Quelle normalisation pour la politique monétaire de la BCE ?

Les deux dernières crises économiques, la Grande Récession (2007-2009) et la crise de la dette souveraine dans la Zone euro (2010-2012) ont testé les limites de la monnaie unique et amené des changements majeurs dans sa gestion. Si la Banque centrale européenne (BCE) a réussi à surmonter un grand nombre de difficultés, le défi de la normalisation reste à relever. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.

Les créateurs de l'euro, tel qu'envisagé en 1992 par le Traité de Maastricht, savaient que les pays qui s'engageraient dans cette aventure ne remplissaient pas les conditions nécessaires pour son adoption, telles que définies par la théorie des zones monétaires optimales. Plus précisément, la mobilité du travail entre pays est trop faible, et comme nous avons pu le constater il y a dix ans, les crises « spécifiques » touchant certains pays mais pas d'autres rendent impossible une réaction de la BCE qui soit adaptée à la situation de chaque pays.

Respect de la discipline budgétaire

L'un des crédos essentiels des visionnaires de l'euro était leur confiance dans les capacités des gouvernements des pays membres à respecter une discipline budgétaire. Le Pacte de Stabilité et de Croissance, mis en place en même temps que la monnaie unique, n'autorisait pas des déficits public supérieurs à 3% du PIB et limitait la dette publique à 60% du PIB. Entre 2000 et 2007, de nombreux pays s'écartèrent de cette norme, y compris la France et l'Allemagne. Malgré ces déviations, les taux d'intérêt des obligations d'Etat convergèrent vers une valeur faible, comme si la soutenabilité des dettes était garantie par l'adoption de la monnaie unique.

Sous la protection de cette illusion, lors de la Grande Récession, les gouvernements ont creusé les déficits, avec plus (l'Allemagne) ou moins de prudence (le Sud de l'Europe). Le retour à la réalité fut brutal, avec l'exclusion des marchés financiers de la Grèce, puis de l'Irlande, suivis des difficultés majeures de financement du Portugal et de l'Espagne, puis de l'Italie, laquelle, sans sortir du marché, a vu ses taux d'intérêt sur les obligations à 10 ans s'envoler à 6%.

Pour pallier ces tensions, un fonds d'investissement a été mis en place en urgence au niveau de l'UE, précisément pour financer ces pays à courte et moyenne échéance. En même temps, en 2012 sous la houlette de l'Allemagne, les gouvernements se sont engagés sur le Fiscal Compact, une version plus rigoureuse et plus réfléchie du Pacte de Stabilité et de Croissance. Mais les tensions n'ont disparu qu'en septembre 2012 avec la mise en place par la BCE du programme de soutien aux Etats en situation de détresse financière. Si on parle peu de ce programme, c'est qu'il n'a jamais été activé. Le simple fait de l'instaurer a coupé court aux anticipations de détresse financière, ce qui s'est traduit par une baisse des taux de long terme, notamment en Italie et Espagne, et a permis aux autres pays concernés de sortir rapidement de l'assistance financière de l'UE.

Programme d'achat massif d'obligations d'Etats

La BCE a connu des moments de doute lorsque l'inflation est devenue négative au deuxième semestre 2014. Dans cette période, elle avait déjà « épuisé » son principal instrument d'intervention, ayant mis à zéro son principal taux directeur, le taux d'intérêt auquel les banques commerciales lui empruntent de l'argent à court terme. Avec une inflation négative, le taux d'intérêt réel  (c'est-à-dire nettoyé de l'impact de l'inflation) demeurait positif, ce qui ne pouvait qu'accentuer la crise, et donc la déflation. Pour briser ce cercle vicieux, la BCE a engagé un programme d'achat massif d'obligations d'Etats, à hauteur de 60 à 80 milliards d'euros par mois, sans lien direct avec la politique précédente. Cette stratégie a probablement fait baisser les taux longs, qui sont même devenus négatifs pour la France ou l'Allemagne. Cette politique d'argent pas cher a pu soutenir l'investissement et l'activité économique, tout en signalant la volonté de la BCE d'atteindre son objectif d'inflation à 2%. D'autres mesures « non-conventionnelles », comme les prêts de long terme octroyés aux banques, et la taxation des réserves excédentaires, ont également été adoptées et sont toujours en vigueur.

Mais avec la reprise économique en cours dans l'ensemble de la zone euro, se pose la question de la normalisation de la politique monétaire. Les derniers communiqués de presse de la BCE nous dévoilent le chemin envisagé pour la normalisation. Il semblerait qu'à l'été prochain on puisse s'attendre à la première hausse du taux directeur, cette date ayant été évoquée par Mario Draghi le 13 Septembre dernier. Par ailleurs, les achats d'actifs vont être ramenés à 15 milliards par mois au 1er octobre et devraient cesser fin décembre 2018, ayant cumulé en tout 2.600 milliards d'euros. En revanche, la BCE ne compte pas pour l'instant diminuer son stock d'actifs, et s'engage à réinvestir les sommes libérées par la maturation des obligations dans de nouveaux actifs « aussi longtemps qu'il le faudra ».

En Europe, le financement de l'économie passe par le système bancaire

Contrairement aux Etats-Unis, dans la zone euro, tant le financement de l'économie que le mécanisme de transmission de la politique monétaire reposent sur le système bancaire plutôt que sur le marché du capital. Aujourd'hui, le système bancaire européen semble s'être remis de ses problèmes, même si le montant des prêts non-performants demeure élevé (37% du capital des banque dans la zone euro, selon l'Economic Outlook de l'OCDE, 2018). De nouvelles procédures mises en place en 2017 permettront de séparer le financement des banques en détresse des gouvernements, qui eux-mêmes risquent d'être affaiblis en temps de crise.

Cependant, comme l'indique une étude de 2016 de la Commission européenne, le système financier européen n'a qu'une faible capacité de diffusion des chocs spécifiques vers l'ensemble d'investisseurs européens - 25% d'un choc frappant un pays est absorbé par le reste de la zone - ce qui le rend moins résilient que le système américain, à même de diffuser 75% d'un choc d'un Etat vers les autres Etats américains. En effet, les dettes publiques sont détenues majoritairement par des banques commerciales nationales - (plus de 80% par exemple en France et Italie, selon les données de l'OCDE), et il y a très peu de banques authentiquement pan-européennes.

Quelle vitesse de normalisation?

Le vrai défi de la BCE est donc la vitesse de la normalisation dans un contexte où l'inflation peut arriver plus vite que prévu. Les taux de chômage se rapprochent des niveaux structurels (variables d'un pays à l'autre) tandis que les gains de productivité sont encore modestes. La masse monétaire augmente rapidement. La disparition de l'argent liquide devrait augmenter la vitesse de circulation de la monnaie et la base monétaire se trouve multipliée par 3,5 comparée à l'avant crise. Qu'on soit monétariste ou keynésien, il y a motif à s'inquiéter.

Si jamais la BCE devait augmenter ses taux plus vite, et/ou réduire activement sa base monétaire en vendant des actifs, alors le bilan des banques, la reprise économique, et la garantie fournie aux Etats en détresse financière seront toutes mises sous tension en même temps. L'inévitable hausse des taux longs fera diminuer les prix des obligations d'Etat détenues par les banques. Leur profitabilité pourrait être encore plus affaiblie par la hausse du taux de refinancement à court terme de la BCE, sachant qu'une grande partie de leurs prêts est actuellement contractée à des taux faibles. Cela devrait peser plus sur le bilan des banques qui octroient actuellement des prêts à taux fixes. Une solution, encore peu utilisée en partie du fait des mauvais souvenirs de la Grande Récession serait le recours plus important à la titrisation et la commercialisation de ces produits dérivés à travers l'Europe.

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Commentaire 1
à écrit le 25/09/2018 à 18:53
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Ca devait être fini en 2016 cette politique. Et là fin 2018 ils ne savent même pas "quand" ils vont "amorcer" la fin du Quantitative Easing. Tout simplement parce que la crise est encore là et qu'elle en appelle une plus grande encore. Les marchés en...

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