La production à la demande pourrait révolutionner l'industrie textile

OPINION. La production à la demande est une piste prometteuse pour diminuer l'empreinte carbone de notre consommation, notamment dans le secteur textile. Une nouvelle révolution ? Par Daniel Vigneron, journaliste spécialisé dans les questions économiques et européennes.
Boutique Shein à Singapour. Grâce au recours à l'intelligence artificielle, la marque asiatique de prêt à porter basée à Singapour parvient à tester la demande en analysant l'accueil fait à ses nouveaux produits, mis en vente en quantité confidentielle (100 à 300 exemplaires).
Boutique Shein à Singapour. Grâce au recours à l'intelligence artificielle, la marque asiatique de prêt à porter basée à Singapour parvient à tester la demande en analysant l'accueil fait à ses nouveaux produits, mis en vente en quantité confidentielle (100 à 300 exemplaires). (Crédits : Reuters)

Personne n'en doute, décarboner nos économies en l'espace de trois décennies constitue un défi gigantesque. Parallèlement au « consommer mieux » que peut constituer l'économie collaborative, un « produire mieux » commence à émerger avec le développement d'un nouveau mode de production à la demande.

La production à la demande (ou fabrication sur commande, « Make to Order » - MTO en anglais) consiste, pour une entreprise, à ne débuter le processus de fabrication d'un bien qu'à partir du moment où celui-ci est commandé, donc acheté. Le MTO diffère donc radicalement de la production de masse classique, la fabrication sur stock (MTS), où les produits sont fabriqués en grandes quantités et stockés jusqu'à leur vente éventuelle dont on s'est efforcé d'anticiper l'ampleur. En produisant des biens uniquement lorsqu'ils sont déjà vendus, les entreprises évitent l'écueil de la surproduction et du stockage excessif, générateurs de coûts financiers et environnementaux.

La production à la demande était jusque-là l'apanage de certaines grosses industries fonctionnant en B2B (business to business) comme l'aéronautique : on ne construit un Airbus, et ses différents composants, que s'il a fait l'objet d'une commande. Jusqu'à tout récemment, les biens de consommation courante n'étaient rentables qu'au prix d'une massification de la production selon le processus de MTS, condition d'une baisse des coûts unitaires. Il n'en va plus de même avec les avancées technologiques engendrées par la digitalisation.

Nike et Adidas testent la customisation

Sont concernés prioritairement les entreprises des secteurs des biens de consommation de masse non périssables dont les produits impliquent un stockage important : ameublement, décoration, certains segments de l'industrie des jeux, voire de l'automobile. Mais le secteur phare pour la MTO, c'est celui du vêtement-chaussure et de la mode. Le textile-habillement, symbole de la consommation de masse mondialisée, est responsable, selon l'Ademe (Agence De l'Environnement et de la Maîtrise Ecologique), de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pour un quart, ces émissions sont générées par le secteur de la mode et ses nombreux invendus, régulièrement détruits.

Certaines grandes marques de sportswear se sont essayées à une production à la demande fondée sur le principe de personnalisation des produits (« customization » en anglais). Ainsi, Nike, le numéro un mondial de l'équipement de sport, via sa plateforme Nike By You, a-t-il mis l'accent sur cette personnalisation, offrant au client la possibilité de coconcevoir ses sneakers ou ses vêtements, de les commander et de les recevoir en deux ou trois semaines.

Adidas, le challenger de Nike, est allé plus loin en testant en Allemagne et aux Etats-Unis un processus de fabrication quasi-instantanée en 3D de ses chaussures de « running » via son concept de Speedfactory. Finalement peu rentable, cette expérience a été abandonnée au profit de la fabrication (procédé Futurecraft) de semelles intermédiaires adaptées qui sont également totalement recyclables. En outre, avec son concept « Knit for you », Adidas propose à ses clients une machine à tricoter digitale qui confectionne en quatre heures des pulls sur mesure en boutique.

Aussi vertueuses soient-elles, ces initiatives restent marginales dans le modèle de production de ces grandes marques. Si elles sont effectivement « demand driven », c'est-à-dire calquées sur les envies réelles des clients, évitant ce faisant les invendus et la pollution associée, elles ne permettent pas d'absorber des demandes importantes, ni de proposer des articles à des prix vraiment attractifs.

Shein ou la stratégie du ballon d'essai

La question reste donc entière : est-il possible d'associer une production massive, capable de proposer des vêtements à petits prix au plus grand nombre, mais basée sur la demande, c'est-à-dire capable dans le même temps de répondre avec rapidité aux envies réelles des clients tout en évitant les surplus inutiles ?

C'est justement la stratégie de Shein, la marque asiatique de prêt à porter basée à Singapour, avec son modèle de « on demand fashion » que l'on pourrait décrire comme une forme de « production à la demande globale » : grâce au recours à l'intelligence artificielle, Shein parvient à tester la demande en analysant l'accueil fait à ses nouveaux produits, mis en vente en quantité confidentielle (100 à 300 exemplaires). Une méthode « test-and-scale » qui prélude, si ces ballons d'essai sont concluants, à des tirages plus importants et bien ciblés. Ainsi, en constatant l'engouement pour un modèle de pantalon dans telle ou telle région du monde, Shein va activer son réseau de producteurs locaux pour approvisionner cette zone. Résultat : le nombre des invendus est tombé à un très bas niveau. Shein ne compte ainsi plus sur le raz-de-marée (flooding) de ses ventes pour baisser ses coûts, mais sur la diminution drastique du surplus.

A titre de comparaison, Temu, le géant chinois de la fast fashion, s'appuie au contraire sur d'immenses entrepôts achalandés par des usines qui fournissent des séries déjà produites à plusieurs milliers d'exemplaires, et que la plateforme s'efforce d'écouler via des stratégies marketing offensives. D'un côté, un modèle basé sur la demande et de l'autre, un modèle de masse classique basé sur l'offre.

En somme, ces nouvelles pratiques permettent aux géants du prêt à porter, si longtemps responsables de l'aggravation du changement climatique, de participer enfin à son atténuation.

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Commentaires 4
à écrit le 30/05/2024 à 17:48
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L'auteur de l'article omet d'évoquer les délais de livraison à l'heure où les consommateurs veulent tout tout de suite d'autant que les chaines d'approvisionnement sont régulièrement soumises à des ruptures aux causes multiples .Quand A..... garantit...

le 30/05/2024 à 19:35
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Bien sûr que oui.

à écrit le 29/05/2024 à 9:09
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Cela fait plus de 20 ans que l'imprimante 3d a été inventée alors que si nous en avions tous une chez nous, ces achats à la demande seraient monnaie courante permettant de polluer 100 fois moins pour produire un vêtement ou tout autre produit. Mais v...

à écrit le 29/05/2024 à 9:05
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"débuter le processus de fabrication d'un bien qu'à partir du moment où celui-ci est commandé, donc acheté" on peut acheter des mules fabriquées en France mais sur commande, aucun stock, il y a plusieurs semaines de délais. Quand on commande une voit...

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