La crise des gilets jaunes, ou la difficulté de réformer

Le gouvernement a suspendu provisoirement la taxe carbone sur les carburants. A l'avenir, il devra mieux définir et expliquer ses priorités en matière de réformes pour placer l'économie sur une voie de croissance forte et durable. La réduction des taxes en est une mais elle ne peut se faire sans une réduction massive de la dépense publique. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l'ESSEC.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.

A son arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron avait posé un diagnostic correct : la France ne retrouvera pas un dynamisme économique à même de la maintenir dans le peloton de tête des économies développées sans la mise en œuvre d'un vaste programme de réformes visant à libérer son économie de toutes les rigidités qui la bloquent.

Comme tout dirigeant avisé, il savait que le temps jouait contre lui et que l'adhésion du public aux réformes allait vite s'amenuiser. En effet, toute réforme économique ne porte ses fruits qu'à terme alors que ses coûts pèsent immédiatement sur tout ou partie de la population. Par ailleurs, même si une réforme est favorable à l'ensemble de la population, elle peut davantage favoriser une partie de la population alors qu'elle pèse autant ou davantage sur une autre partie de la population. Dans ce cas, pour éviter un blocage du groupe qui se sent lésé, la réforme doit s'accompagner d'un mécanisme de transfert.

La réforme de la SNCF, l'allègement de la fiscalité sur les entreprises, la réforme du marché du travail sont des bonnes réformes qui tombent dans le cas de figure ci-dessus. En revanche, l'augmentation de la CSG, qui est un choix discutable comparé à une augmentation de la TVA, a fait peser une charge disproportionnée sur certaines catégories comme les retraités et a contribué à ce sentiment d'injustice. De même Le changement de base de l'ISF, décrite à tort comme suppression de l'ISF, a également contribué à ce ressenti d'injustice.

Une réforme inopportune

La réforme la plus inopportune est celle présentée comme une réforme de transition écologique passant par une augmentation des taxes sur les carburants à la pompe. Personne bien évidemment ne remet en cause les objectifs environnementaux et notamment la réduction de la production de CO2 qui est le principal responsable de l'effet de serre. Le problème est le moment choisi, une période de ressenti de taxation excessive et de chômage encore élevé. Ensuite, le choix de ceux qui doivent supporter l'effort de diminution de production de carbone, les automobilistes est inopportun, étant donné qu'il n'a pas été expliqué pourquoi parmi l'ensemble des contributeurs au carbone, il était juste qu'un tel effort soit demandé maintenant exclusivement aux usagers de l'automobile.

La séquentialité des réformes est essentielle pour qu'elles soient acceptées. La hausse de taxes sur le carburant a pu provoquer cette crise sociale sans précèdent parce que cette réforme, destinée à stimuler les industries vertes et les revenus de ceux qui y travaillent, pénalise fortement les actifs à revenu moyen, souvent basés dans un environnement rural ou péri-urbain, qui doivent beaucoup se déplacer pour leur travail. Or cette population n'a pas ressenti que la contribution qui leur est demandé s'ajouterait à des contributions demandées à d'autres groupes, comme l'industrie des transports routiers ou aériens ou les usagers du transport aérien. De plus, ils n'ont vraiment pas l'impression qu'on leur ait demandé de concourir au bien commun mais au contraire d'avoir été identifiés comme des coupables et d'avoir été taxés de façon punitive et sans contrepartie. Négliger le ressenti d'une réforme et l'accompagnement politique et social est une erreur, que le gouvernement se devait de corriger.

Prétexte à une pure opération budgétaire

Enfin, à tort ou à raison, cette population n'a aucunement l'impression qu'il s'agit effectivement d'une politique de transition énergétique mais bien d'une pure opération budgétaire dans laquelle le gouvernement utiliserait un prétexte pour augmenter les impôts. A l'inverse, le gouvernement aurait dû prendre acte de la situation dans laquelle se trouve les personne habitant hors des grandes villes et étant dans l'obligation de faire un grand nombre de kilomètres en voiture pour leur travail, leurs commissions et pour amener leurs enfants à l'école. Cette situation générant une production de carbone indésirable, c'est au gouvernement au contraire de financer des solutions leur permettant de se déplacer, puisqu'ils n'ont pas le choix, sans causer de pollution.

Le gouvernement a entendu ce message comme l'indique la suspension provisoire de la taxe sur les carburants. A l'avenir, il devra peut-être mieux définir les priorités. La plus importante est celle de placer l'économie sur une voie de croissance forte et durable. Or cela implique un maintien du cap, comme il aime s'y référer, c'est-à-dire la poursuite déterminée de mesures de libéralisation des entraves qui pèsent sur l'activité économique. La réduction des taxes fait partie des priorités elle aussi et elle ne pourra se faire sans une réduction massive de la dépense publique. La réforme du financement des retraites et la mise en place d'un système pérenne est en ce sens une nécessité qui va réclamer un gros effort de pédagogie et d'accompagnement de la part du gouvernement.

Que les personnes affectées par les réformes expriment pacifiquement leur mécontentement, c'est tout à fait légitime. Que le gouvernement les écoute et tâche d'expliquer le bien fondé de ses choix, c'est normal. En revanche, que des groupes de casseurs profitent de cette situation pour accomplir leurs méfaits, affaiblir la démocratie et attaquer les institutions est une honte qui doit être énergiquement stoppée par les pouvoirs publics.

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Commentaires 8
à écrit le 09/12/2018 à 12:03
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Réformer pourquoi faire? Pour "s'adapter" a la vision d'une infime minorité d'idéaliste ériger en dogme? Comme si le futur était prédéterminé et que l'humain ne pouvait s'adapter au jour le jour! Ce n'est pas loin de ressembler a du fascisme! L'UE d...

à écrit le 05/12/2018 à 5:52
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Non Augmenter une xième fois les taxes sur le carburant n'est pas une réforme 8 personnes aujourd'hui sont aussi riches que la moitié du globe Ce n'est pas encore assez ? L'écologie dans tout ça, elle est ou ?

à écrit le 05/12/2018 à 5:50
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Non Augmenter une xième fois les taxes sur le carburant n'est pas une réforme

à écrit le 04/12/2018 à 22:21
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Si " réformer " = austérité qui s'aggrave d'année en année, la contestation est un droit qui deviendra d'autant plus radical que le pouvoir reste sourd aux revendications. Centrer tout débat sur la violence des manifestations a pour but de délégiti...

à écrit le 04/12/2018 à 20:58
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J'ai lu le premier paragraphe et je me suis arrêté à "professeurs à l'ESSEC". Dans une école de commerce, la mixité sociale n'existe pas. Comme ces gens là sont des gens aisés, nés dans un milieu aisé et qui ne fréquentent que des gens aisés, l'aff...

à écrit le 04/12/2018 à 18:59
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Les dogmes imposent des "réformes", les peuples demandent des "adaptations"! Le "cahier des charges" de l'UE de Bruxelles est un dogme pour les différentes nations qui composent le club et subissent les réformes sous peine de pénalité financière!

le 04/12/2018 à 20:09
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Un dogme est une vérité «  décidée » par un pouvoir pour orienter les masses dans une direction , un dogme , ce n’est pas une vérité fondamentale car ( c’est décidé par des humains sur d’autres humains donc ce n’est ni existentiel ni fondamental) C...

à écrit le 04/12/2018 à 18:43
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Votre article ( le titre aussi )est très controversé ( pour ne pas dire provoquant)dans un climat «  hautement explosif ». L’apaisement est la solution ds un premier temps et ds un second temps : un vote démocratique pour «  revenir » à une réalité...

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