L'hommage de Stéphane Bern à son ami Frédéric Mitterrand

L'animateur Stéphane Bern salue la mémoire de son ami Frédéric Mitterrand, décédé jeudi.
Frédéric Mitterrand, le 15 juin 2008.
Frédéric Mitterrand, le 15 juin 2008. (Crédits : © LTD / Denis Dailleux / Agence VU)

Il n'était jamais là où on l'attendait. Frédéric était un authentique saltimbanque qui n'aimait pas être enfermé dans le rôle auquel son nom ou ses fonctions auraient pu l'assigner. Un soir, lors d'un dîner à la maison avec le couple héritier du Luxembourg tout juste marié, alors que nous vantions les charmes et sortilèges de ce grand-duché cher à mon cœur, il lâche tout à trac : « Et sinon, vous sortez dans les boîtes de nuit ? » Tout le monde s'esclaffe, peut-être davantage de ma gêne d'ailleurs. Il avait brisé la glace d'un pavé dans la mare, chacun sachant qu'il n'avait que faire d'aller danser dans un night-club à Luxembourg.

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Il était comme ça, Frédo : imprévisible, spontané, moqueur et taquin mais jamais méchant, même si parfois je pouvais ressentir un peu de mélancolie teintée d'amertume. Je me souviens qu'en 2010, alors que j'habitais à Paris dans une maison historique du 9e arrondissement où avait vécu Victor Hugo à son retour d'exil, il était venu dîner parmi quelques amis communs pour me remettre les insignes d'officier des Arts et Lettres. Il prononce un discours élogieux, puis il replie sa feuille et lance à la cantonade : « Tout te réussit, c'est bon, franchement tu n'as pas besoin de cette médaille »... avant de me l'épingler au revers du veston.

Liberté de faire un pas de côté

C'était plus fort que lui, comme s'il fallait toujours qu'il ait la liberté de faire un pas de côté. L'art de l'esquive pour un homme pétri de culture classique mais curieux de toutes les nouveautés artistiques, et qui avait échappé à l'ENA pour se consacrer à sa véritable passion, le cinéma, hommage muet à sa mère Édith, lui qui avait tourné à 13 ans dans Fortunat avec Bourvil et Michèle Morgan.

L'amour du septième art ne devait jamais le quitter, autant que sa passion des stars et des figures emblématiques - actrices ou reines - qui vivent en pleine lumière la vie obscure de chacun d'entre nous. Vivien Leigh, Lana Turner, Marlene Dietrich, Elizabeth Taylor, Ava Gardner, Romy Schneider ou Hedy Lamarr peuplent ses Destins d'étoiles et sont, comme il le disait souvent, « les messagers de nos émotions ». Touche-à-tout de génie, Frédéric Mitterrand avait réussi à se faire un prénom comme cinéaste, producteur, directeur de salles de cinéma, journaliste, romancier, animateur télé et radio, réalisateur, scénariste, enseignant, éditeur, avant d'aspirer à un emploi stable, acceptant de devenir directeur de la villa Médicis à Rome, puis ministre de la Culture et de la Communication de Nicolas Sarkozy.

Soutien à Jacques Chirac en 1995

Lui qui avait soutenu Jacques Chirac en 1995 et disait son admiration du général de Gaulle... En parfaite contradiction avec sa famille qui avait, autrefois, dénoncé le « coup d'État permanent »... Inclassable, vraiment, se laissant guider par ses coups de cœur, ses fidélités successives, ses goûts intimes et ses passions, il aura au bout du compte dessiné le parcours accompli d'un véritable amoureux des arts et des lettres, un homme d'érudition et de culture qui n'avait pas d'œillères.

À mes débuts à la télévision, il m'invitait dans son émission Du côté de chez Fred, où il laissait libre cours à son adoration pour la reine Géraldine d'Albanie ou la shahbanou Farah Pahlavi. Puis il y eut Les Aigles foudroyés, l'un de ses chefs-d'œuvre où les mélopées de sa voix lancinante accompagnaient merveilleusement les images d'archives. Il me disait quel travail d'orfèvrerie cela lui demandait, le montage, puis l'écriture, mais je sais qu'il se laissait porter par la magie des images. Parfois il nous arrivait de commenter ensemble les grands événements royaux comme les obsèques des rois Hassan II du Maroc ou Hussein de Jordanie, mais souvent les chaînes se délectaient de nous voir concurrents. On s'en amusait presque.

Sensible et généreux

Il arrivait aussi à cet homme sensible et généreux de dévoiler sa face plus sombre, plus douloureuse aussi. « À quoi bon maintenant, tu le fais très bien ! » me disait-il, et je sentais que le clown triste avait pris le pas sur le Frédo plein d'humour avec qui j'aimais rire chez notre producteur Jean-Louis Remilleux. Il retrouvait le sourire dès qu'apparaissaient le prince Emmanuel-Philibert de Savoie, l'impératrice Farah - qui lui remit sous la coupole de l'Institut son épée d'académicien des Beaux-Arts -, le prince Michel et la princesse Marina de Grèce, la reine mère Norodom Monineath du Cambodge ou la famille royale de Roumanie que nous avions accompagnée à son retour à Bucarest il y a trente ans ! S'il avait un tropisme qui le conduisait à Hammamet, en Tunisie, son amour de l'Histoire lui faisait regarder vers l'est et nous avions cheminé ensemble vers Tirana pour assister au mariage de l'héritier Leka d'Albanie en 2016. « Un jour, toi aussi tu seras ministre », me disait-il. « Jamais ! » lui avais-je répondu. Il avait acquiescé : « On y perd sa liberté. » Quand on n'est pas un homme politique « professionnel », les lendemains sont difficiles. Ils l'ont été pour Frédéric.

Un modèle

C'était un chemin sans retour en arrière possible. Pourtant, il lui restait l'écriture. Si son patronyme n'avait été un obstacle pour certains des quarante immortels, il aurait assurément été élu à l'Académie française pour son œuvre littéraire. Depuis ses Lettres d'amour en Somalie jusqu'à Une drôle de guerre où il raconte le combat de son frère aîné, le galeriste Jean-Gabriel, contre le Covid, il a écrit de très beaux textes comme le Festival de Cannes, Le Désir et la Chance, La Récréation, Mes regrets sont des remords, qui suivaient La Mauvaise Vie, un beau texte où certains ont cru voir un récit biographique dans ce qui était une description romanesque. Je sais que cette polémique l'a terriblement affecté et qu'il dut alors se justifier publiquement. Frédéric Mitterrand était un immense écrivain. Il était aussi un honnête homme au sens du Grand Siècle qui s'intéressait à tout et à tous. Pour moi, il était un modèle, comme un grand frère. Le public aimait sa faconde, cette façon inimitable de dire « bonsoir » et la passion qu'il mettait à nous faire revivre le destin des autres. Je crois qu'au fond le sien ne l'intéressait guère.

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Commentaires 3
à écrit le 25/03/2024 à 2:35
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Comment un pays comme la France peut-il dresser un portrait dithyrambique d'un personnage aussi contestable d'un point de vue moral ? Quelle decadence.

à écrit le 25/03/2024 à 0:18
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Un hommage à une grande figure de la pédophilie française (cf. livre autobiographique La Mauvaise Vie) issue de la bourgeoisie dépravée parisienne de gauche à laquelle on ne refuse rien...

à écrit le 24/03/2024 à 8:40
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Mais on ne comprend pas vraiment pourquoi, certainement en effet un personnage que beaucoup en haut de la pyramide connaissaient, il devait leur raconter des histoires pour s'endormir, mais personnage mineur en ce qui concerne ce qu'il a produit, c'e...

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