail a été largement abordée par Benoit Hamon. Les nombreuses études réalisées sur le sujet montrent que plus que disparition d'emplois, les évolutions technologiques, le big-data et l'intelligence artificielle vont conduire à une mutation majeure du monde du travail et de relations à l'activité.

 Parmi les multiples questions soulevées par ces mutations, en particulier celle des droits qu'il s'agisse du revenu de remplacement pour les salariés comme les indépendants ou encore de retraite et de protection sociale ; deux enjeux devront être rapidement traités afin de permettre aux actifs d'aborder au mieux ces bouleversements.  Permettre aux actifs d'être en capacité de gérer leurs transitions professionnelles et réinventer des collectifs à même de maintenir une cohésion sociale aujourd'hui malmenée.

[1] Observatoire des trajectoires professionnelles - Adecco (Lab'Ho) / IGS-RH (Lispe) -2015

[2] Tous «Sublimes » : vers un nouveau plein-emploi Bernard Gazier. Paris, Flammarion, 2003

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Commentaire 1
à écrit le 04/02/2017 à 9:48
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59 ans ...aujourd hui, fonction libérale pendant 10 ans , méningite et cancer ,mes maladies m'empêchent de travailler pour pallier les charges de ma société ,le déficit me contraint à fermer .....CHOMAGE DEPUIS DEUX ANS = 0€ POURTANT 28 ANS D ACTIV...

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