Iran : les raisons de la fuite massive des capitaux

OPINION. En raison du manque de liberté et de l'instabilité permanente, la fuite des capitaux a considérablement affecté l'économie iranienne. Elle a transformé un pays riche en un pays pauvre. Le parlement a officiellement déclaré que 60 millions d'Iraniens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Plus de 160 milliards de dollars ont quitté le pays ces huit dernières années. (*) Par Hamid Enayat, analyste et écrivain iranien basé à Paris.
Les protestations sociales (photo : à Téhéran, le 16 novembre 2019), dirigées contre le pouvoir en Iran, ont intensifié la fuite des capitaux. Les investisseurs iraniens se tournent désormais vers l'achat immobilier en Grande-Bretagne, au Canada et en Turquie.
Les protestations sociales (photo : à Téhéran, le 16 novembre 2019), dirigées contre le pouvoir en Iran, ont intensifié la fuite des capitaux. Les investisseurs iraniens se tournent désormais vers l'achat immobilier en Grande-Bretagne, au Canada et en Turquie. (Crédits : Reuters)

Selon le président de la Chambre de commerce de Téhéran, 100 milliards de dollars ont quitté l'Iran depuis 24 mois. Dans un entretien avec le site Fararou, Massoud Khansari n'a fourni aucun détail, mais a précisé que les données étaient "documentées" et qu'une partie a été injectée dans l'immobilier des pays voisins. L'article cite la Turquie, les Emirats et la Géorgie comme destinations des Iraniens. En juin 2019, le Centre de recherche parlementaire iranien a signalé la sortie de plus de 59 milliards de dollars de capitaux d'Iran en 2017 et 2018. La fuite des capitaux marque avant tout l'instabilité politique dans ce pays.

Protestations sociales

Selon un article économique publié sur le site Tranio le 21 février 2018, les protestations sociales dirigées contre le pouvoir en Iran ont intensifié la fuite des capitaux. Les investisseurs iraniens se tournent désormais vers l'achat immobilier en Grande-Bretagne, au Canada et en Turquie.

"En décembre dernier, des manifestations anti-gouvernementales de grande ampleur ont eu lieu à travers l'Iran, notait Tranio dans un article. Il ressort clairement des slogans des manifestants qu'ils étaient excédés par la corruption généralisée, les problèmes économiques et le pouvoir religieux. L'instabilité politico-économique de l'Iran est similaire aux raisons qui ont poussé les Russes fortunés à acheter des propriétés foncières à l'étranger. Les pays les plus attrayants pour ces investissements de riches Iraniens semblent être la Grande-Bretagne, le Canada et la Turquie."

En Iran, les investisseurs sont tous affiliés au cercle du pouvoir. Un proverbe dit que l'on s'enrichit d'abord et que l'on prend ensuite le contrôle du monde. Mais en Iran, on prend d'abord le pouvoir et on s'enrichit après.

Selon un rapport de la Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) publié en juin dernier, les investissements étrangers en Iran en 2019 ont chuté de 36,5 % par rapport à l'année précédente. Ils ont dégringolé à 1,5 milliard de dollars, le chiffre le plus bas depuis 17 ans.

En 2019, le volume des investissements étrangers directs à l'échelle mondiale a atteint 1.540 milliards de dollars, soit une croissance de 3 % par rapport à 2018. Cette année-là, les Emirats arabes unis (EAU) ont attiré presque dix fois plus d'investissements étrangers que l'Iran, la Turquie cinq fois plus, l'Arabie saoudite trois fois plus et l'Irak et Oman deux fois plus.

L'ampleur de la catastrophe

Le sociologue Majid Abhari a donné une idée de l'ampleur des dommages causés par la fuite des cerveaux en Iran dans une interview au quotidien Arman le 21 janvier 2021 : "Pour prendre conscience des dégâts économiques considérables et de la profondeur de la tragédie, il suffit d'inclure la citation d'un historien et spécialiste de l'Iran : 'La fuite des cerveaux ces dernières années a endommagé l'économie iranienne 300 fois plus que la guerre Iran-Irak'. De son côté, Abdul Khaliq, un expert de la Banque mondiale, a estimé que la fuite des cerveaux coûte à l'Iran deux fois plus que le montant de ses revenus pétroliers."

"Dans les pays développés, poursuit-il, les capitaux s'investissent dans différentes industries et les cerveaux qui sont derrière. Au Japon, 80 % de l'argent est investi dans les compétences éducatives et la recherche, et 20 % dans l'équipement industriel. 60% à 80 % des lauréats des différentes Olympiades ont choisi de ne pas retourner en Iran devant les promesses d'universités étrangères en termes de moyens d'études et de financement."

Selon le journal Arman le 21 Janvier 2021 : « Sans l'ombre d'un doute, l'un des leviers pour réduire le phénomène inquiétant de la migration des élites hors d'Iran est la liberté de pensée et l'instauration de libertés sociales, en particulier pour les jeunes. »

Fuite des cerveaux

La fuite des cerveaux n'est pas un phénomène récent en Iran. Elle est aussi ancienne que ce régime. L'ayatollah Khomeiny, le fondateur de la République islamique, avait clairement indiqué dans son discours du 30 octobre 1979, qu'il n'y avait pas de place ou d'avantage pour les élites, les diplômés et les génies dans son modèle de gouvernement.

"Ils parlent de fuite de cerveaux, disait Khomeiny. Qu'ils s'échappent ; personne ne s'en soucie ! Ce n'était pas des cerveaux scientifiques ; c'était des cerveaux de traîtres... Ces cerveaux qui s'enfuient du pays sont ceux qui vous ont ruiné dans le passé. Ce sont ces cerveaux qui n'ont pas permis à notre jeunesse de terminer ses études. Ceux-là doivent aussi partir ; laissez-les s'échapper. Ils n'ont plus leur place ici." (Khomeiny Sahifa, vol. 10, p. 403) A la mi-avril 1980, sous prétexte de "révolution culturelle", Khomeiny a imposé une répression et des purges  sanglantes dans les universités pour se débarrasser des professeurs et étudiants progressistes et aboutir à la fermeture des universités en 1982.

Evoquant la fuite généralisée et croissante des cerveaux d'Iran, le quotidien officiel Arman Melli écrivait le 21 janvier 2021 : "Les chiffres mondiaux montrent que la majorité des immigrants iraniens sont instruits et qualifiés. Ces chiffres ont doublé entre 2011 et 2020. En raison des problèmes économiques, la migration de l'élite vers les classes inférieures a augmenté ces dernières années. À présent, des milliers d'Iraniens attendent leur sort dans des camps ou des prisons dans d'autres pays."

Dans un entretien accordé à ce journal, le sociologue Majid Abhari a déclaré à propos des privilèges spéciaux des dirigeants et de leurs familles : "Quand un jeune diplômé avec un CV de haute qualification se voit doubler pour un poste de haute volée par un fils de dirigeant qui affiche des diplômes de degré inférieurs et médiocres, la déception et la discrimination extrême le poussent à un point de congélation. Les puits de pétrole, les sos-sols riches en gaz et en mines ne sont pas le principal capital d'un pays, mais les jeunes cerveaux et les jeunes talents, si."

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 27/03/2021 à 6:57
Signaler
le tableau dressé est trop noir et obscur pour être tenu pour vrai

le 14/04/2021 à 19:49
Signaler
Le raisonement me dépasse. Non mais mdr, le pays est un des plus riche en ressource naturel au monde et par habitants il est riche comme l'Albanie, mais non tout va bien lol.

à écrit le 26/03/2021 à 10:49
Signaler
On dirait que le plus grand dégât du régime des mollahs en Iran était le pillage des ressources, ou bien la répression massive du peuple à travers les prisons et les pelotons d'exécution. Mais la fuite des cerveaux semble encore au long terme assez c...

à écrit le 26/03/2021 à 10:18
Signaler
L'Iran est un pays très bien géré. La France devrait le prendre pour exemple, plutôt que de le critiquer

le 14/04/2021 à 19:47
Signaler
Ha ha ha!

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.