« La haine de la modernité se catalyse sur le juif » (par Frédéric Salat-Baroux, avocat)

Pour l'avocat, la vague actuelle d’antisémitisme illustre la violence des attaques que subit la démocratie libérale.
(Crédits : © LTD / Hannah ASSOULINE/opale)

Flambée des actes antisémites, attaque contre la synagogue de Rouen, profanation du mur des Justes, apparemment commanditée par la Russie... L'antisémitisme fracture notre société. Tout se mélange dans les esprits : les Juifs, les Israéliens, Gaza, le passé, le présent. Les condamnations médiatiques comme les mesures visant à assurer l'ordre public n'ont pas de prise.

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Et si le problème était ailleurs ? Et s'il était plus étendu encore ?

Comme dans les années 1930, la haine de la modernité se catalyse sur le Juif. Mais c'est le modèle universaliste qui est en cause.

En première ligne, il y a Israël, qui symbolise la démocratie, la liberté individuelle, et qui prête le flanc à l'accusation de colonialisme. Israël fait l'objet d'une invraisemblable entreprise de démolition, sur le plan mondial. Malgré la richesse du vocabulaire - morts, crimes, massacres -, c'est le mot de « génocide » que l'on est allé chercher pour mettre cette nation en accusation. En l'accolant à celui de « Juif », ceux qui sont à l'œuvre dépassent le rêve des révisionnistes d'hier : les Juifs seraient, en réalité, le peuple génocidaire. Dès lors, Israël peut et doit disparaître. C'est le sens du slogan appelant à une Palestine de la rivière à la mer.

Avant de lui dénier le droit d'exister, on a dénié à Israël le droit de pourchasser les bourreaux. Alors que le sang des victimes du 7 octobre coulait encore, l'on qualifiait de résistants les violeurs et massacreurs du Hamas, terrés sous le double bouclier humain des otages et des Palestiniens de Gaza. Israël est pris dans un dilemme contre nature : faire de nombreuses victimes civiles ou baisser les bras, au risque d'ouvrir la voie à des 7 octobre encore plus terribles.

Plutôt que de nous abandonner au populisme, sachons comprendre ce que cet antisémitisme dit de nous

Il faut analyser, avec respect pour la fonction, la déclaration du procureur de la Cour pénale internationale. Israël se doit d'y répondre, point par point, notamment sur l'accusation d'avoir volontairement provoqué une famine à Gaza. Mais ce qui frappe, c'est la mise exactement sur le même plan du Hamas et d'Israël. C'est l'utilisation de termes d'une gravité exceptionnelle, tels qu'« extermination », sans qu'ils soient étayés.

Ce renvoi dos à dos d'une organisation terroriste et d'un État démocratique qui mène une guerre à la suite d'une attaque d'une violence extrême porte la marque de la bataille idéologique qui fait rage.

Notre modèle est battu en brèche comme jamais. La Chine et ses séides de Russie et du Sud global veulent délégitimer les valeurs démocratiques pour promouvoir un modèle alternatif, alliant autocraties, théocraties et tyrannie du marché, soit le pire que l'esprit humain puisse concevoir.

Attaqué à l'extérieur, l'Occident est aussi corrodé de l'intérieur par le wokisme, qui poursuit un but convergent : démasquer les valeurs universelles, qui ne seraient que le paravent du colonialisme et d'une entreprise d'asservissement des minorités et des types différents. L'islamisme, par sa radicalité, est devenu le porte-drapeau de la haine de notre modèle. À l'image des âmes perdues de la gauche d'avant-guerre, Mélenchon est passé du mitterrandisme au gauchisme et à l'islamo-gauchisme.

Comme hier où les pacifistes étaient à l'Ouest et les missiles à l'Est, une partie de l'opinion publique occidentale fait naïvement le jeu des adversaires de notre civilisation.

Certes, le wokisme ne naît pas de nulle part. Il est le fruit de nos démissions. Nous nous sommes soumis à la religion du marché. Nous avons laissé flamber les inégalités et fermé les yeux sur les discriminations. Rien n'excuse les outrances et l'inconsistance de la jeunesse wokiste, mais qu'avons-nous offert de beau et de grand à nos enfants ?

Reste que les valeurs démocratiques méritent d'être défendues. Les femmes iraniennes, qui brûlent leur voile et sacrifient leur vie, le crient. À cet Occident qui est sur le point de penser que le voile est une forme d'attribut du féminisme. L'antisémitisme, qui doit être résolument combattu, est donc aussi le champ de bataille avancé de cette grande empoignade idéologique.

Dans un temps où les États-Unis n'ont plus en eux les ressorts suffisants, où l'Union européenne est structurellement sourde aux idées, la France doit dépasser sa névrose identitaire et relever le gant. Il faut sortir de la naïveté face à des adversaires qui sont passés maîtres dans l'art de retourner nos principes contre nous. Mais il y a aussi urgence à nous remettre en question et à reconstruire notre société sur ce qui la fonde : l'autorité de la loi et l'égalité des chances.

La République, la démocratie sont des conquêtes. Elles sont des exigences et des promesses auxquelles nous avons tourné le dos, restant perdus, rapetissés, salis.

Plutôt que de descendre une dernière marche et de nous abandonner au populisme, sachons comprendre ce que cet antisémitisme dit de nous.

« Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l'oreille, on parle de vous », nous avertissait même Frantz Fanon, figure de l'antiracisme et de la décolonisation.

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Commentaires 3
à écrit le 26/05/2024 à 9:35
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Vous êtes sûrs ??? : "Survivre au progrès" Martin Scorcese.

à écrit le 26/05/2024 à 9:15
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Pourquoi doit on se victimiser à tout "bout de champ" pour éviter de devoir s'intégrer à une population ?

le 26/05/2024 à 20:14
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Doit on comprendre le régime d'apartheid qui règne en Israël et la diaspora visible à travers le monde?

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