La Blockchain, une révolution démocratique pour les citoyens

De premières expériences de vote électronique sécurisées via la Blockchain sont testées, comme en Virginie, pour rendre les élections aux citoyens. Il reste à développer un protocole fonctionnant sur une Blockchain autonome, développé en "open source" et dédié au vote. Par Gilles Mentré, associé-gérant de banque et essayiste, cofondateur d'Electis (*).
Chaque participant au système a accès à l'ensemble de l'information validée.
Chaque participant au système a accès à l'ensemble de l'information validée. (Crédits : iStock)

La technologie Blockchain est aujourd'hui rendue célèbre par l'essor des cryptomonnaies, comme le bitcoin ou l'éther. Mais qui jusqu'à récemment aurait imaginé que son système décentralisé de validation et de stockage de l'information (par blocs de données conservés sous forme de chaîne) pourrait modifier en profondeur la gouvernance de nos démocraties ? C'est bien le pari qu'a fait en mai dernier le gouvernement de l'État américain de Virginie, en devenant la première collectivité à y avoir recours, même partiellement, pour un vote souverain. Il fait ainsi suite au développement continu de la Blockchain dans le domaine électoral, qu'il s'agisse de référendums nationaux, de consultations locales ou de vote des actionnaires aux assemblées générales.

Ces initiatives se veulent autant de réponses à la crise que traverse aujourd'hui la démocratie représentative. La participation déclinante aux élections, les doutes récurrents sur la fiabilité des résultats ou le discrédit croissant des partis politiques fragilisent nos institutions. Face à cela, la Blockchain offre la possibilité d'un vote électronique à la fois plus simple, plus transparent et plus sûr que le vote papier. Chaque participant au système ayant accès à l'ensemble de l'information validée, toute tentative de fraude supposerait que l'information exacte soit définitivement supprimée des ordinateurs ou des smartphones de l'ensemble des électeurs : chose impossible ! Chacun deviendra donc l'assesseur potentiel de l'ensemble des votes.

Représentants sur mesure

Au-delà de ces perfectionnements, c'est en fait d'une véritable révolution qu'il s'agit. La Blockchain facilitera l'adoption de nouvelles règles de vote, depuis la consultation directe jusqu'à des formes plus élaborées, où les citoyens désigneront leurs représentants ou délégués en fonction des sujets. Ne pourrait-on imaginer que sur une question donnée, par exemple en matière d'environnement, chacun accorde ou délègue son vote à l'institution ou à la personne qui le convainc le plus (le système pouvant permettre de faire émerger les candidatures suivant des règles fixées par tous), plaçant les partis politiques en compétition avec d'autres délégués éventuels ?

Le fait d'organiser de tels votes ne sera pas seulement permis, mais sans doute provoqué par la Blockchain et sa profonde tendance décentralisatrice. Les citoyens rendus participants et assesseurs du système souhaiteront bientôt s'exprimer sur les conditions mêmes du vote. On peut craindre que cela ouvre la porte à plus de populisme. Mais on peut aussi penser qu'une telle évolution constituera au contraire le meilleur rempart contre le populisme, chacun devenant coresponsable du système tout entier.

À plus long terme, on peut se demander si de tels changements ne mettront pas les États eux-mêmes en concurrence avec d'autres types de communautés. Les garanties électorales que seuls les États peuvent aujourd'hui fournir seront bientôt étendues à d'autres communautés d'intérêts. Pour reprendre l'exemple environnemental, ne serait-il pas plus légitime que nous soyons représentés dans les négociations climatiques internationales sur la base de nos convictions plutôt que par le truchement des États ? On peut avoir des réserves face à l'émergence de telles communautés alternatives, compte tenu des risques possibles. Mais on peut également estimer cette perspective inéluctable, et vouloir l'encadrer par la diffusion de pratiques de gouvernance ouverte et transparente qui seront les meilleures garantes de notre sécurité.

Portés par ces enjeux, des projets de vote par Blockchain sont déjà en train de se multiplier aux États-Unis, en Estonie, en Colombie, en Corée du Sud et même bientôt en France. L'ensemble de ces initiatives pose cependant deux questions. D'une part, elles sont pour la quasi-totalité financées par des investisseurs privés, ce qui peut interroger sur de possibles conflits d'intérêts. D'autre part, elles utilisent le plus souvent des protocoles open source affectés à d'autres usages (cryptomonnaies, contrats intelligents). Or il n'y a pas de raison de rendre une plateforme de vote dépendante d'évolutions externes.

Une coopération horizontale

La meilleure façon d'accompagner l'évolution en cours serait donc de travailler à la création d'un protocole fonctionnant sur une Blockchain autonome, développé en open source et dédié au vote. La tâche est vaste, car il demeure de nombreuses questions techniques et fonctionnelles à régler (authentification des identités, garanties de confidentialité et d'isolement, solutions de validation).

Un tel projet devrait être conduit de manière publique et sans intérêt privé. Il est peu probable que les États eux-mêmes se lancent dans une telle entreprise, vu leurs rigidités administratives et politiques. Il faut donc imaginer une coopération horizontale et collective, ouverte à tous, financée par dons, fonctionnant le plus possible par contributions rémunérées par des mécanismes de reconnaissance symbolique, pour conduire un tel projet.

Développeurs, économistes, acteurs engagés, simples citoyens s'allieront ainsi pour développer conjointement un outil pensé d'emblée comme un bien commun, en tant qu'infrastructure de la démocratie. Celui-ci sera ensuite géré et amélioré par l'ensemble des citoyens. Les bénévoles qui se pressent aujourd'hui dans les bureaux de vote les soirs d'élection pour recompter les bulletins, et qui deviendront demain les assesseurs coresponsables des plateformes de vote électronique elles-mêmes, nous rappellent que la politique peut et doit rester du domaine de la gratuité.

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(*) Electis est un projet d'infrastructure de vote électronique s'appuyant sur la technologie BlockchainIl travaille à la création d'un protocole open source, développé de manière ouverte et bénévole, financé exclusivement par dons et ayant vocation à être mis gratuitement à disposition du public. Il a été lancé en juin 2018 par Billal Chouli (fondateur de NeuroChain), Nithin Eapen (membre du conseil d'administration de la Tezos Commons Foundation), Sarah-Diane Eck (présidente de CryptoAsso), Alexander Scott Fields (directeur de la stratégie de Consensys), Aurélie Jean (PhD, spécialiste en informatique), Gilles Mentré, Franck Nouyrigat (fondateur de Startup Weekend) et Philippe Rodriguez (président de Bitcoin France).

Le concept paper d'Electis est disponible en ligne sur https: /medium.com/electis.

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Commentaire 1
à écrit le 18/07/2018 à 12:42
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La blockchain conserve toutes les transactions, donc tous les votes. Or, l'anonymat exige la destruction des votes.

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